Des livres (!) pour bien démarrer l'année 2013

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Parmi les livres parcourus au cours de cette fin d’année, en voici quelques uns qui pourront alimenter notre réflexion pour l’année 2013. La question du numérique fait toujours couler de l’encre, mais on est encore loin d’épuiser le filon… Sans entrer dans une hiérarchisation ou un tri de quelque manière que ce soit, hormis le hasard des rencontres et quelques impressions personnelles, voici donc de quoi remplir un peu plus une bibliothèque déjà largement tassée :

  • Geneviève Jacquinot, « Image & Pédagogie », nouvelle édition, éditions des archives contemporaines, 2012

Initialement publié en 1977, cet ouvrage disparu des rayons des librairies a été opportunément réédité cette année. En effet, il permet de lire à l’ère d’Internet ce qui était en question avec la télévision à la fin des années 70, en lien avec le monde scolaire. Geneviève Jacquinot, enseignante de lettres en collège puis professeur des Universités à Paris 8 (Vincennes à Saint Denis) a marqué la recherche dans le domaine des TIC en éducation. Cet ouvrage inaugure à la suite de Christian Metz et Michel Tardy, ce qui va devenir un courant important de recherche sur le lien entre éducation et technologies de l’information et de la communication. Dans cette thèse on y découvre en particulier deux notions importantes et toujours actuelles : celle d’intention et cette de didaxie . L’exigence scientifique présentée ici est bien connue. Nous sommes plusieurs à avoir eu la chance d’y être directement formés et à tenter de la continuer dans nos travaux. Ajoutés à la version initiale, m’introduction et l’entretien entre Geneviève Jacquinot et Joëlle le Marec sont absolument à lire car ils permettent de faire le lien entre cette époque et l’actuel développement du numérique. On y comprend que nombre de questions ne sont pas nouvelles (ne soyons pas amnésiques) mais prennent une importance nouvelle dans le contexte numérique. A lire ou à relire.

  • Boris Cyrulnik, entretien avec Denis Peschanski, « mémoire et traumatisme : l’individu et la fabrique des grands récits », Ina éditions, les entretiens de Médiamorphoses, 2012

Entre deux scientifiques (historien et neuropsychiatre) ayant chacun une expérience d’histoire de vie douloureuse (deux familles juives ayant subit la guerre de 39 45), l’échange porte surtout sur la mémoire et l’image. C’est en amont du récit que ce noue ce dialogue qui va chercher la place que tient l’image pour construire le récit actuel. Dialogue exceptionnel qui met en évidence le fait que la mémoire est d’abord d’image avant d’être de mots, et que les mots sont là pour sémantiser l’image. C’est dans cette possibilité de sémantiser l’image que réside leur possibilité d’acceptation, de compréhension alors que sans ce processus l’image est traumatisante au point d’en modifier la remémoration. Un petit ouvrage ô combien important pour mieux comprendre notre société des écrans.

  • Olivier Rollot, « la génération Y », Puf, mars 2012

Ce livre dont le titre s’inspire de la mode actuelle de classification systématique permet justement d’en explorer une et de tenter de situer ce qu’elle a de spécifique… Il est dommage que ce genre de livre ne fasse pas une petite part à une mise en débat transdisciplinaire… cela aurait permis un regard croisé avec d’autres approches des générations et donc d’autres modes d’interrogation. Au moins a-t-il le mérite d’essayer, de manière médiatique, de faire le point.

  • Stéphanie Boéchat-Heer, Bernard Wentzel (sous la dir), « Génération connectée : quels enjeux pour l’école ? », HEP Béjune collection Recherches 2012.

Ce livre universitaire est le rassemblement de plusieurs spécialistes de la question des TIC dans le monde scolaire. L’intérêt scientifique est évident, et les articles s’appuient de manière habituelle sur des travaux de recherche et peut donc paraître difficile d’accès. il n’en est rien. On pourra simplement regretté que l’un des volets contenus dans le titre ne soit pas davantage travaillé : la génération connectée est vue au travers du prisme de l’institution scolaire et plus généralement des institutions d’enseignement ce qui limite évidement le regard sur la question de ce qui change. En effet une partie de plus importante de ce qui change sur un plan cognitif est désormais issue d’un autre monde que le monde académique, or elle n’est abordée qu’au travers de sa rencontre avec l’école et non pas en tant que processus plus général, identitaire et cognitif, mais aussi économique et social.

