Continuité et ou rupture (texte en débat)

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La proximité entre la manipulation technique et le résultat de cette manipulation peut être illustrée par la programmation informatique.

La rupture peut être illustrée par le passage de l’information, comme objet porté par un courant, à l’information comme n’ayant d’existence que dans le sens que l’utilisateur lui donne.

 

Cette opposition entre proximité et rupture est au coeur de la question des savoirs scolaires à enseigner et du chemin qui permet de conduire à leur connaissance. Elle est aussi illustrative, ici à propos de l’informatique, de la question de l’apprentissage de l’abstraction. Dans ses deux ouvrages, Britt Mary Barth, à l’instar des travaux de Jérome Bruner, de Lev Vigotski ou de Howard Gardner, a su montrer la difficulté que rencontrent un grand nombre d’élèves à entrer dans le processus d’abstraction pour ensuite installer des capacités à traiter ces objets abstraits une fois appris. Elle a tenté de mettre en avant l’idée qu’il fallait retravailler le lien entre les mots que l’on emploie et les réalités qu’ils désignent pour chacun, non pas dans la seule définition, mais dans l’utilisation concrète et efficace de ces mots (concepts).

 

Je me souviens de longs débats, jamais terminés parfois, qui jalonnaient les sessions de travail qu’animait Britt Mary Barth. Probablement parce que l’abstraction est affaire de renoncement et d’acceptation, c’est à dire de rupture. Dans le cas de l’informatique, l’enseignement de la programmation est un exercice qui, et je ne parle que de la scolarité obligatoire, est exposé à ce risque de rupture. Il en est de même, et j’ai pu l’observer chez des élèves en début de cycle 3, de la compréhension de composants informatiques invisibles comme le microprocesseur, la mémoire et aussi le disque dur. Dès lors tout enseignement qui veut faire acquérir un niveau de connaissance de ces objets est menacé par la difficulté à abstraire. C’est encore plus drôle lorsque l’on a montré l’objet en question de manière isolée et qu’ensuite on le remet dans son contexte normal. Quand l’objet est séparé, l’enfant peut le nommer ainsi que ses caractéristiques, quand l’objet est devenu invisible, l’enfant est la plupart du temps perdu pour retrouver ces caractéristiques.

Comme l’avait suggéré Jean François Cerisier à propos des fausses représentations d’Internet, il est logique que les jeunes n’accèdent pas aux bonnes connaissances et compétences par le seul usage intuitif. Cependant le passage par la construction de schèmes opérationnels est essentiel pour accéder à la maîtrise des outils qui nous environnent. Or la construction de ces schèmes est fortement lié à l’ergonomie des outils et aux contextes de mise en oeuvre. Ce contexte doit aussi inclure le discours général sur l’outil influencé par l’imaginaire populaire, orienté par les médias. Les machines informatiques embarquent de plus en plus de logiciels invisibles à l’usager, rendant de plus en plus difficile la construction de représentations correctes de la machine. Claude Bastien a démontré que chez les experts se produite le même phénomène, alors que eux ont eu accès au savoir savant, avant de devenir usagers. autrement dit la représentation de l’abstraction est avant tout fonctionnelle.

 

En d’autres termes, acquérir des connaissances n’a pas de sens si une mise en fonction de ces connaissances n’est pas effective. La question de la modification de la connaissance de l’expert du fait même du développement de son expertise est à mettre en écho avec la disparition presque totale de connaissances acquises lors de la scolarité.

 

Ainsi le problème de l’enseignement de l’informatique est-il à questionner aussi sous cet angle. A savoir comment permettre le passage à la double abstraction technique et intellectuelle qu’impose l’informatique fondamentale. On opposera aisément l’enseignement des mathématiques à cette remarques. Mais à aller un peu vite on risque d’oublier ce que sont devenues les connaissances mathématiques tout au long de la vie de chacun de nous : des bribes affectives pour certains, des outils quotidien pour d’autres mais bien souvent enfouies dans des dispositifs techniques qui n’en montrent plus que les extrémités. Ainsi en est-il de l’utilisation des logiciels de statistiques par exemple qui remplacent souvent des heures de calcul, d’application de formules complexes que désormais l’informatique rend invisibles. Il reste quand même à comprendre ce que l’on fait avec ces traitements automatisés. Or la complication des procédés mis en oeuvre là est telle que le niveau d’abstraction est extrême et donc difficilement abordable par la plupart des personnes qui n’en font pas un apprentissage avancé. Alors se repose la question du niveau d’abstraction auquel il convient d’accéder quand on est utilisateur d’informatique dans des dispositifs techniques ordinaires. Et se repose aussi la question de savoir quand et comment y accéder.

Attention, plusieurs pièges nous sont tendus : utilitarisme des apprentissages, perte d’un niveau de maîtrise. Malheureusement pour l’informatique la question du sens de l’information (et de la communication numérique) vient troubler le débat. Quelle est l’urgence en particulier dans le cadre de la scolarité obligatoire ? A répondre les fondamentaux de l’informatique on oublierait qu’ils sont si enfouis qu’il seraient étrangers. A répondre l’usage, on oublierait le sens de l’usage orienté par des choix technologiques.

Il me semble qu’il faut construire un corpus de savoirs accessibles selon les niveaux et qui soit en lien avec les usages et qui puissent être convoqués lorsque ces usages se construisent ou sont en oeuvre. C’est parce qu’à l’occasion d’un usage on aura su faire le lien avec ce corpus de concepts que l’on pourra dégager ce que d’aucuns appellent les constantes et d’autres les invariants. C’est parce que l’usage questionnera simultanément les deux niveaux de l’information qu’il pourra amener au sens et à la maîtrise.

 

A suivre

 

BD

1 Commentaire

    • Roger WTT sur 4 janvier 2009 à 23:23
    • Répondre

    « Continuité ET OU rupture » me semble superflu dans votre titre d’article. La conjonction « ou » est inclusive par défaut et la redondance me semble inopportune dans un propos mesuré comme le votre.
    Faites un effort SVP

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