Apprendre n’est jamais en vacances, tout comme la curiosité

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L’activité humaine inclut en permanence l’apprendre. En effet nous apprenons du quotidien, de l’expérience, des situations de vie. Nous apprenons aussi de manière plus formelle au travers des institutions d’enseignement et de formation. La situation actuelle de confinement a introduit un nouveau paramètre que la plupart d’entre nous ne connaissions pas : le formel hors lieux institués. C’est alors qu’apparaissent les moyens numériques comme possibilité de faciliter cela. Bien sûr, les moyens traditionnels, manuels scolaires, cahiers, photocopies sont toujours utilisables et peuvent même être des supports efficaces car en continuité avec ce qui se passait dans la classe. Mais l’habitude de la communication interpersonnelle avec les moyens numériques est devenue une évidence au-delà du cercle des amis et désormais pour une bonne partie de nos relations professionnelles et situations liées. Ce que l’on observe c’est que de nombreux jeunes restent en contact entre eux et pas seulement pour la vie sociale. Même si certains se sont éloignés de l’école et ne répondent pas aux sollicitations de leurs enseignants, ils continuent donc d’échanger, et d’apprendre dans un autre contexte.

Si apprendre n’est jamais en vacances, l’école peut tirer profit de cela pour repenser sa « présence » auprès des élèves. Présence physique, présence virtuelle (numérique ou autre). Mais l’école a aussi ses rites et les vacances en sont un qui étonnement ne semblent pas « infectés par le virus de l’apprendre ». Le ministre de l’éducation a parlé publiquement des vacances le 27 mars. En présentant celles-ci il met en avant d’une part que l’on ne peut poursuivre l’effort initial lié à la situation actuelle dans la durée avec la même intensité, mais d’autre part il renforce une fois de plus la transposition de la forme scolaire dans le contexte du confinement : même confinés prenez des vacances ! Il renforce donc aussi cette idée que pendant les vacances on se repose, et que par rebond on n’apprend pas ou plutôt que l’apprendre formel est mis entre parenthèses. Nombre d’enseignant donnent du travail à faire à leurs élèves pendant les vacances et eux même profite de ce temps pour travailler soit en traitant les évaluations soit en préparant la suite de la progression.

Ce qui change en vacances, c’est le rythme de travail. Et c’est là que la situation de confinement est intéressante à analyser. Quand on est assis dans la classe, on peut de temps à autres perdre le fil de l’activité d’apprendre, surtout lorsque c’est l’enseignant qui s’exprime. A la maison, c’est « du travail à faire », et parfois difficile et long. L’enseignement à distance est pour certains la transposition des devoirs à la maison pour d’autres c’est la classe à distance, notions/exercices/correction et parfois en visio-conférence. Les praticiens de la classe inversée avaient compris un aspect du problème, le travail d’amont de la classe en utilisant les moyens numériques le plus souvent, mais ils se trouvent devant une difficulté à transposer ce qu’ils font en classe (les activités d’appropriation principalement) habituellement dans le contexte d’isolement physique des élèves. Heureusement, certains ont bien compris qu’on pouvait associer guidage des apprentissages et activités collectives ou collaboratives à distance. Il va aussi falloir qu’ils s’interrogent en retour sur ce qu’ils proposeront lors de la reprise de la classe.

