Questionner l’autorité et l’autoritarisme : une question éducative à l’ère du numérique

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La mise en avant médiatique des réseaux sociaux mais aussi leur usage parfois débridé, par certaines personnes en mal de popularité, de reconnaissance, de succès commercial ou autres, semble indiquer une évolution très nette dans les formes de l’autorité. Les relais médiatiques offerts à ces quelques mots, ces rares phrases posées en quelques secondes dans un espace public, leurs donnent une force, une autorité certaine. Par autorité, nous entendons ici la force de celui qui parle, qui s’exprime au travers de vecteurs qui lui assurent un écho suffisant pour qu’il soit accepté, qu’il soit « autorisé ». Pour le dire autrement, plus besoin d’autorisation pour tenir parole. Mais cette parole s’exprime aussi pour contester des formes d’autorité antérieures. Ainsi en est-il des traditionnels détenteurs d’une autorité que sont les médecins, les journalistes, les policiers, les enseignants ou encore les politiques etc… Car la liste n’est pas close qui montre que l’autorité est en même temps exprimée, dénoncée, voir démolie.

C’est au travers de la contestation de cette autorité que l’on peut permettre d’en analyser les ressorts et d’en observer la « descente aux enfers ». La montée de la judiciarisation de la société française est un indicateur de cette modification du sens de l’autorité qui, pour de plus en plus de personnes semble réduite à l’autoritarisme. Que ce soit dans le camp des accusateurs ou celui des accusés, le passage de l’autorité à l’autoritarisme est une dérive inquiétante pour une société humaine. Les écrits de Marylin Maeso (https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/marylin-maeso-societe-soupcon/amp/?fbclid=IwAR0vldVAb83Jjcm-Fc6eWBvK_ehW_0V61rqIeqg-_S1Ku-DapRVPiGlpGTg) semblent confirmer cela. Malheureusement la dérive de l’autoritarisme est aussi celle de la violence qui rapidement prend le pas dès que cet autoritarisme est contesté. Le passage « autorité, autoritarisme, violence » exprime bien la perte progressive de l’autorisation par celui qui la possédait. S’il n’y prend garde, il peut donc dériver vers les formes dures. C’est d’ailleurs ce que les contestataires de l’autorité cherchent à faire, on appelle cela la provocation. Dans la salle de classe, l’enseignant connaît souvent cela lorsqu’un élève se met en résistance à ses demandes et bien sur la dérive autoritariste émerge souvent plus vite qu’il ne le veut, submergé parfois par l’émotion de la situation.

Qu’en est-il du numérique et des moyens nouveaux qu’il offre à chacun de nous de s’exprimer ? Celui ou celle qui veut s’exprimer en direction de tous les publics dispose désormais des moyens techniques de le faire sans avoir recours à de nombreux intermédiaires. C’est ce qu’à permis le web dès le milieu des années 1990 et qui n’a depuis pas cessé d’être amplifié et facilité. Cette facilitation s’est traduite par l’arrivée de ce que l’on peut appeler la « parole courte » symbolisée aujourd’hui par twitter qui permet une expression limitée en taille et produit un effet nouveau sur la capacité d’écriture et donc l’autorité de la parole. Si la dimension interactive des réseaux n’est pas nouvelle (on se rappelle des ancètres des réseaux numérique avec leurs forum et autres possibilité de réagir), c’est son accessiblité et sa popularité qui a changé. De même la dimension relationnelle liée aux groupes qui s’agrègent autour de ces réseaux amplifie aussi le message envoyé. Ainsi ces élèves de collège qui dénigraient certains de leurs enseignants (à la limite de la diffamation) n’avaient-ils, semble-t-il pas cru qu’ils étaient dans cette situation nouvelle pour eux : ils croyaient s’exprimer entre eux, mais en réalité le propos était accessible et les personnes visées les ont lus. Les jeunes collégiens étaient ignorants que cette contestation de l’autorité était devenue publique. Car le dénigrement et la critique sont souvent du domaine de la sphère privée, on rigole entre copains ou copines… Mais avec de nouveaux moyens de diffusion liés au passage au numérique de la vie de réseau et de relation, l’amplification de la critique devient rapidement incontrôlable.