  • André Mondoux, « Histoire sociale des technologies numériques de 1945 à nos jours », Editions Nota bene 2011

Aborder l’histoire des technologies numériques devrait être la base de la réflexion de tout acteur impliqué de ces technologies. Malheureusement dans ce domaine, l’effet nouveauté tend à s’accompagner de l’effet amnésie. Cet ouvrage vient à point nommé permettre de faire ce chemin, en prenant un itinéraire particulier, celui du social. Avec une approche théorique qui s’origine plutôt dans le cadre, entre autres, de la pensée de Marx, ce travail a le mérite de nous obliger à nous interroger sur le sens social des technologies mais aussi des sciences qui en sont les soubassements (cf. le travail sur la pensée de Wiener par exemple) et surtout de nous éclairer sur ce que ces travaux ont encore de retentissement dans la pensée contemporaine (la technique autonome par exemple). Un peu ardu, un ouvrage de référence en tout cas.

  • Cédric Biagini, « L’emprise numérique, Comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisé nos vies » Editions l’Echappée 2012.

D’emblée annoncé comme participant du mouvement libertaire, cet ouvrage tente un discours et une analyse radicale du développement (déferlement) technologique actuel. Pour qui n’a pas lu le « bluff technologique » de Jacques Ellul, ce livre pourra paraître visionnaire. Mais pour celui qui l’a lu, ce livre sera une réactualisation, située différemment sur un plan politique et spirituel, des questions posées au début des années 60 par certains philosophes des sciences. Tout comme l’histoire, la pensée divergente de la pensée commune est une source essentielle pour éviter de tomber dans l’illusion ou l’ignorance. Nico Hirtt avait aussi tracé ce chemin, mais avec un prisme un peu différent, Cet auteur prolonge le débat, jadis proposé aussi par l’école de Francfort et même avant par les penseurs utopistes du XIXè siècle.

  • Lucia Romo, Stéphanie Bioulac, Laurence Kern et Grégory Michel, « La dépendance aux jeux vidéo et à l’Internet », Dunod 2012.

Le débat sur les méfaits des écrans s’enrichit avec ce livre d’un travail spécifique de spécialistes de la psychologie et de la psychiatrie. Le terme de dépendance, plutôt que celui d’addiction, retenu dans le titre est le premier intérêt de ce livre qui s’ouvre sur une analyse de ces comportements que nous cataloguons souvent un peu vite. L’approche globale proposée dans ce livre parle autant des adultes que des jeunes (deux chapitres distincts et approfondis). C’est l’autre grand intérêt de ce livre de ne pas diaboliser la jeunesse face aux écrans mais bien de situer ce problème de manière globale. Enfin le troisième intérêt de cet ouvrage est de proposer des pistes de traitement (thérapie cognitivo-comportementale) dont la simple présentation suffit à nous rappeler que c’est en amont que se situe la prise en compte des écrans dans le développement de la personnalité et que la thérapie arrive toujours après… avoir laissé filer la parole.

  • Thierry Hoquet, Cyborg Philosophie, Penser contre les dualismes, Seuil, l’ordre philosophique, octobre 2011.

Ce livre a le mérite de poser une question qui semble éloignée de chacun de nous et qui pourtant est en train de venir sur le premier plan : homme ou machine que devenons-nous dans cette relation désormais de plus en plus complexe ? Nature et technique, Science et technique, nature et culture… des dualismes à dépasser et une réflexion de fond à engager au moment où des théories comme celle du transhumanisme (re)font surface (Ray Kurtzveil). Steven Spielberg, dans son film Hugo Cabret avait-il vu (en utilisant en plus la 3D) cette question comme récurrente dans l’histoire du développement des techniques ? En tout cas, ce rapprochement, que l’on me pardonnera peut-être, me semble être un indicateur d’une question qui émerge chaque jour : béquille ou prothèse, qui sommes nous devenus dans l’ère du numérique ?

