Quel avenir pour les médias de flux et le journalisme ?

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La plupart des personnes de quarante ans et plus est née à l’époque de la domination des médiations techniques et humaines imposées par les principaux circuits de diffusion de l’information et par les professionnels qui y contribuent. L’information écrite, audio et audiovisuelle est alors contrainte par un système technique qui impose une centralisation avant une redistribution générale. Poste de radio, poste de télévision, journal distribué tôt le matin, les principaux moyens d’information sont construits sur la base d’un contrôle des flux qui s’appuie d’abord sur la contrainte technique de la conception mais aussi des terminaux de réception. Ce contrôle se double aussi de celui d’une intermédiation professionnelle assurée en grande partie par les journalistes ainsi que des animateurs et autres responsables de diffusion des contenus qui circulent sur ces systèmes de diffusion. Il est intéressant de noter que la forme scolaire s’est construite aussi sur le même contexte et a donc développé un type d’organisation assez proche. On peut parler en quelque sorte de paradigme structurel, à un moment de l’histoire de l’humanité.
A la fin des années 1970, début des années 1980, la possibilité de faire de la radio s’ouvre à tous du fait d’une évolution technique et d’une possibilité d’utiliser des canaux variés de diffusion. Les radios libres ouvrent à des non professionnels la possibilité de prendre la parole et ainsi de transformer les circuits de l’information de flux et de masse. La brèche ouverte se refermera toutefois très vite avec les réglementations successives qui feront rentrer dans le rang nombre d’initiatives démocratiques. Cette ouverture a permis de percevoir un potentiel dans cette mutation. Alors que du fond d’un studio improvisé dans un marché aux veaux de la campagne bigoudène nous faisions des émissions de radio (Radio Bro Vigoudenn… pour ceux qui s’en souviennent), nous découvrions ce potentiel d’expression. La télévision a un moment été aussi envisagée comme pouvant suivre le même chemin, mais les questions techniques étaient plus nombreuses, de même que les contraintes économiques de fabrication et de diffusion. L’avènement de l’informatique personnelle (cf. la revue l’ordinateur individuel créée en 1978) va attirer nombre d’acteurs qui cherchent à comprendre cet environnement technologique en train de se créer et les listings de programmes s’échangent. Les BBS (Bulletin Board System) ancêtres d’Internet, populaire alternative au minitel, se développent au début des années 1980 et l’on commence à voir apparaître ces mouvements de partage et de coopération. S’il est vrai que c’est très souvent dans le milieu de l’informatique ou des passionnés que se développent ces pratiques on voit là le terreau de pratiques issues du monde associatif (bien antérieur lui) qui avait déjà su mettre en place des réseaux alternatifs, mais limités le plus souvent du fait des contraintes techniques.
Si la domination des médias de flux ne va pas se démentir complètement, même encore aujourd’hui, une évolution de fond est en train de prendre corps. Malgré des hauts et des bas, l’alternative est en construction et la technique offre une opportunité de reconstruire les intermédiations sans justement se laisser limiter par ces mêmes techniques désormais aisément accessibles. Chacun de nous peut désormais construire et diffuser son « discours » en ayant des limites techniques nettement moins contraignantes. Même s’il faut passer par un support technique (FAI) pour entrer dans le réseau et y participer, cet accès est très aisé même sans connaissances techniques et professionnelles. Mais entre le potentiel et la transformation des pratiques il y a un écart qui peut être important. Il semble bien qu’une grande partie de la population n’envisage pas de passer de la conversation à la fabrication/diffusion d’informations ou de savoirs. Cette attitude est d’abord marquée par la hiérarchie de la parole que l’on apprend à intégrer dès l’école. « Tu parleras quand tu auras quelque chose d’intéressant à dire » se voit reprocher le bavard dans la classe. Quand il n’est pas simplement puni pour avoir pris la parole sans qu’il y soit invité, même quand il ne lève pas le doigt, pressé qu’il est de donner la réponse. Et là encore, seulement la bonne réponse, bien sûr.
Le statut de la parole autorisée est intériorisé par chacun de nous à tel point que nous ne prenons pas la parole dans certains espaces, en particulier publics et partagés. Il y a plusieurs niveaux de prise de parole : la simple réaction sur twitter ou un commentaire sur un article ne sont pas de même niveau que la tenue d’une chaîne Youtube, d’un site Web ou d’un blog. Sur les réseaux sociaux, il y a parfois un mélange entre ce que l’on peut qualifier de niveau conversationnel/communicationnel et le niveau informationnel. Or c’est là que s’établit une distinction importante : entre ceux qui produisent de l’information et les personnes qui réagissent aux informations ou parfois plus simplement les relaient. Or la fonction journalistique est bien une fonction de relais dans la société. On a vu apparaître depuis les débuts du web ouvert à tous une nouvelle catégorie d’acteurs qui, n’ayant pas le statut de journaliste font œuvre de journalisme. De même on a vu des sites qui, sans revendiquer un statut journalistique, sont pourtant des espaces de rassemblement et de diffusion de productions variées (nous pensons là aux sites de curation ou plus encore les sites de revues en ligne (l’un des derniers exemples apparus étant le site The Conversation qui revendique justement un entre deux).
La fonction journalistique n’est pas le métier de journaliste. Mis en cause de manière récurrente, les professionnels du journalisme tentent de se défendre parfois bien maladroitement en se drapant dans une légitimité a priori. Or ce qui pose problème c’est justement cette légitimité a priori. La garantie de qualité, pour un journaliste, ou encore un enseignant ou un médecin, ne se suffit pas d’une qualification professionnelle ou même d’une reconnaissance légale. Ce n’est pas une question de concurrence, mais plutôt d’évolution des fonctions de médiations dans la société. Certains voient dans les systèmes automatiques (exemple de la recherche automatique de contenus délictueux) basés sur des algorithmes une des solutions. Ceux-ci pourraient même aller jusqu’à composer automatiquement des articles en se passant de tout intermédiaire humain… Remplacer le discernement humain par le discernement machinique, outre une désappropriation de compétences, ce serait la reconnaissance d’un fonctionnement simpliste de l’humain, modélisable et mécanisable. Peut-on y croire ? peut-on l’espérer ? Malheureusement ce serait renoncer à l’intelligence humaine, l’intelligence éducative, cette particularité de l’humain qui face à n’importe quelle situation reste toujours capable d’inventer de nouvelles propositions. Les journalistes, comme les enseignants, voient leurs fonctions mises en question. Il est temps qu’ils continuent de prouver la pertinence de leur travail s’ils ne veulent pas qu’on modélise leur pratique et qu’on les mécanise….
A suivre et à débattre
BD

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