Et si la coopétition entrait dans le monde de l'enseignement ?

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Le développement d’Internet et en particulier des réseaux sociaux renforce la dimension individuelle du développement de chacun en opposition à une vision plus collective de la vie sociale. Désormais, l’injonction à être soi est une règle qui transpire de nos organisations sociales et entraîne une confrontation entre les humains. Dans le même temps, nous attendons encore du collectif social qu’il donne les lignes de force de nos vies quotidiennes. Bref de la liberté individuelle, mais pas trop. Entre les deux, le développement des espaces communautaires (groupes fermés ou semi fermés) met en évidence la volonté de plusieurs personnes ayant un espace commun, de se le réserver et ainsi de se situer dans un intermédiaire entre les deux pôles individuels et collectifs. Plus largement notre société française, à l’instar d’une grande partie du monde libéral occidental a accepté que chacun joue individuellement sa partie, en concurrence avec les autres, tout en tenant à ce que les réseaux, devenus numériques, viennent donner une part de société, un imaginaire social qui maintient, temporairement, une sorte de cohésion.
Les réseaux sociaux numériques, et leurs usages, illustrent cette tension entre l’individuel et le collectif. Les usages quotidiens se multiplient, mais les institutions se sont aussi emparées des outils de réseautage et surtout des techniques associés (buzz, communication virale etc…). La société IBM s’offre une pleine page de publicité dans le journal le Monde, daté bizarrement de dimanche 7 octobre (hasard ou choix ?). Appelée « Bienvenue dans l’ère du client-directeur-général », cette publicité illustre parfaitement cette évolution et mérite quelques explications de texte. Trois intertitres sont révélateurs et leur ordre n’est pas anodin : « Du collectif à l’individu », puis « les données du désir », et enfin « affirmer le caractère de l’entreprise ». L’article se termine par le slogan : « Bâtissons une planète plus intelligente ».
La société IBM qui a su se fondre dans le paysage médiatique et diminuer l’exposition médiatique qui était la sienne dans le grand public dans les années 80 – 90 a une communication publicitaire qui a toujours été en écho des évolutions de société du moment. Cette fois-ci encore, ce ne sont pas seulement des réseaux sociaux dont il s’agit mais de l’immense base de données que constituent ces ressources d’informations, parmi d’autres, sur les clients. Le message transmis est en direction des professionnels du marketing auxquels il dit « Jusqu’à présent le marketeur cherchait à influencer ses clients. Aujourd’hui il apprend à les anticiper.[…] Il a une vue globale de l’expérience du consommateur et l’enrichit à chaque interaction ». On peut aisément comprendre que de ne pas absorber les réseaux sociaux évite de se jeter dans l’arène des débats du moment, mais par contre ils sont évoqués comme la base même de ce qui est le coeur du développement du numérique (mais aussi de la nouvelle consommation : la rentabilité des entreprises qui y oeuvrent. Cette logique est connue, mais elle est souvent négligée par les éducateurs et les chercheurs. Or nous avons là un exemple de cette influence très forte qui s’exerce très en amont de ce que chacun de nous perçoit et qui semble avoir une efficacité redoutable au vu des comportements de consommation de chacun de nous. Les usages des réseaux sociaux amènent les gens du marketing à tenter la fusion entre l’individuel et le collectif, le client et l’entreprise.
Société de consommation, de fait, mais aussi société de compétition. Car sans se voiler la face, le moteur sous jacent est celui de la concurrence mondiale qui se traduit, dans une période de montée de l’individualisme par la compétition (sportive ou scolaire) comme carburant de la personne. Dans le même temps, l’observation des réseaux et communautés en ligne révèle bien aussi les démarches de collaboration (symbolisé par exemple par des initiatives comme Groupon) comme un incontournable. Comme si compétition et coopération/collaboration devaient désormais obligatoirement cohabiter à cause du monde numérisé.
