Quand la généralisation du numérique bouscule l'autorité

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Le débat ouvert autour des estrades en salle de classe révèle un débat bien plus important sur la question de l’autorité de l’enseignant dans la classe. Nombre de chroniqueurs, éditorialistes, et autres politiques et polémistes relève, et cela de manière récurrente, qu’il faut restaurer l’autorité en classe. Au même moment, ces mêmes professionnels de la parole publique déplorent, critiquent, voire poussent des cris d’orfraie, contre l’autoritarisme d’un jeune chef d’état qui veut encadrer leur activité, comme celle des militaires et d’autres encore. Dans la salle de classe, comme dans la sphère du débat public, il y a deux problèmes conjoints : d’une part le rapport à l’autorité, d’autre part le rapport à l’autoritarisme. Or en mêlant systématiquement les deux sens autour d’un même mot, on en vient à faire perdre toute valeur au mot autorité.
Le terme autorité est d’abord un terme qui est porté par le mot « auteur » (Maryse Emel, Slate, avril 2015 http://www.slate.fr/story/99585/autorite) et qui en aucun cas ne peut se réduire à l’idée d’autoritarisme. Autrement dit avoir de l’autorité ne signifie pas user de moyens de rétorsion, voire de violence ou de contrainte pour l’imposer à l’autre. Avoir de l’autorité c’est d’abord être reconnu comme auteur par l’autre et l’acceptation de l’autorité (légitimation) s’est parvenir à se sentir devenir aussi auteur. Ainsi contrairement à l’idée souvent associée de soumission, faire autorité est au contraire un acte qui peut être libérateur. Cependant dans une société comme la nôtre qui a longtemps confondu autorité et autoritarisme, et qui a fondé son système éducatif sur une ambiguïté – libérer et soumettre en même temps – l’inconscient collectif et les représentations sociales portent largement la confusion et limitent toute clarification.
L’autorité de la parole (orale ou écrite) se trouve actuellement questionnée par un phénomène technique apparu au milieu des années 1990 et qui a transformé la circulation de la parole et donc de l’information : Internet et surtout le web. Quand, aux premières heures de l’informatique personnelle nous rêvions de programmer ces machines, aux premières heures du web (HTML) nous avons rêvé d’une expression de tous, sans intermédiaire, sans le filtre institutionnel qui donne à la parole une autorité légale (carte de presse et autres). Mythe de la démocratie directe, mythe de l’autodidaxie pour tous, mythe de la parole libérée des intermédiaires, nous sommes nombreux à nous être pris à rêver de cette nouvelle autorité, permise par la technique. L’exemple de la multiplication des blogs (les fameux skyblog) créés par de nombreux jeunes qui découvraient cette possibilité de s’exprimer en direct puis l’engouement pour les réseaux sociaux ont donné à la parole de nouveaux canaux et une nouvelle autorité. Il faut toutefois rappeler que le potentiel d’autorité ne se transforme pas automatiquement en activité d’auteur, comme l’abandon de nombreux blogs peu de temps après leur création le confirme.
Les débats sur les réseaux sociaux au sein de groupes qu’ils soient fermés ou ouverts n’est pas un signe d’une nouvelle autorité en soi. Par contre c’est le signe que la légitimation de l’autorité passe désormais aussi par ces canaux. Si dans certains cas on peut penser à l’autorité de la parole dans une conversation, il faut reconnaître qu’on est bien parfois au-delà de l’acte de converser qui est pourtant très présent et qui constitue la principale pratique. L’audience de certains propos en ligne et surtout de ceux mis en vidéo est révélatrice du fait que les « auteurs » nouveaux sont arrivés. Les fameux « youtubeurs » dont les médias se sont largement fait écho au cours de l’année écoulée ont atteint des « audiences » qu’il aurait été impossible d’obtenir sans ces moyens techniques de conception et de diffusion. L’audience, qui est aussi une forme de reconnaissance de l’autorité, ne suffit pas dans tous les contextes. C’est bien la question initiale de ce billet : comment l’enseignant peut faire autorité face à ses élèves, sa classe ? Suffit-il de faire des vidéos en inversant sa classe ? Faut-il relayer ce que l’on trouve sur la toile pour assurer auprès des élèves sa propre autorité ? Faut-il même avoir sa propre chaîne YouTube ?
Quand on lit les comptes-rendus d’expérimentations basées sur l’usage des moyens informatiques et numériques en classe on remarque la récurrence du terme motivation. Cela signifie que l’élève a, au moins dans un premier temps, un rapport à l’activité qui est positif. Autrement dit cette activité fait autorité. Mais quand on remarque qu’après une première phase de découverte, cette motivation s’estompe, on peut se dire que la question n’est pas celle de l’autorité. Dans la littérature pédagogique on lit souvent : il faut « que les apprentissages fassent sens », ou encore il faut « donner du sens aux apprentissages ». Les deux éléments que nous venons d’évoquer indiquent que l’autorité ne s’impose pas, mais qu’elle se construit dans une interaction humaine. Le pouvoir des machines comme celui des contenus ne va pas de soi.
La question de l’autorité est alors une question de rencontre culturelle entre une génération et une institution. La généralisation des usages des moyens numériques dans la vie quotidienne modifie les contextes de manière suffisamment importante pour que l’on doive repenser la notion d’autorité. La plupart des jeunes ne sont pas en refus d’autorité, ils sont en recherche de compréhension des lieux de l’autorité. Voir des adultes être incapables de laisser de côté leur smartphone pendant les repas familiaux, par exemple, et ainsi de rompre les interactions familiales c’est une source de modification de l’autorité. Mettre à disposition des parents les notes d’un devoir via l’ENT ou autre sans prendre le soin de les donner d’abord aux élèves, c’est une source de modification de l’autorité. On pourrait multiplier les exemples dans de nombreux domaines.
Demandons aux adultes, en particulier aux éducateurs, ce qu’est pour eux l’autorité aujourd’hui dans un monde peuplé de technologies pervasives avant de les installer sur une estrade au risque que l’autoritarisme étouffe l’autorité !!!

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