La forme médiatique de la politique discréditée ? Que faire à l’école ?

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Entre la baisse de la participation active aux élections, la baisse du nombre de spectateurs pour le débat du second tour, la multiplication des sondages, aux résultats parfois étranges, et aux commentaires de tous les spécialistes et autres experts, professionnels des médias et de la parole… tout converge pour mettre en évidence le discrédit porté sur la politique mais plus grave, sur LE Politique. La vie de la cité intéresse de moins en moins la population qui sature de ces informations, et en particulier la jeunesse. Outre le trop plein de discours, il y a la forme médiatique qui s’est constituée au fil des années et qui ne concerne plus ceux auxquels elle s’adresse, autrement que pour vendre de l’audience et de la publicité et occasionnellement les aider à comprendre le monde qui les entoure.
Faut-il réécrire l’ouvrage de Pierre Bourdieu « sur la télévision » (1996, Raisons d’Agir) ? Ce que Pierre Bourdieu n’a pas pu connaître, c’est l’arrivée de ces nouvelles formes d’expression permises, sans filtre, par le web. Or ce contexte a alimenté largement le brouillard informationnel et rendu beaucoup plus difficile le décryptage de tout cet univers.

Les manipulateurs sont-ils parmi nous ? Il faut se poser la question à l’analyse de tous les propos tenus dans le cadre de cette période électorale. Il y a effectivement le souhait d’influencer la population en tenant des propos dans lesquels ils sont censés se retrouver. L’emploi des expressions globalisantes comme « les Français pensent que… », « la population souhaite… » est surtout des tentatives pour crédibiliser un propos public. Journalistes, commentateurs et politiques les utilisent en permanence et s’appuient bien sûr sur les fameux sondages et leurs approximations permanentes. Dans l’expression « compte tenu des marges d’erreur possibles » utilisée récemment par toutes sortes de commentateurs à propos des sondages, cela leur a permis d’exprimer des opinions en les faisant passer pour des « presque » vérités…

La désaffection constatée par tous est utilisée trop souvent pour discréditer les résultats objectifs, un peu à la manière des « redressements » des statisticiens… Aucun résultat objectif n’aurait ainsi de valeur. Électeur ou non, votre choix ne vaut rien au regard des commentateurs pour qui seule leur parole compte. Il serait bon qu’un aggiornamento des médias et des politiques soit décrété. Car une parole discréditée à ce point ne peut laisser indifférent. Les discours sont souvent prévisibles, orientés et n’apportent rien d’autre que le vent des paroles émises. Car ces paroles n’engagent pas ceux qui les tiennent à les réaliser. Il toujours plus facile d’attaquer celui qui fait que celui qui dit…  » bien dire fait rire, bien faire fait taire ! » comme le dit Jean Le Cam… Bizarrement c’est de navigateur de plus de soixante années qui exprime ainsi le désarroi d’une partie de la population qui est face au quotidien. Malheureusement, les propos manipulatoires et souvent inconséquents trouvent un écho auprès d’une population qui, pourtant, se sent « à l’écart » de ce milieu politico-médiatique qui sature l’espace informationnel.

Si l’on tente de porter un regard du côté de l’école et plus largement du système d’enseignement et de formation, on en vient à poser la question des « médiations » ou plutôt des « inter-médiations ». Dans une société du début du vingtième siècle, les informations sont peu accessibles directement, les savoirs encore moins. On s’en remet alors aux professionnels locaux que sont celles et ceux qui ont fait des études et dont le métier est associé à une parole crédible. Les enseignants en font partie (relisons Marcel Pagnol). Cette parole est-elle encore considérée ? Dans le mouvement de baisse de la réputation des enseignants, il y a ces concurrences informationnelles qui n’ont cessé de se multiplier. Pour les plus jeunes qui entrent à l’école, les premiers temps montrent un acceptation de la parole de l’enseignant(e). Mais rapidement, ils et elles sont pris en étau entre de nombreuses sollicitations qui les amènent à rechercher leur chemin. Et ce n’est pas facile. On le rappelle ici, la catégorie « jeunesse » n’existe pas tant qu’on n’en a pas précisé les contours sociologiques (au minimum). L’école, de par sa position égalitariste, tend justement à écraser ces différences, mais n’y parvient pas, et semble y parvenir de moins en moins.

Chaque enseignant est aussi un citoyen, avec ses convictions, ses croyances, ses savoirs et ses ignorances. Le monde numérique, dans lequel ils déclarent souvent avoir de plus en plus souvent de la peine à trouver ce dont ils ont besoin pour eux-mêmes, ils sont donc aussi souvent démunis. Sont-ils alors les bons intermédiaires auprès des jeunes ? Peuvent-ils assurer autre chose que ce que les politiques leur imposent au travers des programmes, des instructions officielles, voir des documents d’accompagnement ? La lente et progressive désaffection pour le métier (constaté aussi dans les pays anglo-saxons) semble indiquer que ces instructions sont de plus en plus en décalage avec le réel, le leur mais aussi celui des élèves dont ils ont la charge. En quelque sorte une perte de légitimité cognitive au profit d’une légitimité « commerciale » fondée sur des notes, des orientations scolaires, des examens etc… Le consumérisme scolaire aperçu dès le début des années 1980 par Robert Ballion (les consommateurs d’école, Stock ,1982) a fini par s’installer dans le paysage ordinaire (cf. les débats autour d’Affelnet et Parcoursup), au détriment d’une école de la citoyenneté, d’une école qui ferait société.

Cet aggiornamento que nous appelons de nos voeux suppose que ceux qui sont appelés à le faire commencent par analyser leur propre fonctionnement et ses conséquences. Médias et politiques sont au premier rang pour effectuer ce travail. Ils sont appelés à comprendre que leur crédibilité en baisse est le signe d’un affaiblissement plus général qui touche désormais aussi le monde de l’enseignement, de l’école à l’université. On peut en particulier penser, qu’à l’instar de Pierre Bourdieu, les formes du débat médiatique sont contre-productives : elles n’informent plus, elles confortent le biais de confirmation, elles appuient aussi sur l’accélérateur du relativisme voire du complotisme. Pour retrouver de la crédibilité, on peut penser qu’il est nécessaire de réfléchir aux manières de faire : interviews, débats, enquêtes, chroniques… C’est en particulier dans les accroches (titres, chapô) et les argumentaires qu’il est désormais nécessaire de travailler si l’on veut que l’information retrouve sa place et sorte de la spirale infernale de la popularité commerciale… qui a perdu désormais tout sens éducatif….

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