Image de soi, popularité, reconnaissance et ego dans un monde numérisé, le problème des égotistes

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Ce billet est le signe d’un énervement, d’une contrariété. Pourquoi tant de personnes prennent à parti d’autre personnes plutôt que de s’engager dans des débats sur leurs idées, leurs actions. Cette confusion vient d’abord de ceux qui « attaquent » d’autres personnes, car avant tout, c’est d’elles qu’elles parlent et en particulier de leur ego. Auto centration, égoïsme, mégalomanie et parfois paranoïa sont au rendez-vous de ces ego qui ont besoin de se montrer et pour se faire de dénigrer les autres. Alors que le débat d’idée est une bonne chose, les attaques « ad hominem » sont dangereux, l’histoire l’a montré, qui parfois amènent à des éliminations pures et simples. Car celui qui réprime l’autre tente de sauver son ego, bref j’appelle cela de « l’égotisme ».

Pour vivre nous avons besoin des autres. Mais de ces autres nous recevons aussi des messages que nous tentons d’ingérer dans notre système mental. Ces messages sont d’autant plus importants qu’ils nous permettent de gérer notre estime de soi. Avec le développement des moyens numériques et en particulier ceux qui permettent de s’exposer, sans filtre, avec ou sans interactions, nous découvrons qui nous sommes et qui sont les autres. Narcisse n’a qu’à bien se tenir… il a de nouveaux rivaux. Ainsi « un jour, Narcisse vit son reflet dans l’eau claire d’une source, et il tomba amoureux de sa propre image. » la suite de l’histoire (aux multiples versions) est plus triste et pessimiste. A force de penser à sa propre image, on finit par se « noyer » dedans. C’est bien une alerte qui est faite à tous, et qui nous amène à nous interroger sur notre rapport à cette image de soi et plus globalement à son ego.

Pour qui connait l’ouvrage de Balzac, « les illusions perdues », et la magnifique mise en film de Xavier Giannoli en salle en ce mois de novembre, l’image de soi et du besoin de reconnaissance sont de puissants moteurs du développement humain. Ce sont aussi de puissants moteurs de l’expression humaine publique en particulier. Dans ce film remarquable, on voit comment on peut élever ou rabaisser quelqu’un rien qu’en trouvant quelques propos « bien sentis », parfois assassins ou hagiographiques. L’humain est ainsi fait, semble-t-il, qu’il faille s’accommoder de ses faiblesses et tenter de vivre avec. D’autant plus que chacun peut passer d’un camp à l’autre en très peu de temps. Si dans ce film ce sont les gazettes papier qui portent la parole, on retrouve des phénomènes similaires actuellement sur les réseaux sociaux. D’ailleurs à l’époque vue par Balzac, l’état avait fait interdire cette presse, tout comme certains tentent de limiter ou de contraindre les responsables des réseaux sociaux numériques.

L’image de soi n’est pas qu’une affaire commerciale ou politique, c’est aussi une question de psychologie, de philosophie mais aussi d’éthique. Première action, se montrer. Deuxième action, se valoriser. Troisième action, rechercher des renforts à sa valorisation. Quatrième action, critiquer les autres. Cinquième action, devenir agressif et le rester. Sixième action augmenter la fierté de soi. Bien sûr, aucun égotiste n’acceptera de dire qu’il rentre dans ce portrait. Car un égotiste ne peut accepter d’être critique sur lui-même sauf si ça lui permet de renforcer sa propre image par effet de contraste. Avec les nouvelles possibilités pour mener à bien toutes ces actions, il n’est pas étonnant de mieux voir ces acteurs de l’ego. D’ailleurs ils s’activent tout le temps ou tout au moins très souvent en ligne. On peut compléter le tableau par le besoin qu’ont ces personnes d’une part de signaler leurs titres de gloire, parfois en les amplifiants, d’autre part de dénigrer les autres, égotistes ou non. D’ailleurs ils le font au nom de leur légitimité qu’ils estiment suffisante pour se permettre des propos désagréables.

Chacun de nous cherche à avoir une image de soi suffisamment positive pour continuer d’agir. Malheureusement certains sont en difficulté face à leur propre image. La dévalorisation de soi, le repli, et parfois même a dépression mine la personne. C’est alors que certains égotistes en profitent, on appelle parfois cela du harcèlement, ou parfois aussi une forme de perversion. Plus simplement, l’égotiste se sent sûr de sa posture et s’autorise donc à se sentir dans une sorte de supériorité (qu’il dénie) vis à vis des autres. Si jamais il est confronté à une opposition importante, soit il s’écroule, soit il réagit en victime.

Chacun de nous a un degré d’estime soi nécessaire et souvent suffisant. Pour ce faire, on a besoin de porter notre propre image dans un espace public, plus ou moins étendu. Il se trouve que les possibilités offertes par le numérique permettent justement d’élargir son cercle de visibilité car il n’y a pas de filtre majeur. Par contre rien n’empêche une autre personne de parler de vous pour la même raison technique. Comme de plus la culture des interactions en ligne s’est développée (rappelons qu’elle n’est pas nouvelle, les forums de discussion sont antérieurs au web) sur un mode conversationnel le plus souvent, il est aisé aussi bien de se montrer, que de voir, que de montrer l’autre, que de critiquer l’autre. Troll et autres égotistes ne sont pas non plus nouveau et malheureusement, la violence des propos que l’on peut lire démontre clairement que les possibilités d’expression en ligne mettent une distance qui est perçu comme protégeant. Elle protège aussi bien celui qui se montre que celui qui critique violemment. D’ailleurs il y a des modes de critiques et d’agressivité qui sont assez classiques mais qui sont plus difficiles à supporter que les échanges en face à face. Par exemple, la mise en cause de la personne et non pas la critique de ce qu’elle dit. La technique est bien rodée : il suffit de commencer par dire que ce que l’on pense de la personne avant d’évoquer les critiques que l’on pourrait faire sur les propos qu’elle tient. Cet exemple est assez illustratif de cette manière de faire de certains égotistes.

Si chacun de nous a besoin d’une estime de soi suffisante, il s’avère qu’elle est constamment menacée dès les premières années de la vie. Aussi la construction de l’ego est aussi une manière de faire face au risque de perte de cette estime de soi. Lorsque nous entendons parler de harcèlement, cyber ou non, nous sommes confrontés à une forme aigüe de cette attaque des egos, car l’agresseur a lui aussi un ego qui semble l’autoriser à mettre à mal celui de l’autre. Comme nous l’avons évoqué, les moyens numériques modifient progressivement les manières de construire et gérer son ego. Dès la plus tendre enfance, les instruments de communication mis à disposition élargissent la possibilité de contact avec le monde qui nous entoure. Chaque jeune est désormais familier avec ces moyens qui amplifient sa volonté de se situer dans le monde. Car dès ses premiers usages, c’est l’interaction humaine, synchrone et asynchrone, qui s’impose majoritairement. C’est donc un composant de la construction de soi qu’il nous faut prendre en compte avec ses spécificités. Cependant, une certaine continuité avec des comportements humains antérieurs à ces technologies nous rappelle que la construction de l’ego est une composante du développement humain. Et la même histoire nous rappelle que dans certains contextes cet ego peut amener à des catastrophes « humaines » comme nous en avons tant connu au XXè siècle et qui continuent aujourd’hui encore de par le monde.

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