Peut-on encore se faire son opinion, avoir ses analyses ?

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On reparle, en ces premiers jours de juillet de portable à l’école. La loi « relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, » est encore en discussion avec les propos des sénateurs en direction du lycée, cherchant à modifier à nouveau le texte voté début juin (voir les liens ci-dessous). Outre la complexité de la procédure qui voit un texte adopté revenir en discussion…, on ressent la tension entre les deux assemblées sur ce sujet d’ailleurs largement signalée lors du refus de la commission mixte d’adopter, début juin, les modifications apportées par le Sénat. Premier problème posé à celui qui veut comprendre ce qui se passe, les textes présentés en ligne montrent les modifications sans donner le texte intégral modifié ce qui rend la lecture compliquée et difficile. On peut s’étonner de ce problème de communication qui empêche de rapidement analyser les textes en débat.
Comment se fait-il que la presse (principalement) de flux (journaux, radios, télévisions) n’aient pas cru devoir donner accès au texte voté sur les téléphones portables à l’école pour s’en tenir à leurs seuls commentaires. Rares sont les médias qui ont fait à l’instar du Café Pédagogique, un lien sur les éléments « officiels » du débat et son résultat. Mais aucun ne semble en mesure d’aider à comprendre en donnant accès au texte complet lisible incorporant réellement les modifications.
Mais plus inquiétant, pourquoi tout le monde, et les médias en particulier, parle « d’interdiction du portable à l’école » alors que le texte s’intitule officiellement : loi « relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges ». En effet il y a une différence nette entre la simple interdiction et la définition d’un cadre d’usage (et donc de non usage).
Pour poser plus clairement le problème : alors que l’on parle d’éducation aux médias, on observe ici une tentative lourde de manipulation de l’opinion en ne lui faisant passer qu’uniquement un aspect du problème. D’un côté les pouvoirs publics qui rendent complexe l’accès au texte final, de l’autre les relais d’opinion qui s’empressent de ne signaler qu’un aspect de ce texte, le plus coercitif. Les débats qui ont eu lieu début juin dans les assemblées reflètent bien d’une part l’opacité des points de vue et d’autre part la volonté médiatique d’un impact fort. Or il est question d’autre chose qui dépasse largement la loi : l’éducation de la population. Ici nous parlons bien sûr de toute la population et pas seulement de la jeunesse scolarisée. Michel de Certeau avait, il y a longtemps, signalé cet écart entre la culture de masse et la culture scolaire. Nous en avons ici une illustration remarquable.
Notre propos n’est pas ici de dire si la loi est bonne ou mauvaise, mais d’essayer de comprendre si l’on dispose de suffisamment d’outils pour, en « citoyen éclairé », « discerner » dans les éléments du débat. La réponse est manifestement négative pour l’instant. Contrairement à l’inspiration des fondateurs de l’école et de son souhait de donner accès au savoir pour mieux participer à la nation, se manifeste en ce moment, du fait du contexte actuel marqué par le fameux « pouvoir des médias », une volonté parfois non consciente de ne pas donner accès aux informations nécessaires au jugement. L’audition de plusieurs débats entre élus n’est pas plus rassurante que la lecture des manchettes des journaux. Se faire une opinion suppose de dépasser les premières lignes de ce que l’on veut nous montrer. Encore faut-il pouvoir y accéder…
Dans son ouvrage sur l’ignorance, Mathias Girel met en évidence la variété des formes que peut prendre l’ignorance et entre autres celle, volontaire, de celui qui veut maintenir l’ignorance de l’autre. L’impression que donne ce débat engagé dans la campagne présidentielle est justement celle-là : on met en avant un slogan « interdiction du portable à l’école » et on freine toute velléité d’aller voir au plus près ce qu’il en est. Si l’analyse des débats politiques et les différents articles dans la presse de flux comme dans la presse en ligne interactive montre bien cette tendance à imposer un « point de vue », on peut identifier l’intention, commerciale ou politique d’influer sur la manière de percevoir une proposition. Cela s’appelle simplement de la manipulation et elle est d’autant plus importante qu’elle s’appuie sur des alliés qui sont justement censés devoir la combattre. La collusion de certains professionnels avec la communication « volontaire » de structures étatiques n’est pas nouvelle. Toutefois le danger est bien sûr le risque qu’il peut y avoir à aller à l’encontre de cette communication. Certains pays proches de la France s’emparent de cela jusqu’à emprisonner les contradicteurs. En France on se contente d’interdire, de limiter, de barrer l’accès de certains (de nombreux cas en attestent), mais il s’agit bien de la même logique : contrôler l’information. Cette manière de faire est dans la continuité des pilotages de type dictatoriaux qui révèlent souvent un mépris du citoyen, du peuple, de la culture de masse.
Ouvrons les yeux sur ces tentatives de nous imposer un point de vue, une opinion et essayons d’aller voir au-delà des apparences. C’est une attitude responsable et éthique à laquelle il faut chacun nous atteler.
A  suivre et à débattre
BD
 
Texte voté début juin suite à la navette -assemblée/sénat et l’avis de la commission mixte : 7 juin 2018
https://www.senat.fr/leg/ppl17-558.html
PROPOSITION DE LOI
ADOPTÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges,
modification proposée par la commission du sénat en charge du dossier, qui tente de modifier le texte et de l’étendre au lycée : 4 juillet 2018
http://www.senat.fr/leg/ppl17-625.html
PROPOSITION DE LOI
ADOPTÉE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges,
TEXTE DE LA COMMISSION DE LA CULTURE, DE L’ÉDUCATION ET DE LA COMMUNICATION (1)
Mathias Girel 2018, Science et territoires de l’ignorance, Quae éditeur

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