Distribution des prix à Poitiers ? Merci Monsieur Castex !

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La venue à Poitiers du ministre de l’éducation puis du premier ministre a pour but de renforcer le slogan : Poitiers Capitale de l’Education. Au-delà du slogan, on a du mal à comprendre le sens de cette affirmation si ce n’est un effet d’annonce. De plus, on peut s’étonner du fait que ce soit le premier ministre qui présente « des mesures de soutien à l’innovation dans le numérique éducatif » et non pas le ministre de l’Education, mais peut-être préfère-t-il, comme certains de ces prédécesseurs ne pas se mettre en avant sur ce domaine. Car dans ce domaine, les choix initiaux de JM Blanquer en 2018 ont été mis à mal par la crise sanitaire : préférer l’enseignement de l’informatique à la maîtrise des usages basée sur des équipements pour tous, comme l’avait envisagé François Hollande, a donné un coup d’arrêt à un projet lancé en 2015 et qui en 2020 aurait surement diminué les problèmes (sans pour autant les résoudre complètement). Car l’un des points essentiels que l’on peut observer, c’est que la représentation que chacun se fait du numérique est d’abord basée sur un usage individuel et qu’on laisse de côté le contexte, l’environnement indispensable à cet usage personnel.
Le discours du premier ministre montre en grande partie que l’Etat veut colmater les brèches. La première est celle des équipements familiaux, d’où le projet Territoire Educatif Numérique (TNE) qui est désormais à dix nouveaux départements en plus des deux premiers expérimentateurs. La deuxième est celle des écoles. Là la solution est en partie inverse : » faire en sorte que les écoles élémentaires, collèges et lycées ferment le moins possible. ». Toutefois il reconnaît justement que  » nous nous souvenons tous des dysfonctionnements qui ont pu être observés lors de la rentrée du 6 avril dernier sur les sites du CNED et sur ce qu’on appelle les environnements numériques de travail, les fameux ENT ». Les faits sont là : « Les crises mettent ainsi la lumière de façon parfois crue, à la fois sur nos atouts et sur nos défaillances. » En mettant dix fois deux millions d’euros par département choisi, le numérique scolaire pour ces départements reçoit 20 millions d’euros. La distribution des prix continue en période pré-électorale ?

On pouvait en rêver, mais le résultat n’est pas comme on aurait pu l’espérer. Comme en 1985 pour l’informatique, le numérique est un enjeu de concurrence mondiale. En déclarant vouloir fonder une stratégie pour l’avenir, le premier ministre fonde son propos sur cette analyse : « La question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre le numérique, évidemment. Pour cela l’affaire est réglée et entendue. » L’engagement dans l’action se lit clairement : « L’avenir justement, c’est d’avoir, au-delà de la réparation des dysfonctionnements, une stratégie globale, une stratégie globale permettant de prendre un véritable virage numérique, virage numérique pour s’emparer de toutes ces opportunités qui sont devant nous ». Ce qui importe derrière cette assertion c’est la finalité : « au cœur du renforcement des économies, de l’économie nouvelle. » Car il s’agit d’abord d’une économie dans laquelle les dirigeants puisent les raisons et le sens de leurs actions. Ce n’est pas une surprise, compte tenu des choix politiques de l’actuel gouvernement. « C’est un enjeu de société ». Mais ce qui étonne c’est que cela justifie cette phrase : « Donc nous devons développer des pratiques pédagogiques renforcées grâce au numérique. »

Deux réserves sont signalées par le ministre : d’une part la sécurité (cybersécurité) et d’autre par l’addiction. La question concerne non seulement l’école mais aussi les parents. Etonnamment CANOPE, qui désormais aurait en charge la formation à distance, des enseignants est évoqué par le ministre qui en a vu une présentation avant son discours, lors de son passage dans le tiers lieu appelé « Cobalt » au centre de Poitiers. D’ailleurs, on s’étonne que le ministre n’ait pas évoqué le laboratoire de recherche Techne (qui n’était d’ailleurs pas invité) et le laboratoire Bonheur qui ont tous les deux commencé l’évaluation des deux premiers départements concernés par TNE et dont les travaux portent sur la question du numérique éducatif. Le ministre déclare d’ailleurs que les résultats de cette première année montrent « l’expérimentation positive » alors qu’aucun rapport n’est publié à ce jour.

Y aurait-il des concurrences entre universités lorsque le ministre évoque l’INRIA, le CNRS, l’université d’Aix Marseille « pour concevoir des solutions numériques interdisciplinaires avec des entreprises de la high tech pour développer de nouveaux environnements de formation et de travail numérique. » Alors que le matin même la société EvidenceB avait présenté son travail en lien avec l’Université de Poitiers. Bien sûr l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas oubliés, dont les moyens pour le numérique vont être augmentés avec une enveloppe de 110 millions d’euros, sans compter les 35 millions d’euros déjà débloqués pour l’enseignement hybride… et on ajoute les 77 millions d’euros du premier volet du Plan d’Investissement d’Avenir (PIA 4). On croit rêver devant cette distribution des prix et des subventions diverses…

En conclusion de ce discours et de cette visite on entend : « Je voudrais insister devant vous sur le fait que les enjeux sont pédagogiques, mais ils sont également, et évidemment aussi industriels. » Sans oublier les collectivités territoriales (parents pauvres dans ce discours et pourtant financeurs historiques du numérique scolaire), le ministre ne néglige pas les questionnements qui se posent : écologiques, acceptabilité entre autres. Mais ce qui ressort surtout de ce discours c’est l’impression que rien n’a changé depuis 1985. Pourtant en 1997 le PAGSI (Programme d’Action Gouvernemental pour l’Entrée dans une Société de l’Information), ainsi que le rapport Gérard avaient donné le ton et relancé les dynamiques. Mais il semble que rien n’y fait autant qu’une crise sanitaire « dure », une crise majeure, qui souligne nitre fragilité, mais surtout notre manque d’anticipation dans cette évolution mondiale autour de l’économie centrée sur le numérique. On se rappelle encore les fameux TO7 et MO5 qui devaient sauver la France informatique de 1985. Malheureusement les politiques publiques menées depuis cette époque n’ont pas réussi ni à mettre l’industrie en ordre de marche, ni à amener le monde scolaire et universitaire à prendre conscience de l’importance du numérique au quotidien…. Ne risque-t-on pas d’entendre le même discours dans les prochaines années ???

Bruno Devauchelle

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