  • Christophe Butstraen, « Internet, mes parents, mes profs et moi, Apprendre à surfer responsable » de boeck 2012

Voilà un livre qui ne fera pas date, tant il est situé dans le temps et par rapport aux outils présentés. Cependant il pourra aider certains adultes à y voir plus clair dans les questions qui se posent quand on donne accès au numérique à ses enfants. La préface, écrite par un commissaire de police, Olivier Bogaert, est évidemment situé dans le champ de la sécurisation. Malheureusement, derrière le bien fondé de la démarche, il serait illusoire de faire croire qu’un livre (tel que celui-ci en particulier) suffira à éviter les dangers en en faisant l’inventaire détaillé. Il y manque un vrai projet éducatif, une vision de la relation jeune/adulte, de la relation enfant/parent, de l’action des éducateurs fondée sur une conception explicite de l’humanisme à l’ère du numérique.
A débattre
BD

6 Commentaires

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  1. Merci pour ces conseils de lecture !
    Pour ma part, j’ai aussi apprécié la lecture de « L’école, le numérique et la société qui vient », livre collectif de D. Kambouchner, P. Meirieu, B. Stiegler, J. Gautier et G. Vergne (Janvier 2012) qui, pour un prix modique, donne des points de vue étayés sur la question du numérique et ses rapports avec l’école.

    1. Merci de votre proposition, mais permettez moi de m’inscrire en faux sur votre analyse de cet ouvrage : Non, il n’est pas étayé et les uns et les autres qui ont participé à cet ouvrage le reconnaissent volontiers en privé…
      J’ai lu avec attention cet ouvrage qui est intéressant mais davantage pour la réflexion qu’il propose que pour l’argumentaire scientifique qu’il propose. Il suffit de lire les travaux de recherche sur ces questions pour s’en rendre compte. Malheureusement le numérique et l’école sont deux objets qui font beaucoup parler, mais peu réfléchir de manière scientifiquement argumentée. Certaines personnes, particulièrement compétentes, qui étaient dans la salle qui a donné lieu à l’échange transposé dans ce livre m’ont confirmé cet état de fait.
      Pour moi cet ouvrage n’entre pas dans les lectures utiles de 2013, pas plus que je n’ai mis celui de Michel Serres (Petite Poucette Le Pommier 2012) qui dans un autre genre amène à réfléchir mais ne nous apporte pas vraiment un éclairage spécifique pour notre domaine. Par contre, et davantage encore dans ses échanges (comme ceux de ce 28 décembre sur France Inter, ou encore l’émission de M Finkielkraut), il nous invite à sortir de nos catégories habituelles ce que je n’ai pas trouvé dans les dires et écrits de nombre d’autres débatteurs, philosophes, parfois, à l’occasion.
      Au plaisir d’en débattre

  2. Merci pour cette invitation à lire de « vrais » bons livres en 2013, et voici encore une idée de lecture qui fait le lien entre le passé et le « futur présent » en matière de didactique et technologies : Muriel Grosbois (2012). Didactique des langues et technologies. De l’EAO aux réseaux sociaux. Paris : Pups. http://pups.paris-sorbonne.fr/pages/aff_livre.php?Id=995

  3. Bonjour Bruno,
    Je viens de lire votre réponse… et la trouve un peu sévère 😉
    Tout d’abord, je n’ai pas eu la chance d’assister aux échanges concernant cet ouvrage et sans doute avez vous raison quand à la faiblesse de l’argumentaire scientifique mais ce n’était pas tout à fait l’objet de mon propos.
    Pour un ouvrage aussi concis et organisé comme un dialogue, l’étayage était plus dans la structuration des réponses et des avis donnés. Par contre ces idées trouvent racine dans d’autres ouvrages antérieurs de ces mêmes auteurs certainement plus riches de références. Si cela peut donner envie de les lire, c’est aussi donner à réfléchir sur ces problématiques en ce début 2013. Quand je lis votre proposition d’ouvrages, je ne peux m’empêcher de penser que certains nécessitent une culture plus large pour en saisir toute la portée.(Par exemple penser contre les dualismes).
    Pour ce qui est des ouvrages plus techniques et argumentés scientifiquement, je serais aussi plus nuancé. Tout comme vous, je pense que l’histoire des technologies est pertinente pour prendre de la distance et saisir des mouvements ou tensions dans l’évolution des outils et leur utilisation. Mais s’agissant d’une histoire externe à ma discipline, comment exploiter son étude et la replacer dans mon contexte d’enseignement sans me construire une culture scolaire et numérique des tice avec d’autres auteurs et d’autres ouvrages ?
    De nombreux argumentaires scientifiques même de niveau universitaire sont construits avec des protocoles très précis et réducteurs (paramètres, protocoles déterminés avant pour obtenir des résultats objectifs). La valeur de l’argumentation et des résultats est certainement réelle mais souvent inappropriée dans le cadre d’une expérimentation des tice au cours de mon activité d’enseignement. (Inadaptation des outils à mon contexte de travail, sujets tests différents du public utilisateur des tice propre à mon établissement, etc.). C’est pourquoi, je resterai prudent pour juger de la qualité d’un ouvrage à l’aune de l’argumentaire scientifique. La pertinence des recherches scientifiques se réduisant souvent à un champ d’étude spécifique dans un domaine des tice très vaste.
    En relisant votre liste d’ouvrages, Je constate des réflexions argumentées (parfois pointues) et un ensemble éclectique. 3 idées qui me viennent à l’esprit :
    – la pluralité des champs d’études et des auteurs qui donne une culture diversifiée
    – l’intérêt de certains ouvrages pour faire le lien entre « avant et maintenant » et favoriser une mise à distance
    – être capable de transposer ce qui est lu en dehors de notre champ de compétence (psycho, socio, linguistiques, etc.) et le mettre en relation avec notre propre expertise tice
    Je pense que pour construire cela une plus grande pluralité des ouvrages à lire y contribuerait. Chacun pouvant élaborer son propre jugement et formaliser un argumentaire critique comme vous nous l’avez aimablement proposé pour chaque ouvrage de votre liste.
    Le choix d’une liste est forcement personnelle et avec une intention. Pas évident d’en cerner les contours lors d’une première lecture et de se positionner sur le caractère utile ou non des lectures proposées.
    En toute amitié
    Pascal N.