Cet état de fait se traduit aussi dans le monde scolaire. Les refondateurs de l’école n’y ont pas échappé : travail en petits groupes plutôt que courts magistraux ! travaux collaboratifs (TPE) et pas seulement individuels (Baccalauréat). Cependant il faut bien admettre que l’individuel, au coeur de la forme scolaire, reste dominant : même les TPE sont évalués individuellement. En d’autres termes, le système scolaire, fruit de l’industrialisation rationnelle du 19è siècle, n’a mis de collectif que dans l’habillage, l’individu restant premier. Ceci est un fait culturel particulièrement aigu dans un pays comme la France. La tension permanente entre le collectif et l’individuel perdure. Le numérique l’amplifie en ce moment. « Pourquoi je suis sur un réseau social ? » dit cet étudiant, « pour obtenir un travail bien sûr ? ». Auparavant, quand la perspective d’emploi était encore loin, il aurait répondu « pour le plaisir d’être avec mes amis même quand ils ne sont pas là ». Autrement dit le conflit externe est aussi un conflit interne.
Dans un tel contexte, peut-on chercher de nouvelles pistes. Dans cet article Coopétition et management des compétences, Frédéric Prévot, (Lavoisier | Revue française de gestion, 2007/7 – n° 176,pages 183 à 202) tente de nous aider à y voir clair et pourtant il distingue encore « coopétition coopérative et coopétition concurrentielle » en les situant comme deux extrêmes d’une tendance nouvelles pour beaucoup d’entreprises : la coopétition est inévitable, autrement dit, l’individu ne peut plus exister seul dans une société en réseau, son identité ne s’écrit plus en l’absence d’un réseau. Jean Paul Sartre écrivait « l’enfer c’est les autres », qu’écrirait-il aujourd’hui ? Autrement dit un axe intermédiaire tente d’émerger.
Comment travailler la coopétition dans un contexte d’enseignement ? Dans un premier temps il s’agit d’identifier les sous bassements des pratiques culturelles et sociales de chacun des jeunes dans la tension entre individu et collectif. Ensuite il convient de faire travailler les élèves dans les deux contextes et dans leurs déclinaisons au cours de leur parcours d’apprenants. Enfin il est indispensable de repenser l’évaluation des acquis scolaires en intégrant la coopétition. Or dans la culture scolaire partagée, cette manière de voir est encore étrangère à la plupart des acteurs. L’observation des comportements spontanés des jeunes devrait pourtant nous alerter ; copie, entraide, plagiat, tutorat entre élèves etc… sont tous des signes qui nous révèlent les manières de faire qu’adoptent des jeunes qui tentent de se faire une place dans la société. Certains jeunes choisissent la copie, le piratage, le contournement pour obtenir le meilleur résultat. Seuls ils tentent de réussir et s’ils trouvent de l’aide c’est souvent sans volonté de collaboration réelle (dans le gang, les membres sont encore en compétition). D’autres jeunes choisissent le collaboratif, en partant du principe qu’en travaillant à plusieurs ils peuvent augmenter le potentiel de chacun. Mais cela suppose qu’ils renoncent à toute compétition entre eux ou qu’au moins, ils la limitent.
Les pratiques d’Internet, individuelles ou collectives, du monde scolaire ou du monde de l’entreprise, révèlent toute la tension grandissante entre l’individuel et le collectif. Au-delà des moyens techniques, révélateurs mais pas solutions, il y a des questions de conception de la vie et de l’homme. Souvent quand on parle des technologies de l’information et de la communication on oublie cette dimension, or le travail des usages nous y invite fortement. L’enseignant, l’éducateur est invité à repenser ses modèles d’enseignement à l’aune de cette problématique. Mais il ne le pourra qu’à condition que les visées du système éducatif soient collectives et non pas individuelles. Autrement dit, le numérique peut être l’occasion de rappeler que le système d’enseignement est au service de la construction sociale collective avant d’être au service des individus qui la composent. Malheureusement le modèle sélectif individuel domine, et la refondation de l’école est encore loin d’aller jusque là, à moins que…
A débattre
BD

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  1. […] Afin de préserver la sécurité des données recueillies, un ignifuge sera mis à disposition des intervenants. 30 mn pour comprendre ce qui se passe dans un groupe. Les pratiques collaboratives dans l'éducation – François Taddei. Et si la coopétition entrait dans le monde de l’enseignement. […]

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