Hybridation, métissage et numérique

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Depuis quelques années le mot « hybride » a pris une place importante dans le vocabulaire de l’ingénierie de formation, en particulier pour ce qui concerne la place des moyens numériques. Blended Learning, e-learning, et autres expressions proches fleurissent dans le paysage commercial et technique et de la formation. Malheureusement, quand cet emploi est davantage commercial que technique, les définitions deviennent plus floues et surtout elles ont une tendance bien connue : faire croire en la nouveauté ! Le sigle FOAD (devenu acronyme) qui a émergé à la fin des années 1990 mettait en avant l’idée que le tout présentiel (cours) et le tout distanciel (FAD) devaient évoluer vers une forme intermédiaire. Elle prendra progressivement l’appellation d’hybride. Reprenant pour l’ingénierie de la formation un terme plus générique, s’appliquant à de nombreux contextes, la notion de formation hybride s’est imposée comme on peut le constater dans l’étude Hysup qui donne la définition suivante : « Dispositif hybride : tout dispositif de formation (cours, formation continue) qui s’appuie sur un environnement numérique (plate-forme d’apprentissage en ligne). Ce dispositif propose aux étudiant-e-s des ressources à utiliser ou des activités à réaliser à distance (en dehors des salles de cours) et en présence (dans les salles de cours). La proportion des activités à distance et en présence peut varier selon les dispositifs. » http://prac-hysup.univ-lyon1.fr/).
Cette définition est liée à un contexte spécifique. Il est intéressant d’interroger plus largement toutes les formes d’hybridation que l’on peut concevoir dans la formation (et bien sûr dans d’autres domaines). Pourquoi ? Parce que l’on suppose, on fait l’hypothèse, que le processus d’hybridation modifie et, peut-être, enrichit les dispositifs qui ne le sont pas. Il faut alors faire appel à un autre terme, celui de « métissage », que l’on peut considérer ici comme, sur un temps long, l’effet de l’hybridation. L’histoire de l’humanité indique très nettement le rôle du métissage dans la construction des sociétés. Mais nous avons vu aussi, au cours du temps, que la lutte contre tout métissage (à la recherche de l’humain idéal, voire parfait) avait aussi des supporters. L’hybridation serait donc une chance, mais aussi un danger. Alors faut-il prendre le risque du métissage ?
Avant de tenter d’éclairer ce point rappelons ci-dessous un éventail (non exhaustif) mais très large des hybridations possibles dans un environnement académique ou de formation. Sous le terme variation, nous signifions les possibles sources d’une hybridation envisageable.
Variation des supports : Multimodalité – vidéo, son, image, immersion, réalité virtuelle, augmentée
Variation des contextes : En amphi, en salles mobiles, en extérieur, en atelier…
Variation des modalités : Autoformation, travaux de groupes, jeux de compétition, coopétition…
Variation des publics : Formation initiale, continue, jeunes, anciens, experts, novices…
Variation des espaces et des temps : Présence, distance, alterné, continue, interstitiel
Variation des activités qui permettent d’apprendre : Simulation, expérimentation, observation, controverse, confrontation…
Variation individuel et collectif, : Travail individualisé, projet, réalisations ….
Variation du mutuel et simultané : Magistral, co-enseignement co-apprentissage…
De plus si nous analysons les dispositifs de formation de toutes nature, on s’aperçoit que ce sont de multiples hybridations qui peuvent être mises en place, et qui le sont en réalité très souvent. Le poids d’une forme scolaire basée sur la règle des trois unités (temps, lieu action) du théâtre est tel qu’il a quasiment imposé la non hybridation comme cadre pour toute action de transmission. Entre ce qui est dit et les réalités des acteurs de terrain, en particulier dans l’enseignement, on constate que les pratiques sont plus souvent hybrides qu’on ne le pense. Toutefois l’enseignement supérieur, marqué par le modèle du cours magistral en amphi tente progressivement de s’en éloigner, mais est confronté à plusieurs difficultés : spécialisation disciplinaire, quantité d’étudiant à former, absence de culture pédagogique chez la plupart des enseignants (souvent d’abord des chercheurs), faiblesse assez globale des ingénieries de dispositif d’enseignement et de formation.
Il faut faire un lien entre la montée de l’hybridation et le développement d’une vision plus individualiste ou plus différenciée de la transmission des savoirs (et plus généralement dans le cadre de la postmodernité). Le constat de l’hétérogénéité des élèves et des étudiants renvoie à l’enseignant la question de sa forme parfois monolithique d’enseignement. Au-delà de l’angoisse ou au moins le désarroi parfois exprimé par des enseignants face à des étudiants hyperconnectés se pose la question pédagogique : comment faire cours pour prendre en compte ce contexte ? Plusieurs pistes ont été proposées dans différents milieux (on notera en particulier les textes d’Amaury Daele et ses collègues). Il semble bien que l’hybridation soit une des formes de réponse possible. Cependant en ne pensant qu’une hybridation numérique on oublie que ce dernier est d’abord un intermédiaire et que son utilisation va renforcer un potentiel d’hybridation. Mais l’enseignant sait aussi que l’hybridation n’est rien si l’on n’obtient pas un métissage.
Altérité, altération, métissage sont au coeur d’une problématique humaine, problématique du vivre ensemble, du faire société. Si je refuse toute altération, je vais alors me replier sur moi-même et ce que je connais déjà. C’est une des faiblesses humaines les mieux transmises à l’informatique et aux algorithmes : renvoyer l’usager à sa communauté, la renforcer. C’est presque décider pour lui ce qui lui convient… Or le métissage c’est sortir de cela. C’est la curiosité, la capacité d’étonnement, et l’acceptation intime du changement personnel. Il est donc important que les éducateurs sachent mener les hybridations de toutes formes si l’on veut que la société de demain soit autre chose qu’un affrontement de territoires, de communautés. Une pédagogie de l’hybridation mériterait d’être imaginée… souhaitons qu’elle advienne.
A suivre et à débattre
BD

2 Commentaires

  1. Bonjour,
    J’imagine que vous connaissez déjà cette référence mais impossible de ne pas faire un lien entre votre texte (manifeste peut-être même…) et les ambitions de ce réseau d’enseignants du supérieur aux Etats-Unis : http://www.digitalpedagogylab.com/hybridped/hybridity-pt-2-what-is-hybrid-pedagogy/ on retrouve là toutes les facettes de l’hybridation que vous évoquez et qui nourrissent une approche diversifiée de l’enseignement.
    Merci pour votre travail toujours inspirant. Bel été !
    JFT

    1. Bonjour
      Merci de cette référence que je ne connaissais pas. Comme quoi il peut y avoir des pensées convergentes… même si mon propos est plus récent que celui là. En fait ce genre de texte s’inscrit dans la logique d’évolution d’une analyse et de recherches sur le développement des moyens informatiques dans l’enseignement.
      BD

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