L'achitecture scolaire peut-elle accueillir le numérique ?

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Le développement du numérique pourrait-il remettre en cause la sacro-sainte salle de classe ? C’est la question que l’on peut se poser quand, au niveau d’un établissement on envisage de construire un bâtiment, ou de redéfinir les espaces existants compte tenu du développement du numérique. Au delà de cette question du numérique se pose surtout la question d’une architecture scolaire qui soit articulée avec un projet pédagogique. La sacrosainte salle de classe a encore de beaux jours devant elle. Elle est largement majoritaire dans les édifices les plus récents. Seuls quelques espaces peuvent laisser penser que l’on pourrait faire autrement. Les CDI sont souvent les prototypes de ces lieux mais pas uniquement. L’apparition enjouée du terme « learning centre » dans la rhétorique officielle récente cache mal le fond du problème : articuler pédagogie et architecture, est-ce vraiment possible ? La réponse est oui, mais à condition que les choix pédagogiques soient orientés dans le sens donné par l’architecture. Car des pédagogies alternatives supposeraient d’autres formes d’architecture adaptée à ces types de pédagogie. Prenons un exemple simple : l’entretien ou le travail personnel des enseignants. Dans un établissement scolaire actuel (la très grande majorité), les enseignants n’ont pas de bureau dans lequel travailler. Ce simple fait est à mettre en lien avec la définition du métier d’enseignant fondé sur le seul face à face en classe par le décret n° 50-581 du 25 mai 1950. Dès lors que l’on va commencer à penser différemment ce métier, les locaux devront s’adapter… à moins qu’ils n’empêchent cette évolution en rendant tout simplement impossible des choix pédagogiques. Au delà de l’architecture, on peut parler, à l’instar de Callon Latour et Akrich d’actants pour signifier qu’aussi bien les humains que les objets qui les entourent portent de l’intention humaine et qu’ils en contraignent l’activité. Car lorsque l’architecte choisi une forme ou une autre, il porte une représentation de l’activité qui est enchâssée dans cette forme.
L’une des idées troubles qui pourrait traverser l’esprit serait de chercher dans les technologies numériques en ligne la possibilité d’un travail d’enseignant qui se ferait en partie à domicile. Ce ne serait pas forcément la partie enseignement, mais plutôt la partie suivi de l’élève. Si l’idée d’enseignement scolaire à distance n’est pas nouvelle, elle n’a pas apporté de façon apparente de changement à la forme scolaire jusqu’à présent. Aussi le responsable politique soucieux d’économie, et observant le foisonnement d’initiatives sur twitter, facebook, blogs ou mails pourrait se dire qu’il ne faut faire aucun effort architectural. En effet une bonne liaison internet pourrait largement permettre les relations personnelles entre éducateurs et jeunes, entre enseignants et élèves. Croire cela est tellement sot qu’on n’ose l’envisager de la part d’un politique responsable, quoique… quoi.. que. L’histoire de l’institution scolaire a fait d’abord ressembler les établissements scolaires à des casernes. Désormais ils ressemblent de plus en plus à des navires (paquebots, navires de commerces….) Mais l’agencement à l’intérieur n’a guère changé. Au lieu de penser que le numérique pourrait éviter d’engager des changements architecturaux, il faut au contraire tenter d’imaginer autre chose. Jadis, un lycée des Ponts de Cé dans la banlieue d’Angers avait tenté le pari d’une construction qui permettrait de donner une place particulière à l’informatique. Très difficile de trouver aujourd’hui des traces de ce projet vanté alors par la presse.
Et puis il y a la sacro-sainte salle de classe. Pourra-t-on sortir un jour de cette notion ? Non pas qu’il ne faille pas des salles, mais de définir la scolarisation uniquement par l’entrée salle de classe c’est s’empêcher toute autre forme d’usage et d’organisation des locaux et donc du travail qui s’y fait. Il y a collusion entre le modèle industriel de l’école et le modèle de la classe. Quand Gream Allwright écrit les lignes qui suivent :
...
Et ces gens-là dans leurs boîtes
Vont tous à l’université
On les met tous dans des boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
[…]
Puis ils font des jolis enfants
Qui vont tous tous à l’école
Ces enfants partent en vacances
Puis s’en vont à l’université
On les met tous dans des boîtes
Et ils sortent tous pareils…
