Ecole et numérique, fossé et ou fracture

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L’enquête du Credoc sur les tic et les français publiée au mois de décembre sur la base de chiffres collectés en juin 2011 fait apparaître de manière nouvelle la question de la « fracture numérique « . Prendre en compte cette dimension suppose de la part du système éducatif une approche plus globale de l’environnement des jeunes. Cette façon de voir les choses aurait du aussi exister pour le rapport au langage oral et écrit, pour lequel la fracture est loin d’être négligeable mais dont on ne parle quasiment jamais…. et pourtant…
Pour ce qui est du numérique, il semble qu’il faille analyser deux éléments : l’E.N.P. et l’E.N.S. Le premier, environnement numérique personnel et le second, environnement numérique de socialité relèvent de eux logiques différentes. D’un côté il faut parler de l’ensemble des moyens matériels auxquels un individu peut accéder. D’un autre il faut parler de la manière dont le développement social de l’individu s’effectue.
La socialité est ici considérée comme un englobant de plusieurs éléments, culturels, ludiques, intellectuels, professionnels etc… Ces éléments sont « agis » potentiellement par le sujet, mais on observe que dans de nombreux cas ils sont au moins partiellement subis. Cela commence par le milieu dans lequel nait l’enfant et se poursuit tout au long de sa vie au fil des expériences et des épreuves qu’il rencontrera. On reviendra plus loin sur la question de la socialité numérique contrainte qui est en train de provoquer des problèmes nouveaux auxquels un système éducatif doit s’affronter.
Les enquêtes sur les tic ont tendance à fragmenter les pratiques par appareil et non pas par usage. La possession de telle ou telle machine est facile à évaluer et à identifier au travers d’un questionnaire, alors que son usage, surtout lorsque la machine peut effectuer plusieurs tâches, est plus difficile à analyser. Un certain nombre de personnes sont encore incapables de nommer correctement la manière dont elles sont connectées à internet. Or il y a au sein d’un foyer des redondances, comme le signale, dans l’enquête du Credoc, l’analyse de l’accès à la télévision qui devient de plus en plus difficile à analyser, tant pour le vecteur utilisé que pour la manière de l’utiliser (vod, différé, autres vidéos en lignes).
Reste que la première fracture numérique est, historiquement celle du matériel. Le monde scolaire à de moins en moins affaire à ce type de situations qui se sont raréfiées au cours des cinq dernières années de manière impressionnante. Cependant la question est fréquemment évoquée dans les établissements. Mais désormais on se trouve davantage confronté à des choix éducatifs qu’à des contraintes économiques ou techniques. Certains enseignants eux-mêmes se déclarent hostiles aux usages des tic, au moins en classe, à défaut de leur usage familial personnel… ceci est beaucoup plus rare, même si c’est parfois caché; on se cache pour apprendre à utiliser un ordinateur… Même si le monde scolaire se doit de maintenir l’égalité, les besoins spécifiques dans le domaine du numérique ne devraient plus en interdire la plupart des usages. Reste qu’imposer internet pour les bulletins scolaires et le cahier de texte peut provoquer des ruptures dans cette égalité. Mais savoir lire et comprendre ces supports est souvent bien plus compliqué pour certains que d’y accéder, fusse par les moyens numériques… Or on s’attarde bien plus dans le monde scolaire sur l’obstacle matériel que sur l’obstacle cognitif ! L’environnement numérique personnel des jeunes se compose non seulement de l’ensemble des moyens qu’ils possèdent, mais aussi de ceux auxquels ils ont accès sans pour autant les posséder. Cette dimension a longtemps été ignorée alors qu’elle est beaucoup plus fréquente qu’on ne le pense. La multiplication des lieux proposant des accès à des moyens technologiques permet souvent de s’affranchir des limitations individuelles. Prendre en compte cet environnement matériel ne suffit donc pas, il faut prendre en compte comment le jeune organise ces moyens et les structure en vue de ses besoins. Or c’est la qu’intervient la deuxième dimension à prendre en compte l’E.N.S.