    1. Bonjour
      Merci beaucoup pour la qualité et la densité de votre réponse. De fait le terme éclectisme me semble plus exact que celui de pluridisciplinaire. Car non seulement nous avons intérêt à fréquenter des champs disciplinaires voisins, mais aussi nous avons intérêt à fréquenter d’autres formes d’écriture que celles à laquelle nous sommes habitués. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher cette réflexion de la questions des algorithmes des réseaux sociaux, dont Dominique Cardon nous explique (edge rank) qu’ils renforcent la tendance à rester au contact de sa communauté d’appartenance et à ne pas explorer d’autres territoires. En d’autres termes nous sommes tous poussés à aller vers les personnes qui sont proches de nous et qui partagent nos sujets de préoccupation. C’est d’ailleurs ce qui fait illusion sur les réseaux sociaux où très rapidement les amis peuvent tourner en rond, entre eux, en se croyant populaires.
      Mais votre propos va beaucoup plus loin et nous incite à la réflexion sur nos choix de lectures et de références. Sans illusion sur le propos dit scientifique, je suis toujours soucieux de pouvoir dire ce sur quoi je me base pour affirmer telle ou telle chose, et je crois que vous partagez ce souci.
      Vous interrogez aussi le lien entre recherche et pratique. Justement c’est le propos de Geneviève Jacquinot, mais vous retrouverez aussi ce questionnement dans un autre ouvrage dans un autre domaine, la psychologie cognitive (Mireille et Claude Bastien, « apprendre à l’école » Armand Colin 2004). C’est aussi le problème de la recherche action, dans laquelle j’ai été longtemps baigné mais pour laquelle je me suis aperçu que l’on avait tendance dans l’action à oublier la recherche, tout comme dans certaines recherches on peut oublier l’action. Mais tout dépend des objectifs que l’on vie. De toute façon prendre de la distance avec sa pratique (d’action ou de recherche) est indispensable et les meilleurs moyens me semblent être l’éclectisme, la curiosité, l’étonnement et le débat (à condition qu’il soit honnête).
      Enfin pour enrichir encore notre liste de lecture, on renverra aussi à Hartmut Rosa et ses deux ouvrages récents sur l’accélération.
      Quand à ma sévérité, je crois qu’elle s’impose d’autant plus ici que les personnages en question sont suffisamment publics pour être encore davantage questionnés sur la valeur de leurs prises de parole…
      Merci encore
      Cordialement
      Bruno Devauchelle

  4. Un oubli, celui du livre de Jocelyn Lachance : « L’adolescence hypermoderne. Le nouveau rapport au temps des jeunes », Presses universités de Laval, Collection : Sociologie au coin de la rue, Novembre 2011. La présentation de ce livre ce suffit de cette interview en vidéo sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=4QyB-g1TJOM.
    A suivre

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