On ne peut que constater que les choses n’ont guère évoluées. Et pourtant on trouve des lieux dans les établissements qui permettent d’envisager d’autres possibilités : des agoras, des rues, des espaces ouverts, des Centre de documentation, et certains se mettent à rêver de Learning centers… . En France la traduction de cette dernière expression pourrait être « centre d’apprentissage » ? Ou plutôt « centre d’apprenance » pour reprendre ce terme cher à Philippe Carré ? Outre que l’usage du terme anglais est connoté, il est surtout un objet fantasmatique terrifiant ce que d’aucuns n’ont pas tardé à dénoncer. Mais ce qui est nouveau dans ces approches, c’est que l’on pense lieus adaptés pour apprendre et non pas « petites boites ».
Une chef d’établissement me confiait récemment avoir fait acheter des fauteuils poire de toutes les couleurs pour faire des espaces lectures au collège (en lien avec le CDI). Critiquée de toutes parts (couleurs criardes, appel à la fainéantise et autres) le chef d’établissement n’a pas renoncé pour autant et après plusieurs mois, la satisfaction de voir des jeunes retrouver le gout de lire l’a emporté sur la position de la lecture. Car aux lieux s’ajoutent aussi les mobiliers. Aussi inconfortables que contraignants ils sont les complices objectifs, avec les tableaux « de toutes les couleurs et interactifs ou non » d’une forme d’enseignement industriel dont on trouve de nombreux témoignage dès le début du 20è siècle.
Le numérique apporte désormais des possibilités d’assouplissement importants de la forme scolaire. Mais encore faut-il vouloir engager une évolution pédagogique et une organisation spatiale adaptée. Si les temps et les espaces s’assouplissent, il est possible d’envisager d’apprendre autrement. On le voit bien la question est globale. Qu’apporte donc le numérique  de spécifique : il « prend de la place » mais pas une place physique (qu’est-ce qu’un netbook ou une tablette prend comme place), un place symbolique dans la relation aux savoirs. Or c’est cette frontière qui est en cours de déplacement et qui amène à s’interroger sur les lourdeurs architecturales. Les élèves sont parfois si imprégnés de cela que certains d’entre eux qui étaient dans une école faite dans des petites maisons en forme de pavillon de banlieue disaient : ici c’est pas une vraie école, y a pas de salles de classe et de cours de récréation. On le voit les représentations sociales sont lourdes à faire évoluer. Mais la contrainte nouvelle qu’apporte potentiellement le  numérique, c’est le pilotage de l’activité. Dans la classe le professeur pilote les actions des élèves. Si ce pilotage n’est plus l’apanage des enseignants au moment où ils sont en classe, mais en amont ou en aval, c’est la relation à l’acte d’apprendre qui change : la partie de transmission est réinterrogée au profit de la partie compréhension, négociation du sens. La partie contrôle est réinterrogée au profit de la partie accompagnement du processus de construction des connaissances et son évaluation.
Mais le numérique peut aussi être totalement conforme à la tradition. Il est « passe muraille », inodore et incolore… de là à ce qu’il soit sans saveur…
Les objets et les lieux qui nous entourent nous contraignent de deux façons : par leur forme elle même et par ce que représente leur forme dans l’histoire de l’ordre social. Or ce que le numérique est en train de mettre en cause c’est justement la forme de l’ordre social… il suffit de s’intéresser à l’évolution de conception scientifiques dans la société numérique actuelle pour le mesurer…
A suivre et à débattre
BD

3 Commentaires

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  1. Bonjour
    « Car lorsque l’architecte choisit une forme ou une autre, il porte une représentation de l’activité qui est enchâssée dans cette forme. »
    Cette affirmation est lourde de sens et pour des cohortes d’élèves c’est certainement la façon dont l’architecte a « subi » sa scolarité qu’il va reproduire dans ses plans.
    Un premier pas serait de cesser de mettre les apprenants en rangs d’oignons, ceux du premier rang tournant le dos à tous les autres… sans parler du prof qui écrit au tableau… Certains collègues, jeunes pourtant, ne peuvent pas « faire cours » autrement que de cette façon !
    Amicalement

    • Simone Forster sur 9 mai 2011 à 13:23
    • Répondre

    L’enfilade de salles de classe, portes closes, le long des corridors n’est sans doute pas l’architecture scolaire du 21e siècle. Sans doute le numérique va-t-il faire éclater la notion de degrés scolaires avec redoublements, etc. Une logique dépassée.

  2. Difficile aussi de faire du numérique avec des classes à 35 élèves…

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