Éthique et numérique éducatif, une question à poser ?

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L’éthique peut être envisagée comme un « supplément d’âme » qu’il revient à chacun de développer au-delà du droit et de la morale. La loi fixe explicitement des limites. La morale tente d’imposer les habitudes sociales reconnues au sein des groupes humains en les énonçants comme principes. La déontologie, basée en partie sur la morale, vient spécifier dans un contexte précis, le cadre de l’action. L’éthique, elle, renvoie à chacun, à la personne, à ses choix souvent conscients et permet à celle-ci d’exister pour elle-même en se fixant son cadre. Sur un plan éducatif, l’éthique pourrait être considérée comme le repère pour la construction de l’autonomie du sujet qui faisant des choix éthiques construit son individualité, sa personnalité. Le développement massif des moyens numériques personnels, individuels, désormais attestés, invite à réfléchir à cette capacité d’une éthique liée aux moyens numériques dont chacun dispose.

Devant les incitations, voire les injonctions à utiliser les moyens numériques dans l’enseignement, chaque enseignant est amené à faire des choix mais aussi à mettre en œuvre les directives qui le concernent dans un cadre contraint : les programmes. La loi, que nul n’est censé ignorer, doit être respectée. Cependant l’acteur du quotidien peut parfois s’interroger sur la pertinence d’une loi lorsqu’il est confronté à sa mise en œuvre. Ceci ne l’autorise pas à la transgresser. Et pourtant nombre de personnes n’appliquent pas la loi dans toute ses dimensions : soit par ignorance, soit par refus de cette loi, soit par choix « responsable » de ne pas l’appliquer (complètement ou partiellement). Dans sa classe l’enseignant est amené à s’interroger parfois sur cette mise en application. Ainsi, la liberté pédagogique n’est pas la liberté d’enfreindre la loi, mais de savoir-vivre avec dans le contexte de l’activité professionnelle. L’exemple du droit à l’image au sein d’une classe est-il un cas de mise en œuvre dont il convient de connaître la complexité. Il en est de même du droit de citation et de la fameuse exception pédagogique qui serait un assouplissement de la loi dans un contexte spécifique, celui de l’activité d’enseignement.

Être responsable, face à la loi, c’est la connaître suffisamment pour en assumer la force mais aussi parfois la dépasser. Dans ce dernier cas l’enseignant, s’il en a fait le choix, devient alors responsable des conséquences auxquelles il peut s’exposer et devra les assumer. Un enseignant qui, dans son activité professionnelle, effectue un acte contraire à la loi devra en être conscient et en assumer les conséquences. Toutefois, il est un certain nombre de cas où la loi ne peut être mise en œuvre pour une cause extérieure : absence de moyens dus à la hiérarchie (ou autre..) ou au responsable du problème causant ainsi le non respect de la loi. Dans le cadre du numérique, l’enseignant ne peut être responsable d’une réglementation si celle-ci n’est pas mise en oeuvre au niveau de l’établissement. Le respect du RGPD en est un bon exemple qui reste, à ce jour, encore trop peu travaillé en établissement. en 2005, la loi d’orientation inclut le B2i dans la loi, et pourtant il ne sera que rarement mis réellement en œuvre. Plus largement, il semble nécessaire que chaque acteur de l’éducation ait suffisamment de repères pour pouvoir agir en conscience et même avec « discernement » comme disait un ancien ministre de l’Éducation (JMB). Mais le discernement n’est pas suffisant, encore faut-il qu’une analyse plus « systémique » des contextes le rende réellement possible et pertinent.

Les différents droits qui sont en vigueur et applicables dans un contexte scolaire sont nombreux. Toutefois, la réalité des situations vécues prouve qu’une loi ne vaut que lorsqu’un juge l’utilise pour justifier son jugement et que celui-ci soit définitif… Il est donc très difficile de dire le droit au quotidien, tant les situations peuvent s’avérer complexes. La fameuse « jurisprudence » qui tente de traduire le droit en regard des faits met bien en évidence la fragilité du droit. Pourtant, ce droit est largement écrit et le code de l’éducation le confirme. Mais ce n’est pas le seul code à respecter. Aussi faut-il tenter d’identifier les droits auxquels il est nécessaire de faire référence pour exercer son métier en responsabilité : droit à l’image, droit d’auteur et de la propriété intellectuelle (et droits voisins), droit sur le respect des personnes (harcèlement, injures…), sur le respect des biens, protection des données personnelles (RGPD) etc…. On peut aussi évoquer les questions sous-jacentes comme la neutralité, la discrétion professionnelle, le signalement. Or c’est là que s’observe aussi la capacité à agir de manière « éthique ».

