Éducation aux médias et à l'information ? une expérience ancienne (et toujours d'actualité).

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Enseignant de lettres histoire en lycée professionnel, j’ai eu la chance de pouvoir « inventer » un dispositif de travail (en 1987) pour permettre aux élèves de travailler aussi bien les médias, les informations que l’expression écrite et orale. J’ai mis longtemps à réaliser que cette expérimentation était particulièrement intéressante au-delà du seul résultat pour les élèves. En regardant de nombreux projets présentés dans des manifestations autour de l’innovation, parfois même dans des livres publiés par ces enseignants, je me suis rendu compte que cette démarche qui date de trente ans est encore d’actualité et que la raconter pourrait servir à d’autres. Mais en partageant cette expérience, je voudrais aussi montrer que ce que chacun tente d’inventer au quotidien dans la classe n’est jamais vraiment nouveau en soi. Le travail pédagogique n’est pas une invention permanente mais plutôt un ajustement constant entre ce que l’on envisage de faire et le chemin que l’on veut concevoir pour y parvenir. La pédagogie de projet, incarnée en partie dans l’idée des TPE chère à Philippe Meirieu, est présente ici, comme si cette idée avait anticipé la proposition des TPE qui arrivera près de dix années plus tard.
Au cours de l’années scolaire 1987 1988, j’ai conçu et réalisé (en collaboration et avec l’aide de l’enseignante-documentaliste) un dispositif d’enseignement et d’apprentissage pour des élèves de Bac professionnel tertiaire. Centré sur le rapprochement entre les disciplines professionnelles (communication organisation) et les disciplines générales (lettres, histoire) le dispositif a été étalé sur deux trimestres à raison de deux heures par semaines. L’objectif initial était de faire réaliser par les élèves un produit de communication. Les formes possibles de communication étaient variées, de l’informatique à l’audiovisuel en passant par le cinéma, la radio, et aussi l’expression orale, l’enquête, l’exposition… Ce travail a été rendu possible grâce à une enseignante documentaliste qui a mis ses compétences au service des élèves ainsi que les moyens matériels mis à disposition au CDI et dans les salles périphériques disponibles (audiovisuel, informatique, travail de groupe)
Le dispositif
– Dans un premier temps, sur quatre séances de deux heures, les élèves devaient élaborer un projet d’un produit de communication en petits groupes (affinitaires)
L’objectif est d’amener les élèves à se poser une question et à définir les moyens dont ils ont besoin pour accéder à une réponse.
– Après échange avec les enseignants, le projet est défini et rédigé en indiquant les étapes, le calendrier et les moyens à mettre en place
L’évaluation de la première étape vise à vérifier la faisabilité du projet et l’implication de chacun dans le projet. Cette étape est parfois réalisée en deux temps par besoin de réajustement, de précisions.
– Conception de fabrication du produit visé : en 12 séances de 2 heures, comprenant des visites à l’extérieur, des rendez-vous, des rencontres,
Au cours de cette étape, qui s’appuie sur une contractualisation, l’autonomie est importante. Chaque groupe d’élève organise son activité, gère son planning, demande les autorisations nécessaires, fait appel aux ressources disponibles, humaines ou matérielles. La gestion du projet est en phase active et chaque groupe sait ce qu’il a à faire. En cas de difficulté, il demande de l’aide et rend compte de la manière de résoudre le problème.
– Présentation publique des produits (à la classe, à la direction, aux intervenants éventuels, aux autres élèves de l’établissement),
Il est essentiel qu’une démarche de projet se termine, en particulier dans le cas des projets buts. La présentation finale des travaux peut prendre des formes multiples pouvant associer plusieurs modalités, mais en lien avec le projet (dégustation, exposition, exposé, dossier, logiciel…). La présentation devant les pairs et avec les pairs a pour but de favoriser les trois formes d’évaluations : celle des pairs, l’autoévaluation, et celle de l’enseignant et ou de l’institution.
Quelques projets et leur(s) production(s)
– Emission de radio sur la vie des jeunes
Les élèves sont attirés par les médias qu’ils veulent comprendre de l’intérieur. L’établissement scolaire est situé non loin de la radio régionale, et une animatrice journaliste propose d’ouvrir son émission à des publics divers. Les élèves prennent contact avec elle. Cette animatrice intervient dans la classe pour expliquer son travail et le fonctionnement du média lors d’une séance prise en dehors du temps consacré au projet. La préparation de l’émission prend du temps car les jeunes font une enquête auprès des autres élèves de l’établissement. Puis arrive le jour de l’émission qui sera enregistrée et ensuite diffusée à toute la classe.
– Conférence exposition sur le SIDA
L’importance croissante prise par le SIDA au début des années 1980 interroge beaucoup les jeunes. Ils décident de prendre contact avec le médecin de l’hôpital spécialiste de cette maladie. Après s’être largement renseignés, les élèves rencontrent le médecin pour une interview et pour négocier avec lui la manière de sensibiliser les autres élèves. Le médecin accepte de venir faire une heure d’intervention dans la classe. Cette intervention sera préparée par la fabrication d’affiches, le rassemblement de documentations qui permettront à la classe de préparer l’échange avec le médecin.
