Ateliers, lab, innovation, quoi de neuf ?

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Les projets de nouveaux espaces, en particulier pour apprendre, ne doivent pas simplement se résumer à des murs, des fenêtres et des mobiliers. Malheureusement, c’est trop souvent le cas si l’on s’en tient à certains discours des promoteurs de ces lieux. Si l’inspiration initiale vient effectivement d’une reconfiguration spatiale (cf. le learning center de l’EPFL de Lausanne) et de l’apparition de mobiliers mobiles et modulables, on s’aperçoit souvent que la suite donnée à cette inspiration est souvent très pauvre et surtout de « surface ». Pour le dire autrement, après la salle informatique, rebaptisée numérique, on montre désormais la salle mobile… Pour avoir participé à plusieurs de ces projets, j’ai pu observé que l’argumentaire initial était suffisant pour convaincre des décideurs, mais que la suite, les usages, pouvait laisser à désirer… Ainsi cette salle d’un grand lycée privé parisien dotée de chaises à roulettes et d’un écran numérique interactif qui était laissé globalement à l’abandon au fond d’un couloir des élèves de premières et de terminales, la salle côtoyant bien sûr toutes les autres, les anciennes… auxquelles il ne manquait plus que l’estrade…

On a vu surgir, en particulier après 2010 des projets multiples de cette nature. Lorsque CANOPE a créé ses ateliers, on se demandait bien quel serait leur avenir et leur réel intérêt. On peut d’ailleurs lire l’ambition sous-jacente dans ce genre de présentation à Bordeaux : https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/centre-de-ressources/espace-cdi/galerie-de-photos/les-ateliers-canope.html. Lorsque Microsoft avait mis en place son espace d’innovation numérique pour l’éducation (la classe immersive : https://www.microsoft.com/fr-fr/education/training-and-events/classe-immersive) on se posait la même question. Quand le ministère a créé le « lab 110 », on s’est aussi posé la même question (https://www.education.gouv.fr/110-bis-le-lab-d-innovation-de-l-education-nationale-100157). Et ce, d’autant plus que, à l’instar de CANOPE, ce lab devait avoir des réplications dans les académies, si du moins on prend en compte ce qu’en dit leur site. Mais les uns comme les autres, ces projets semblent être en bout de course et tout au moins de ne pas avoir répondu aux ambitions déclarées par les uns et les autres et s’ils suscitent une certaine curiosité, ils n’ont pas démontré leur réel intérêt au-delà du bien-être ressenti pas ceux qui les ont utilisés (j’en ai fait partie).

Revenons en aux principes : une dynamique de lieux/espaces différents a émergé aussi bien dans le monde scolaire, universitaire que dans le monde du travail. On a vu fleurir ces fameux « tiers lieux » (au nom qui prête à confusions) au sein des institutions mais aussi dans les espaces ouverts au public (lieux de co-working etc…). L’idée de ces espaces repose sur deux éléments : rassembler des acteurs variés, permettre, à partir de services partagés et communs, de développer des dynamiques coopératives et collaboratives. Quelle serait la place des technologies dans ces lieux ? Un service supplémentaire permettant le travail et la continuité au-delà du lieu et de ses moments d’usage. Car désormais le numérique s’embarque dans la plupart des initiatives qui tentent de renouveler les pratiques, avec parfois cette illusion qu’à elles seules, elles vont en être le responsable, l’initiateur.

Refaisons un peu d’histoire pour rappeler quelques faits qui ont marqué l’évolution des institutions et autres lieux traditionnels. Si les bibliothèques et les musées sont d’invention ancienne, à l’instar des écoles, c’est que ces lieux étaient signifiants par rapport à l’évolution de la société et des technologies. D’une part ce sont des lieux partagés pour favoriser le contact avec les oeuvres ou le savoir présent au travers de supports techniques (ou sans) : l’imprimerie, le papier, le livre. D’autre part ce sont des lieux de conservation (BNF pour les livres, Louvre pour les oeuvres d’art, par exemple) et aussi de perpétuation de l’ancien. Il faut rappeler ici d’abord la création des CDI à partir des années 1960 et institués dans les établissements scolaires en 1974. Ce sont avant tout des lieux autres, permettant, outre un contact direct avec les supports du savoir, d’autres manières d’envisager le rapport spatial à l’apprentissage qui sortant de la classe supprime l’estrade, les bureaux alignés, et aussi la parole seule du maître. Ensuite, il faut, plus récemment noter l’émergence de lieux différents pour encourager le rapport au savoir pour tous, tels les Idea Store en Angleterre, mais aussi les learning centers qui offrent aussi des perspectives proches, mais en milieu universitaire ou élargi (EPFL Lausanne, Lilliad Lille etc…).

