Dans un monde numérisé, pour une école des initiatives : changeons de ministre ?

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Après cinq années de ministère de l’Éducation sous la direction de JM BLanquer, il est nécessaire de poser quelques questions à propos de ce qui peut être, pour le domaine du numérique éducatif, considéré comme insuffisant. En effet, après avoir abandonné le plan Hollande, après avoir voulu interdire l’usage du « téléphone portable » en classe, après avoir créé un enseignement obligatoire en classe de seconde générale et technologique, après avoir mis en place un enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques », après avoir créé un CAPES en 2020 et poursuivre par une agrégation en 2022, après avoir tenté de renforcer les programmes sur l’informatique, on reconnaît bien là la marque d’un manque d’imagination, même si cela se veut efficace. En effet, pour répondre aux besoins d’une industrie et d’une économie, le ministère a montré qu’il était à l’écoute de ces lobbys à la recherche de bras…

C’est en janvier 2022 qu’un texte du BOEN parle de la « Généralisation de l’éducation aux médias et à l’information »… C’est en novembre 2020 que sont lancés, suite aux États Généraux du Numérique, le projet Territoires Numériques Éducatifs, le socle numérique pour les établissements d’enseignement (SNEE), et même un travail sur le « bâti scolaire »… C’est aussi en janvier 2022, que le ministère publie le nouveau schéma de la formation continue des enseignants basé sur les école académiques… Bref il y a dans cette transformation des actions la preuve d’un choc qui a amené le ministère (et en particulier le premier ministre) à prendre en main (via le SGPI), manière souvent autoritaire, à engager ces chantiers. Et ce choc, c’est celui d’une société qui ne parvient pas à donner réellement une place au numérique dans le quotidien : on impose les services numériques, mais on oublie les utilisateurs, les usagers. Le Sénat révélant l’ampleur de l’illectronisme, de même que la mise en évidence de plusieurs des fractures lors des dernières années dont les fractures numériques associées aux fractures sociales, ces faits montrent bien que la pensée magique sur l’école ne fonctionne pas à l’ère du numérique.

Rappelons le, le numérique ne transforme pas la pédagogie, il transforme la socialité, le vivre ensemble, le faire société. Alors que les moyens numériques ont envahi l’espace social, certains ont pensé que les premiers choix du ministre auraient suffi. Erreur, il ne suffit pas d’enseigner l’informatique pour développer une pensée « critique » du monde qui nous entoure. Cette vision du rôle de l’école est une vision du passé, trop déconnectée des acteurs. C’est cette récente transformation des axes pris par le ministère après la crise sanitaire qui montre que l’on n’a pas pris la bonne direction et qu’il faut réorienter largement les actions dans et autour du monde scolaire, universitaire et de la formation à propos du numérique.

Ce qu’a révélé la crise sanitaire, c’est qu’il y a des possibles. Ces possibles, ce sont toutes les initiatives, minuscules principalement, locales surtout, qui ont révélé la richesse des personnels de l’enseignement et de la formation pour faire face à la situation de crise. Mais le ministère s’est arrêté là. Sans véritable vision du numérique en éducation, il n’a pas su capitaliser sur cette situation, car il s’est contenté de constat et surtout de faire des préconisations (EGN) qui auraient pu être faite avant même la crise, tant l’institution fonctionnait mal et que l’on connaissait les problèmes. Mais la crise sanitaire est passée par là et il est temps de changer de « logiciel », pour le dire autrement, de ministre à défaut de ministère. Après cinq années qui se terminent par des réajustements (comme nous venons de le signaler) de fin de règne, comme, par exemple la place des mathématiques au lycée, on ne peut qu’espérer une véritable transformation.

Pourquoi parler d’une école des initiatives? Parce que notre expérience nous a amenés très tôt à constater que pour piloter le numérique éducatif, il faut s’appuyer sur les initiatives minuscules, les rendre possibles, les accompagner. Or plutôt que de chercher à dynamiser l’ensemble des personnels on a préféré mettre en avant les réussites spectacularisables, conforter les manifestations du type Educatice, In Fine et autre Ludovia. Or l’effet de ces évènements touche d’abord ceux qui sont les « super héros du numérique éducatif ». D’ailleurs, on les retrouve de manière régulière dans ces évènements et dans ceux organisés à des niveaux plus locaux. Cet entre-soi est désormais à transformer en un entre « nous tous »…

Une école des initiatives, c’est une école souple, flexible, adaptable aux réalités locales. Les enseignants sont trop souvent condamnés à faire le grand écart entre les programmes et directives d’une part et les réalités locales aussi bien des élèves, des populations que des moyens. La vieille vision descendante (ce que l’on reproche aux politiques actuels et qui génère tant de défiance) a montré ses limites. Il est temps de libérer les énergies locales (et pas seulement par les salaires) en laissant des espaces d’initiative : organisation des enseignements, régulation des contenus enseignés (distinguer socle et approfondissement), sortir des cloisonnements multiples (disciplines, ages, classes, locaux, etc…). Au final cette école des initiatives, c’est l’école des parcours tout au long de la vie accompagnée par un environnement éducatif et formatif qui a soin de ne pas laisser de côté une personne qui ressent le besoin, l’envie d’évoluer. Autrement dit ce n’est plus seulement une école, mot trop restreignant, mais un environnement éducatif et formatif autour de « maisons de la connaissance », lieux fédérateurs des dynamiques de parcours qui permettent à chacun de se développer. On le voit, il y a aussi une cadre à transformer pour permettre toutes ces flexibilités.
Bien sûr, il est temps que les partisans du « ne changeons rien » et du « donnez plus de moyens » tout comme ceux du « faites ce que je vous dis » ou encore du « nous savons ce qui est bon pour vous », transforment leur manière de penser et de faire. Depuis plus de vingt années, le numérique a envahi toute la société sans que le système de s’interroge sur les écarts. Alors, on agit par à-coups (cf l’EMI de janvier 2022), par diktat (capes d’informatique). Non que tout cela soit inutile, mais cela ne relève pas d’une vision de la complexité sociale, d’une approche « adhocratique ». Pour renouveler cette vision, nous avons besoin d’une autre forme de ministère et dont de ministre. Il est temps que Monsieur Blanquer change de travail, lui qui se répand en ce moment dans les médias (retour à la surface après avoir plongé dans l’océan des manières de faire discutables) en souhaitant durer dix années. Peut-être serait-il plus utile dans un autre milieu que celui de la politique, lui qui en rêvait et avait mis en place une stratégie qui lui avait permis de devenir ministre. Mais probablement davantage dans un poste de « terrain », face à des jeunes et dans des actions concrètes et non pas dans des discours trop désincarnés. Oui, il a raté le virage d’une société qui se numérise de plus en plus. Il n’a pas permis au système éducatif d’en prendre la mesure, figé qu’il est dans ses convictions passées et trop éloigné des pratiques du quotidien.

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