– Logiciel pour aider à comprendre les élections locales et leurs enjeux
A l’occasion d’élections locales, un groupe propose de développer un logiciel pour expliquer à des électeurs (certains élèves sont aussi en âge de voter) le sens du vote, son déroulement et le fonctionnement de la collectivité territoriale issue de ce vote. Sur la base d’un enseignement assisté par ordinateur simple fait de pages d’explications avec graphiques, d’exercices et de compléments textuels (au moment de la réalisation les possibilités graphiques sont très réduites). Lors de la finalisation du logiciel, les élèves pourront tester l’application ainsi produite.
– Festival de vidéos
Passionnés par le cinéma, un groupe d’élève souhaite proposer un festival de cinéma aux autres élèves de l’établissement. Approche juridique, approche artistique, approche culturelle, les élèves préparent une semaine thématique. Ils étudient les films choisis, organisent leur présentation sous forme de panneaux et présentent les œuvres choisies avant la projection.
– Manifestation/exposition sur la cuisine des algues
L’établissement scolaire comporte outre une section tertiaire une section hotellière. Ceci n’interdit nullement les élèves du tertiaire d’aller explorer un domaine comme celui de la cuisine des algues. Le projet semble ambitieux. Il faut d’abord connaître ces algues et leurs vertus (nous sommes en Bretagne, près de la mer, cela facilite les choses). Ensuite, après avoir rencontrés des personnes qui travaillent les algues (recueil, production, transformation) les élèves ont travaillé avec les enseignants de cuisine pour explorer les possibilités d’exploitation de ces algues en cuisine. Ils organisent une dégustation de produits à base d’algues qu’ils ont fabriqué avec des élèves cuisiniers et font une exposition de panneaux dans la salle où a lieu la dégustation. Un discours à plusieurs voix pour présenter le travail des algues va permettre à toute la classe (ainsi que des élèves cuisiniers) de découvrir cette nouvelle approche de l’utilisation des algues pour l’alimentation.
Nous avons beaucoup appris de ce dispositif qui associait d’abord un enseignant de lettres-histoire et une professeur documentaliste et qui s’appuyait aussi sur les enseignants de communication. L’espace CDI était le plus approprié pour permettre ce travail. Composé d’une grande salle de lecture avec des ilots, de plusieurs salles annexes, travail de groupe, salle audiovisuel (téléviseur magnétoscope) et salle informatique (nanoréseau), l’espace CDI a permis à chaque groupe de pouvoir mener à bien son projet. La mise à disposition de moyens (humains et techniques) s’est faite très aisément de par la proximité des lieux. La gestion des élèves a été d’autant plus aisé que leur engagement a été grandissant au fur et à mesure du projet qui s’étalait sur un temps long. Si le choix d’un projet est le plus délicat, la mise en œuvre une fois ce choix validé est très aisée. Les élèves ont pu aussi sortir « en autonomie » sur les heures de cours (autorisations multiples) pour effectuer les rencontres nécessaires à leur projet.
Le pilotage de ce genre d’activité suppose aussi d’articuler ce travail avec les apprentissages scolaires prévus et les compétences requises dans le référentiel des bac-pros d’alors. Le découpage disciplinaire est rapidement tombé du fait de l’imbrication des projets. Plus intéressant encore, des compétences non signalées dans les référentiels de formation ont été développées et mises en œuvre. C’est dans ce domaine qu’il faut nous interroger. Au-delà de la sympathique valorisation des élèves lors de leur présentation publique, il y a les notes attribuées pour être conforme avec les exigences académiques, mais il reste un vide autour des compétences non « scolarisées ». Encore aujourd’hui, dans des pédagogies de projet similaires, on note qu’une partie de ces compétences non prévues ne peuvent pas être valorisées à leur juste valeur. Jusqu’au élèves eux-mêmes qui, n’ayant pas conscience de ces compétences, ne peuvent pas s’appuyer dessus dans leur parcours. Il est grand temps que l’on aide les jeunes à intégrer ces éléments souvent semi-formels voire informels dans leur dynamique personnelle. Portfolio, badges et autres dispositifs semblent vouloir mettre aussi l’accent sur ces compétences. Toutefois on ne sent pas, au sein du système éducatif une véritable volonté. Pourtant dans le supérieur, la valorisation de l’engagement, par exemple, est de plus en plus souvent valorisé jusque dans la délivrance des certifications et diplômes. Cependant il reste un élément à travailler : ce que les élèves, les jeunes, ceux qui apprennent, connaissent et font de ces compétences est très sous exploité et méconnu. C’est une question de « réflexivité », voir de méta-compétence.
A suivre
BD

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