La publicité faite à ces lieux différents a permis le développement de ces initiatives nouvelles dont nous parlons en début de ce billet. On associe alors innovation (espaces modulables), mobilier (chaises et tables à roulettes), technologies (Tableau Numériques Interactifs et connectivité avec EIM), en préjugeant de leur efficacité, de leur intérêt et surtout de leur pouvoir d’incitation à la transformation des pratiques (un peu comme le numérique en éducation). La question essentielle est ici celle du lien entre le mythe et la réalité. Or la première des réalités, c’est que le lieu est pensé trop souvent sans véritable projet en amont, en particulier pédagogique (ce qui n’était pas le cas des CDI). Mais bien des promoteurs de ces projets iront contre cette observation, arguant de projets réels. Sauf que ces projets sont idéalisés et qu’une analyse des argumentaires ne laisse pas apparaître de véritable réflexion pédagogique.

Pour avoir conçu et utilisé de tels lieux, il y a pourtant matière à faire des projets, à mener des actions, à transformer l’approche pédagogique globale. Quelques éléments peuvent être avancés : le mobilier ne contraint pas la place, les déplacements et donc la forme d’enseignement. L’architecture des locaux si elle ne permet pas vraiment une grande souplesse peut pourtant être pensée en prenant en compte des besoins qui facilitent des choix pédagogiques : la luminosité et l’éclairage, l’environnement sonore, les surfaces d’affichages, les circulations des personnes, la gestion des fluides (eau gaz électricité…), l’articulation entre les salles, etc… Rappelons ici que dans une conception architecturale traditionnelle le ratio nombre d’usagers/surface est une contrainte forte, car elle détermine les coûts et les équipements intérieurs : un amphithéâtre est plus simple et moins couteux qu’un espace/lab ouvert et modulable. Ce qui compte en réalité, c’est le type de relation pédagogique que l’on veut créer : ainsi en est-il du fonctionnement dit « en ilots » qui facilite le travail en petit groupe, mais qui peut poser des problèmes lors de travaux en classe entière.

Et il y a le numérique et en particulier les Équipements Individuels Mobiles (EIM) qui viennent changer la donne. Parce que ces techniques permettent de s’affranchir parfois des espaces et du temps, on peut être tenté de reporter sur eux la qualité pédagogique des lieux et ainsi négliger la conception de nouvelles formes d’espaces pour apprendre. Dans l’argumentaire de ces nouveaux lieux/lab, on trouve justement la fusion entre les arguments de transformations pédagogiques de l’un et de l’autre. Mais il ne suffit pas d’arguments oratoires pour envisager des pratiques différentes. Lorsque dans les CDI certains responsables de ces lieux ont choisi d’y mettre des mobiliers inhabituels (pouffes, matelas et autres canapés) c’est parce qu’ils s’inscrivent dans une dynamique du rapport au savoir qui s’appuie sur une idée du « confort de l’apprendre ». Certains jeunes ne s’y méprennent pas et colonisent parfois ces lieux, mais, école oblige, ils sont vite rappelés à l’ordre scolaire. Dans les lieux nouveaux initiés dans l’enseignement supérieur, on note la variété des propositions articulant travail en autonomie, en petit groupe, détente, échange etc…

Ce que ces lieux permettent c’est une adaptabilité aux choix pédagogiques des acteurs. Autoformation, autonomie, jeux en réseaux, simulations économiques, assemblées, débats, etc… autant de formules de travail qui ont laissé penser que l’on pouvait trouver là un souffle nouveau. Pourtant, le relatif échec des initiatives dont nous parlons ici vient contredire ces rêves. Il est vrai que tant que le monde scolaire et le monde universitaire resteront dans leur cadre traditionnel (la crise sanitaire en est un excellent révélateur), il y a peu de chances que l’on puisse développer cette idée que nous défendons ici : inventer, au-delà des lieux, des temps, des moyens techniques et des formes, de nouvelles « formes de l’apprendre ». Permettre à chaque personne à chaque citoyen d’accéder à la connaissance dont il a besoin pour participer à la société telle qu’elle est, suppose donc de revoir, refonder les rêves (en partie réussis) de ceux qui ont fabriqué l’école et l’université d’aujourd’hui, de Condorcet à Jules Ferry, de Jean Zay à Philippe Meirieu, ou encore Langevin-Wallon… Un autre rêve, venu d’Inde aurait pu nous inspirer, celui de Sri Aurobindo Il est encore temps de s’appuyer dessus pour reconstruire l’après-crise.

A suivre et à débattre
BD

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