Mais où sont donc passées les soirées diapos d'antan ?

Print Friendly, PDF & Email

L’exposition de soi est une possibilité désormais offerte de manière renouvelée à chacun de nous grâce à Internet, le web et encore plus aisément, les réseaux sociaux numériques. Le temps des « vacances » est un temps qui ouvre d’autres angles de vue sur soi. D’une part, chacun (ou presque) dispose de l’appareil photo dans son smartphone, d’autre part nous pouvons en temps réel les partager auprès de nos « amis », connaissances et autres connectés. « Je me montre donc j’existe » est permanent sur ces réseaux, surtout quand les commentaires et les « like » affluent, le temps des vacances n’y échappe pas.
Jadis, au temps ancien de la société Kodak triomphante, nous prenions nos photos de manière précautionneuse, la pellicule de 24 ou 36 photos était précieuse. Ensuite les faisions développer et selon les cas et les époques cela pouvait prendre entre 8 jours et trois semaines. On se retrouvait alors avec ces boites plastiques remplies de photos sur papier accompagnées de ces rubans « rouges et sépias » les négatifs. Certains d’entre nous choisissaient le développement sous forme de diapositives (et parfois les deux). Bref, au sortir des vacances nous avions d’abord pour nous l’évocation visuelle des moments passées, figés sur la pellicule, photos parfois floues, surexposées ou simplement ratées (le doigt sur l’objectif…) mais aussi quelques réussites magnifiques qui nous emplissaient de joie à la sortie du magasin du photographe qui nous avait rendu ces développements.
A ce moment-là, seul le cercle restreint des proches présents physiquement pouvait en bénéficier, deux destinées différentes se révélaient : d’une part la mise en archive, d’autre part la séance « d’après le vacances », la fameuse soirée diapo (https://www.migrosmagazine.ch/archives/mais-ou-sont-passees-nos-soirees-diapos) avec les proches, les amis. Le réseau social était alors activé, cercle assez restreint qui associe les proches, familles, amis, voisinage. On avait alors l’occasion de montrer mais surtout de commenter et de discuter de ces photos. Mais ces soirées diapos ont connu aussi de nombreuses critiques de la part de participants qui n’osaient déclarer leur ennui devant des photos dont l’intérêt semblait difficile à cerner : moi à la plage, ma femme devant la statue, mes enfants sur le vélo etc… Passer de la collection de vacance au récit d’une aventure vécue n’est pas donnée à tous et à chacun : on photographie alors surtout pour se rappeler et pas pour raconter des histoires.
Et le numérique s’est généralisé !
Point de nostalgie, mais une simple analyse pragmatique d’une évolution qui transforme notre mode d’être à l’instant, aux lieux, à l’espace, au temps, aux autres… Dès qu’une opportunité se présente, je prends une photo (et parfois une vidéo) avec mon téléphone portable (et parfois avec un appareil photo numérique, mais plus rarement). Aussitôt, si je l’ai réglé sur le web ainsi, ces photos sont partageables et partagées automatiquement. Là encore on retrouve le souvenir du moment vécu, mais désormais on le partage immédiatement, parfois en direct ou presque, et bien sûr en différé au travers des différents espaces de mise à disposition en ligne. IL n’y a pas de raison que le contenu des photos ait réellement changé. Le selfie s’étant largement popularisé, la facilité de prise de vue désormais démocratisée ont cependant mis en évidence de nouveaux types de photos. La facilité de prise de vue, de stockage et de diffusion transforme progressivement la place des images de vacances… et bien sûr au-delà la place des images dans notre société (André Gunthert, L’image partagée, La photographie numérique, Textuel éditeur, 2015)
Que devient donc la fameuses soirée diapos d’antan ? Il est intéressant de regarder toutes ces photos que les uns et les autres nous mettons en partage. Il faut alors analyser, non seulement les photos elles-mêmes, mais aussi le réseau de diffusion. Car parmi les principales évolutions permises par le numérique c’est le partage immédiat en tout lieu de ce que je capte dans ma prise de vue. La soirée diapo est désormais sur Facebook (ou autre Instagram, Snapchat, twitter etc..). Le cercle des amis s’est élargi, les commentaires sont toujours aussi doux (le plus souvent). L’immédiateté est permise, la profusion aussi (on n’a plus à attendre le développement, et ses surprises), et désormais les trucages sont possibles. Dans les contenus des photos, on ne sera pas surpris, il est tout à fait conforme aux anciennes soirées diapo : moi devant le paysage (mais on ne voit que moi) et le paysage sans moi (devinez où ???). Ce qui devient intéressant c’est que la forme du récit change. Nous passons d’un récit a posteriori, reconstruit filtré, à un récit en quasi temps réel qui parfois même se déroule sous vos yeux au fil des jours. Ces séries d’images se situent désormais davantage vers le reportage photo, mais il comporte souvent, si on y regarde plus près, les mêmes formes que l’ancienne soirée diapo.
Pour ce qui est de la diffusion, plusieurs options sont permises, ce qui ouvre de nouvelles possibilités que la photo traditionnelle rendait difficile. Si j’ai un espace de partage en ligne pour lequel je peux choisir les visiteurs, je me retrouve un peu comme celui qui fait des duplicatas et qui les donne à son cercle de relations. Mais dans ce cas, avec les commentaires que l’on peut rajouter, on peut à nouveau se retrouver dans le cas de la soirée diapos. Si je choisis d’utiliser les réseaux sociaux, alors j’ouvre la diffusion vers un autre espace conversationnel plus large et je recherche alors non seulement à partager mais aussi à en avoir un retour au-delà du cercle restreint habituel. La recherche de la popularité du document mis en ligne ne concerne pas forcément tout le monde, mais c’est une caractéristique désormais importante. On peut observer la place qu’occupent désormais photos et vidéos en regard des écrits (et en particulier des écrits longs) dans les réseaux sociaux numériques et plus généralement sur le web.
L’exposition de soi a changé, elle s’est amplifiée. Tant sur le plan de la diffusion que celui des formes techniques (audio, vidéo, photo). On peut s’interroger plus largement sur l’avenir du « texte » devant cette évolution. Si l’on met cela dans une perspective historique, on s’aperçoit que l’instrumentalisation de la pensée par l’écrit a été un élément essentiel de la construction de nos sociétés modernes. Désormais une nouvelle instrumentalisation est en train de se généraliser. Elle début bien sûr au XIXè siècle. On peut rappeler ici le succès d’Edward Whymper et de ses conférences à la lanterne magique (Whymper Photographe, éditions du Mont Blanc, 2012, Alpine Club 2011), précurseur des conférences du type « Connaissance du monde » et désormais des présentations « PowerPoint ». Désormais l’écrit se trouve dans une nouvelle posture sociale. La question n’est pas de celle de sa disparition mais plutôt celle de sa place dans le nouvel ordonnancement de communication. Car si l’écrit est en situation de mutation, le langage, oral le plus souvent, lui est au contraire très présent, oral jusque dans l’écrit parfois.
A l’heure d’une rentrée scolaire dans un monde numérique, on peut se demander s’il ne faut pas revisiter les fameux fondamentaux du « lire-écrire » et les enrichir d’un travail complémentaire et dès la petite enfance, sur l’image, le son et leur place dans la communication humaine….
On peut consulter les écrits d’André Gunthert à cette adresse : https://imagesociale.fr/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.