En proposant aux enseignants et aux élèves de prendre leurs vacances scolaires, le ministre fait erreur. Mais c’est logique car il est parti dès le début sur l’idée de la « transposition scolaire » facilité en cela par le modèle de « la classe à la maison » et le modèle CNED. Apprendre c’est une dynamique qui doit s’entretenir en permanence mais à condition qu’on ne surcharge pas certains moments et surtout qu’aller en classe ne soit pas perçu comme une contrainte ou même une punition… Il aurait été possible dès le début de penser le travail à distance sous une autre forme, allégée en durée, mais approfondie en termes de thématiques à explorer. On a pu penser qu’il serait impossible d’aborder des notions nouvelles, mais là encore cela dépend de ce que l’on désigner par « aborder ». Le plus souvent on parle d’assimilation complète au sens d’un savoir qui est exploitable directement dans une évaluation formelle, un exercice. Mais il y a des formes d’assimilations qui peuvent prendre d’autre chemins, plus longs, plus laborieux, mais qui impliquent davantage l’élève : ceux de l’exploration, de la curiosité, de la confrontation avec les pairs (co-construction, co-évaluation…). C’est ce que Philippe Carré nomme « l’apprenance ». Bien sûr ces formes d’apprendre ne sont pas « rentables » dans le modèle scolaire traditionnel. Il suffit d’entendre des élèves qui préparent un contrôle de connaissance puis de les écouter plusieurs mois plus tard déclarer que la notion n’a jamais été étudiée. L’amnésie fonctionnelle est un système adopté par tous les élèves pour survivre en milieu scolaire. Or les vacances sont un des moteurs les plus puissants de cette amnésie.
En tentant de construire un autre modèle opportunément dans cette situation de confinement, on peut imaginer que les vacances n’aient plus de sens pour rééquilibrer la pression des temps d’école. On peut imaginer que à l’instar de la théorie du flow (Mihaly Csikszentmihalyi) on organise les activités pour maintenir, comme pour les jeux vidéo, les jeunes dans une dynamique qui leur évite aussi bien l’ennui que l’angoisse de la réussite et les amène à les continuer au-delà même de ce qui pourrait être prescrit. La curiosité, l’envie de découvrir, d’explorer est une mécanique fondamentale du développement humain, individuel et collectif. Quand on regarde les enfants, au cours de leur scolarité, à l’instar de Sir Ken Robinson, on est étonné de voir comment ils remplacent la curiosité par la conformité. Comme si on enfouissait cette dynamique interne ou la réorientait vers des objectifs socialement reconnus. Pour maintenir cette dynamique, les mécaniques de jeu, entre autres, devraient nous aider à la condition qu’elles n’enferment pas le jeune dans les objectifs des concepteurs de ces jeux. Nombre d’enseignants les utilisent, sans les nommer ainsi, dans leurs pratiques et en tirent profit ainsi que leurs élèves (permettre à un jeune de redécouvrir le plaisir d’apprendre est un grand bonheur, comme je l’ai vécu quand j’enseignais en lycée professionnel).

Non Monsieur le Ministre, ne vantez pas les mérites des vacances pour se reposer. Vous-même d’ailleurs n’y cédez pas, même si vous travaillez beaucoup, trop diront certains (peut-être certains pensent que vous aussi avez besoin de vacances). Proposez aux enseignants, certains le font et le feront, de maintenir le lien de permettre les dynamiques pour tous les élèves. Car dans la situation de confinement, les vacances pourraient alors être vécues comme un abandon…. et le numérique n’y pourra rien…

A suivre et à débattre
BD

2 Commentaires

  1. Bonjour Monsieur,
    Moi même enseignant, je ne partage pas votre point de vue.
    Apprendre n’est pas à comparer avec le « travail » des enseignants.
    En le faisant, vous négligez certains aspects du métiers qui pèsent sur le moral ou tout du moins provoquent une fatigue psychologique. Je pense à des aspects peut être plus éloignés de la pédagogie comme la préparation aux examens, les relations avec les parents, la hiérarchie, la préparation des structures de classe, des enjeux à venir.
    Et oui, les vacances permettent de couper avec taches et ces « inquiétudes ».
    Je les attends pour ça aussi, comme tous les autres travailleurs qui apprécient de ne plus travailler pendant leurs vacances.
    Cordialement.

    1. En parlant du travail, je parlais en général de l’opposition travail/vacances. Moi même enseignant aussi bien en lycée professionnel qu’en université, j’ai bien perçu ce changement de rythme et donc de pression dans l’activité. Apprendre c’est pour moi un travail au sens noble du terme. Le métier d’enseignant n’est pas comparable avec beaucoup d’autres métiers qui ne « travaillent pas pendant leur vacances » (car un certain nombre ne le peuvent pas matériellement). Si vous avez exercé d’autres métiers (manuels ou intellectuels), vous le comprendrez aisément. Les enseignants travaillent tous pendant leur vacances (au moins ceux que je côtoie depuis plus de quarante années et moi même dans l’exercice du métier) Le plus lourd à porter a été la période universitaire car contrairement à ce que l’on pense, il y a aussi une pression constante sur le plan mental.
      Par contre, je suis d’accord avec vous pour ce qui est des activités qui entourent l’acte pédagogique. C’est la rupture importante et nécessaire pour l’équilibre.

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