Où sont passés les Pokémon et autres Second Life ?

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Une mode chasse l’autre, la cour de récréation n’y a pas davantage échappé que notre société face aux technologies issues de l’informatique. A intervalles réguliers de nouveaux « objets » apparaissent aussi bien dans l’espace médiatique que dans l’espace scientifique. Dans le domaine éducatif ces modes ont un effet assez important : ils suscitent des visions fantasmatiques de l’avenir scolaire et suscitent des rebellions de même ampleur. Ce qui est complète ce tableau c’est que les vifs échanges autour de ces objets dits nouveaux se traduisent par des résistances de toutes sortes qui articulent acceptation et intégration dans les modèles anciens. Pour le dire autrement, une vision historique de l’évolution de l’éducation et des technologiques devrait nous éviter ces amnésies que l’on retrouve quasi systématiquement. Malheureusement, même des « chercheurs patentés » sont complices de ces mouvements, comme si histoire, épistémologie et éthique n’existaient pas. Certains diront qu’un chercheur ne peut pas être au fait de tout, du fait de sa spécialisation, alors il vaut mieux qu’il accepte de ne pas répondre à certaines questions… mais lorsqu’ils sont acteurs des tourbillons des effets de modes, cela devient plus dangereux car ils sont alors appelés à étayer, justifier ces effets.
Quelques illustrations
Rappelons-nous Second Life sorti en 2003, chantre de la réalité virtuelle. Rappelons-nous Pokémon-go sorti en 2016 qui renouvelait le jeu par le lien entre réalité et virtuel. Où en sont aujourd’hui ces enthousiasmes débordants pour ces objets nouveaux ? On nous avait promis des révolutions, nous avons vu des phénomènes de mode mais aussi, il faut bien le reconnaître des marqueurs. Ces marques nouvelles sont celles qui indiquent un passage vers de nouvelles potentialité. Mais la confusion vient de la tentative de nous faire croire que ces potentialités étaient le présent.
Nous avons là un mécanisme typique et aux conséquences bien désagréables. Un objet qui semble en rupture avec les précédents est mis en avant au travers d’une « encapsulation symbolique » dans une activité humaine (jeu, simulation…). Une surmédiatisation, appuyée par des propos de scientifiques heureux de trouver là une tribune nouvelle, fait passer auprès du grand public, et donc de nombre de décideurs (ils sont aussi dans le grand public…!) le sentiment d’importance de la rupture alors qu’il s’agit simplement de l’émergence d’un marqueur. En envahissant l’espace de réflexion dans les milieux les plus concernés, ces « objets » deviennent des attracteurs (et des distracteurs d’autres préoccupations aussi) encouragés par la manière dont les décideurs ont intégré la vague médiatique et l’ont parfois même encouragée par des aides à la mise en application.
Mais les dangers sont là et pour l’illustrer on peut évoquer les TBI/VPI et autres VNI qui, dans la pratique des classes n’ont apporté qu’un sentiment de modernité, tout en permettant des usages traditionnels « enrichis ». Car bien sûr, les quelques enrichissements (meilleure qualité visuelle, possibilité de trace…) permis par ces matériels sont survalorisés et les pratiques effectives en classe peu analysées ou évaluées. L’argument principal qui ressort de nombreuses observations, que l’on peut aussi faire pour le tableau (noir ou blanc) par opposition à l’ardoise individuelle, c’est qu’il permet de « capter l’attention collective ». Et c’est un point qui est au coeur de la pratique de l’enseignement et de son évaluation : les élèves sont-ils attentifs ?
Pour aller plus loin
Les modes successives attirent l’attention de quelques cercles habituels (les innovateurs ?) à défaut de susciter un intérêt de tous… Mais il est un élément important qu’il est nécessaire d’envisager ici. Ces objets techniques et/ou pédagogiques ont-ils réellement un effet ? Le plus souvent l’effet évoqué par les expérimentateurs est celui de la motivation. Toutefois, cet effet semble s’estomper avec le temps : motivation de l’enseignant (qui s’alimente alors par le changement et la nouveauté), motivation de l’élève (qui s’étiole avec la répétition). Il faut alors se tourner vers les concepteurs de produits qui captent l’attention : vidéastes, cinéastes, concepteurs de spectacles, de jeux, auteurs de BD, écrivains… (Nous aurons l’occasion d’y revenir à propos des mécaniques de jeu)
A l’instar de l’évolution actuelle de la classe inversée, (cf. le récent Clic 2018 et l’interview de sa présidente) on s’aperçoit que ces objets « à la mode », sont souvent d’anciens objets recyclés à l’aune de technologies ou d’évolutions conjoncturelles. De nouveauté très relative, il s’agit surtout de réactivation d’ancien dans un contexte nouveau. En oubliant de se référer à l’histoire, l’effet de la nouveauté produit évidemment sa cohorte de « produits dérivés » dont certains, parfois même de bonne foi et de bonne intention vont profiter et surtout apporte une notoriété en fixant le focus sur ce qui semble neuf. Il ne s’agit pas de dire que c’est bien ou mal, il s’agit surtout d’analyser le processus qui se déroule sous nos yeux et qui semble disqualifier les autres modes d’action existants.
Les disparitions plus ou moins prévisibles de ces objets ne doit pas non plus nous inviter à les ignorer. Ils entrent dans une histoire. Mais il faut distinguer ce qui est de l’histoire d’un engouement temporaire et l’histoire de ces passages (cf. les marqueurs signalés plus haut). Ces deux dimensions doivent être intégrées dans le déroulé socio-historique et analysés dans ce sens. Second Life à quasiment disparu tout comme Pokémon go et pourtant ils ont révélé des potentialités qui peuvent se révéler à l’avenir. On pourra illustrer ce phénomène à propos de l’intelligence artificielle qui entre 1980 et 1990 avait connu un tel engouement avant d’être enfoui pour ressurgir récemment avec, en particulier, le potentiel apporté par un deep learning, certes pas nouveau (Yann le Cun rappelle qu’il date des années 1990), mais enfin possible du fait de l’évolution des machines et de la puissance de calcul.
Pour conclure
En plus quarante années nous avons pu observer ces cycles. Ils touchent la société et par rebond le monde scolaire. Toutefois les hésitations du monde scolaire (enseignement général) face à ces technologies a laissé s’installer un espace dans lequel ces phénomènes de mode ont pu s’installer. Même le ministère de l’éducation s’en empare : enseignants innovants, numerilab, lab110… comme s’il lui fallait aussi entrer dans la danse qui pourrait ressembler à la fameuse tarentelle que l’on utilisait pour soigner les morsures de tarentules dans le sud de l’Italie. Au-delà de phénomènes de mode, il faut s’interroger sur la capacité humaine à entrer dans ces rituels ou non et à en décrypter les raisons…
A suivre et à débattre
BD

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