Ce texte d’Andre Pachod (https://aref2013.umontpellier.fr/?q=content/240-lagir-%C3%A9thique-et-responsable-de-lenseignant) qui analyse cette injonction d’un texte officiel permet d’aller plus loin dans le questionnement. La seule difficulté que nous rencontrons à la lecture de ce texte, comme de tant d’autres sur le même thème, c’est la difficulté à définir la dimension éthique et le repli des auteurs sur la dimension responsable. Erik Prairat (dont l’ouvrage sur l’éthique enseignante est présenté ici par Michel Fabre : https://journals.openedition.org/ree/6674?lang=en ) parlait récemment de la notion de « tact » qu’il a présentée, entre autres, dans cette conférence pour la Mission Laïque Française (https://youtu.be/-JMa1yQKjWI 7 avril 2019) intitulée « Quelle éthique pour l’enseignant ? ». On y trouve matière à approfondir le sujet, d’une manière certes un peu différente de la nôtre (distinction éthique et morale en particulier : « La morale ou l’éthique (comme on voudra) se réfère à la normativité de l’agir qui se traduit par une « inquiétude morale », marquée par le souci d’un devoir-faire ou d’un devoir-être. » (repris par M Fabre) ), mais riche et surtout opérationnalisable pour l’enseignant. Le numérique ne change rien à l’affaire ! En effet, simple prolongation de l’humain, sorte d’extension physique et mentale des capacités humaines, le numérique n’efface en rien ce qu’est l’humain, mais lui donne de nouveaux moyens d’agir. Dès lors la question éthique s’y applique aussi…

Au cours de l’année 2021 2022, nous avons proposé un parcours de réflexion sur cette dimension à des enseignants en début de carrière. Nous proposons ici une liste de situations auxquelles un enseignant peut se trouver confronté. Ces situations illustrent la nécessité d’une part de connaître les lois, d’autre part d’être en mesure de comprendre les problèmes posés par des situations pédagogiques ou didactiques et enfin d’agir de manière éthique. On peut développer ces situations, les spécifier pour être plus précis dans les questionnements.

Situation n°1 : Mettre en place un blog de classe
Situation n°2 : Diffuser des documents en classe
Situation n°3 : Prendre en compte la propriété intellectuelle des élèves et des enseignants
Situation n°4 : Quelle Diffusion de données d’élèves et de parents
Situation n°5 : Les questions juridiques et de responsabilité au sein de l’établissement scolaire, du cadre à la mise en œuvre
Situation n°6 : Les spécificités du cadre juridique et de responsabilité de l’utilisation d’Internet en milieu scolaire
Situation n°7 : Dans quelle mesure prendre en compte l’activité d’un élève sur Internet ?
Situation n°8 : Prise en compte de la situation d’un enseignant harcelé par des élèves
Situation n°9 : Utilisation de supports controversés en classe
Situation n°10 : Échange entre élèves et enseignants sur les réseaux sociaux
Situation n°11 : Recherche d’informations sur le web pendant un cours

À partir de ces situations, on peut poser un cadre pour des échanges au sein d’une équipe enseignante et plus largement d’une communauté éducative. Nous avons pu constater à de nombreuses reprises dans les établissements scolaires que les équipes ont souvent du mal à clarifier ces points de manière collective. C’est cette dimension collective qui vient croiser la réflexion individuelle que chacun peut mener, mais dont l’étayage, en particulier sur un plan éthique, ne peut se faire seul.

Deux liens pour prolonger la réflexion

https://www.neoprofs.org/t86277p25-possede-t-on-le-droit-d-auteur-sur-nos-cours
https://www.cap-concours.fr/donnees/enseignement/systeme-educatif/grands-principes-acteurs-reformes-organisation/les-enseignants-droits-et-obligations-ficpra07006

A suivre et à débattre
BD

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