Il n’est pas nouveau de dire que l’identité d’un jeune se bâtit sur l’image qu’il donne de lui même à son entourage et que l’informatique et ses usages en font partie. Au delà du déclaratif, il faut aussi donner des preuves, c’est à dire exister par et pas seulement avec. En d’autres termes utiliser devient plus important que posséder… Or la construction des usages se fait, dès l’enfance, en forte interaction avec le milieu, en particulier familial. Comme pour la lecture papier dont on connaît l’importance dans l’accès à la socialisation scolaire, l’usage des TIC est probablement en train de suivre un chemin qui pour l’instant reste parallèle, mais qui pourrait bien rejoindre celui de l’écriture papier tant on connaît la propension de l’école à scolariser les objets sociaux… et plus encore, comme le dit François Dubet, l’imaginaire scolaire à s’occuper de tous les objets qui peuvent intervenir dans les trajectoires individuelles de réussite.
Chaque jeune se trouve donc environné dès le début de la vie d’un contexte de socialisation dans lequel le numérique prend une place de plus en plus significative. La position respective des actants (référence à M.Callon et B.Latour, sociologie de la traduction) dans l’univers quotidien construit donc un espace réel et imaginaire de socialité dont il faut de plus en plus comprendre la réalité et mesurer les enjeux.
L’espace personnel de socialité est donc l’ensemble de l’univers que construit un jeune dans sa relation au monde avec le numérique et en interaction avec les autres moyens plus ou moins technologiques, ou non. C’est probablement dans cet espace que le fossé au la fracture (selon les rhétoriques choisies) se constatent le plus et ont surtout se développer à l’avenir. L’omniprésence du numérique dans le quotidien doit alerter les responsables politiques et les éducateurs tant elle impose désormais des compétences sociales et techniques nouvelles et peut comprises dans le grand public. La récente évolution du B2i révèle qu’il y a des lieux dans lesquels cette question est posée, mais la lecture de quelques situations réelles vécues dans des établissements scolaires montre que l’on est pour l’instant dans un flou général. L’origine de ce flou vient probablement de plusieurs origines. En premier lieu la diversité culturel du monde scolaire. Ensuite, l’omerta sur les pratiques personnelles des acteurs. Enfin la faiblesse de l’analyse sociologique et psychologique, voire anthropologique de ces mêmes acteurs, en particulier de nombre d’enseignants. Une pédagogie numérique peut paraître séduisante et présente de fait un intérêt dont il faut reconnaître que J.M.Fourgous se fait le chantre, mais elle oublie une dimension essentielle qui est justement celle de l’analyse de la socialité et de ses espaces de développement. Pourtant nombre de travaux, de recherche ou d’observation, nous offrent des outils pour mieux comprendre, tel le livre d’Anne Barrere sur l’éducation buissonnière à la suite de nombreux autres travaux comme ceux de Dominique Pasquier etc… Malheureusement le focus de certaines études et de nombreux médias s’est davantage porté sur les dangers et les risques ou encore sur l’idéalisation du numérique plus que sur les pratiques réelles. Les cultes du numériques sont des écrans aux réalités des pratiques sociales et le monde enseignant, comme les autres univers professionnels, n’échappe pas aux sirènes. Oubliant simplement de nombreuses observations, le monde adulte se protège des jeunes pour mieux se protéger de lui-même. Comprenant intuitivement que le pilotage leur échappe nombre d’adultes préfèrent ne pas regarder en face ce que leurs choix ont produit (on trouve être même cécité dans le monde économique). Les nouvelles socialités proposées aux jeunes sont celles qu’ils se construisent et non pas celles qu’on a imaginées en pensant à nos propres souvenirs d’enfance.
L’éducateur raisonnable se doit de s’intéresser à ce domaine de l’espace personnel de socialité s’il a le projet de ne pas laisser dériver une partie de la population vers une ignorance nouvelle, largement impulsée par le numérique. Accompagner la construction de cet espace personnel au sein d’un espace collectif et commun est un devoir de l’éducateur du XXIème siècle…  Les inconnues de ce développement sont nombreuses, mais le travail est indispensable au risque de se voir interroger dans les années à venir par les générations actuelles sur notre responsabilité dans les non choix éducatifs actuels…
À suivre et à débattre
BD

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