Mais il faut aller du côté de l’intention de la prise de parole pour mieux comprendre la mise en cause de l’autorité. Tant que la parole reste « secrète », elle ne nuit que très peu, quoique le mécanisme des rumeurs peu parfois se greffer dessus. Dès lors qu’elle sort sur la place publique, ce qui désormais est accessible à tous, l’intention peut se voir « récompensée ». Un faisceau de ces propos peu d’un seul coup apparaître dans l’espace public des réseaux et d’un seul coup être relayé par les médias de flux. Ainsi en est-il en cette période de fin d’année scolaire des propos tenus à l’encontre des enseignants. Même si ces propos paraîssent finalement anodins, ils constituent les fondements d’une transformation de l’image de l’autorité que conférait l’habitude au corps enseignant. On peut observer le même phénomène avec les policiers, les journalistes, les politiques et même les personnels de santé. Car l’intention cachée derrière ces paroles est parfois inconsciente. elle vise à aller beaucoup plus loin vers un changement de représentation sociale d’un corps professionnel dans la société. Des groupes de pression ont compris la force d’une parole même ultra minoritaire si elle sait se « déplacer » dans l’espace public, médiatique et communicationnel. Ainsi certains groupes professionnels devenus cibles de propos de toutes parts voit son image sociale transformée et en particulier son autorité se dégrader.

Etonnamment pourtant, certains résistent mieux que d’autres. Ainsi les experts auto-proclamés qui apparaissent sur de nombreux médias de flux voient l’autorité de leur parole augmentée et maintenue. Leur habileté principale est de suivre l’air du temps, celui qui favorise la popularité aussi bien des dirigeants que du peuple. Ce n’est pas du même ordre, mais cet entre deux semble suffisamment important pour qu’ils puissent maintenir leur parole et la force qui lui est associée. Il s’agit alors davantage d’individus, de personnes que de groupes professionnels. La recomposition du paysage de la légitimité semble passer par la mise en cause des groupes et la montée en crédibilité des individus. Si un individu rejoint un groupe, alors il se trouve sous la menace des attaques contre ce groupe et peut perdre sa crédibilité individuelle. C’est pourquoi les propos « solitaires » sont portés par des personnes qui ont bien compris qu’il fallait sortir du collectif voire même de le mettre en cause alors qu’on en fait partie. Ce genre de comportement est encore plus délétère pour le groupe puisqu’il est décrédibilisé par un de ses membres. La puissance médiatique en tant que porte parole utilise ces postures car elles sont populaires, elles font de l’audience.

L’Education aux Médias et à l’Information, l’Enseignement Moral et Civique sont censés permettre aux jeunes de développer leur compréhension de l’autorité et son corollaire le respect de celle-ci. Malheureusement c’est sans compter sur l’environnement médiatiques actuel, de masse et interactif et les pratiques sociales, en particulier du monde adulte. L’école peut alors apparaître comme « hors sujet » ou encore « hors sol » dans ce travail, tant l’observation quotidienne des comportements adultes semble en décalage trop souvent. Des reportages et des documentaires que l’on peut qualifier « d’à charge » sont devenus courants. Cette manière de faire, de concevoir est inquiétante? Elle s’appuie sur l’argument d’opposition symétrique au quotidien : il faudrait dénoncer la parole courante et partagée pour en proposer une autre et donc la construire en opposition et non pas en questionnement, en problématisation ou en interrogation. Cette posture de dénonciation doit aussi être critiquée dans les logiques qu’elles met en oeuvre quand elle ne permet pas au public d’avoir accès, soit au sources, soit aux éléments de contradiction. D’ailleurs certaines personnes qui s’expriment tiennent alors des discours qui sont davantage l’affirmation de croyances que des analyses factuelles à charge et à décharge. C’est un autre basculement qui fait passer du champ du savoir (contestable) au champ de la croyance (inattaquable). Passer de l’autorité à l’autoritarisme est un mécanisme semblable. Il se trouve que nous sommes de plus en plus souvent confrontés à cela et qu’il devient de plus en plus souvent difficile d’échanger de débattre, d’approfondir des questionnements…

A suivre et, bien sûr, à débattre

BD

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