La forme scolaire bousculée : ce que peut le numérique

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La succession des situations de confinement ou de restriction laisse petit à petit émerger l’idée que le retour à une situation antérieure est désormais inenvisageable à l’identique, même pour le monde scolaire et universitaire. Même si les personnalités politiques et les hauts fonctionnaires qui les accompagnent rêvent de ce retour, comme nombre d’entre nous, il va falloir retrousser les manches pour inventer une « autre école ». Entre distance, présence, hybridation, comodalité, les possibilités sont variées. Mais cela ne suffit pas ce ne sont que des formes de mise en relation. Il faut aussi engager une réflexion d’une part du côté des enseignants et de l’autre des apprenants. Du côté des enseignants, passer d’une routine d’organisation fondée sur près de deux siècles à une nouvelle forme scolaire suppose un travail de ré-ingénierie pédagogique et de formation. Du côté des apprenants, élèves, étudiants, stagiaire de formation continue, c’est la nécessité de sortir des murs traditionnels des institutions et de leur affordance pour prendre en main leur propre trajectoire de développement. Si l’on tente d’articuler les deux, ce qui est indispensable, c’est permettre des « déplacements », des changements de posture. C’est un rééquilibrage des responsabilités ou plutôt une redéfinition des manières de faire de chacun et de l’articulation entre les deux. Dans cet espace de développement qui se transforme, le numérique a pris une place telle qu’il doit être interrogé et lui aussi situé dans cette évolution.

Plus globalement, c’est le triangle pédagogique de Jean Houssaye qu’il faut questionner, car révélateur de cette forme scolaire et s’appuyer sur l’autre triangle ou plutôt les triangles d’Engoeström, ce fameux modèle de l’activité (https://tecfa.unige.ch/guides/tie/html/innovation/innovation-3.html) . Comme le montre Isabelle Quentin dans cet article publié en 2012 sur son blog (https://isabellequentin.wordpress.com/2012/09/16/le-systeme-general-de-lactivite-dengestrom/) le modèle proposé par Engoeström est un modèle qui permet une approche systémique de l’activité au sein des communautés.¨Plus largement, cette approche permet justement de fonder une réflexion sur une nouvelle forme scolaire en proposant une analyse en plusieurs parties articulées entre elles : enseignement, organisation, contexte, élèves, personnels, etc….

Essayons de clarifier le questionnement. Du côté des enseignants, après une analyse des fonctionnements en présentiel habituels, essayer d’imaginer les transformations à effectuer pour comprendre et mettre en oeuvre des stratégies et des actions permettant de prendre en compte les incertitudes à venir sur le « tout présentiel ». Du côté des élèves, s’affranchir du poids de l’organisation scolaire et des contraintes qu’elle impose au quotidien pour se permettre de définir ses propres contraintes en fonction d’un engagement choisi et pas seulement subi. Du côté des établissements, mesurer combien les échanges au sein de la communauté éducative sont porteurs de cohérence et de pertinence dans les interventions : que ce soit à propos des apprentissages ou des comportements, la collaboration éducative est essentielle pour poser un cadre défini collectivement et non pas uniquement par des injonctions et des textes réglementaires. Du côté de l’institution, comprendre que le numérique n’est ni un sésame ni un moyen miraculeux pour transformer l’école, mais bien au contraire un ensemble de briques sur lesquelles on peut s’appuyer dans différentes circonstances pour enrichir et augmenter la pertinence du système sans pour autant s’engager dans une surveillance et un contrôle.

Il nous faut donc essayer d’imaginer un autre avenir pour le système scolaire et universitaire. Cela suppose de repenser l’école dans ses fondements, ses origines et son enfermement progressif d’une part dans un rôle normalisateur et d’autre part dans un rôle de transmetteur. En tant que normalisateur, le retour en force des valeurs républicaines semble aujourd’hui être en décalage avec la perception que les jeunes et les adultes ont de leur identité sociale et collective. D’ailleurs, ce sont souvent des propos incantatoires mais moins souvent des directives incitatives et attirantes. Une partie de la population perçoit bien cette dimension collective et sociétale, mais ne trouve pas ses repères au travers de valeurs républicaines de plus plus souvent désincarnées. En tant que transmetteur, le système scolaire est de plus en plus inséré dans un espace de transmission de savoir que, pendant longtemps il se revendiquait comme quasi exclusivement le détenteur. Les techniques d’information et de communication ont fourni depuis le début du 20è siècle de nombreux moyens parallèles. En tentant d’abord de résister, puis par la suite d’intégrer (c’est-à-dire en scolarisant ces techniques), le monde scolaire est resté à distance de pratiques qui pourtant prenaient de plus en plus de place dans la vie quotidienne de chacun. Les temps d’écrans sont comparables aux temps scolaires pour ce qui est de la durée effective, si l’on considère tous les écrans.

Les enseignants et les élèves se sont trouvés face à un gouffre en mars 2020. Ils ont tenté de combler celui-ci, désormais il faut préparer l’avenir. La présence du numérique ne peut s’imposer si on ne prend pas en compte la globalité de l’humain et de son environnement : une visite sur site, la lecture d’un texte écrit, l’activité physique et sportive, l’utilisation des moyens numériques…. Le tout dans une volonté d’éducation qui ne se limite pas aux cadres antérieurs. Le synchrone et l’asynchrone doivent désormais mieux cohabiter au sein de l’acte éducatif. Sortir de l’exclusivité du présentiel comme modalité dominante est une nécessité si l’on veut permettre une nouvelle forme d’émancipation. Condorcet évoquait l’ignorance comme devant être combattue, désormais le numérique est un domaine qui ne doit pas non plus échapper à cette volonté. Chaque enseignant est invité à réfléchir son rapport au métier et surtout au sens qu’il lui donne pour penser la forme scolaire de demain, assurant au numérique la place qu’ils devraient avoir pour participer de ce projet social et sociétal qui devrait être au coeur de l’institution scolaire.

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