Numérique ou informatique, sciences et pratiques

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A lire plusieurs textes et débats sur la question d’un enseignement de l’informatique dans le monde scolaire depuis 1970, on ne peut qu’être surpris devant autant d’hésitations, d’incompréhensions mais aussi des enjeux cachés derrière. En premier lieu, il faut dénoncer la mauvaise foi de certains tenants de telle ou telle approche. Il est difficile d’accepter l’argument de créativité comme argument scientifique pour justifier l’installation d’une science de l’informatique. Par contre il est tout à fait légitime, et cela est dit par les mêmes personnes, de penser qu’il y a des concepts fondamentaux, quatre, reconnus par elles comme n’étant pas nés avec l’informatique mais que l’informatique a mis en premier : algorithme, information, langage et machine et qui structurent le corpus des savoirs liés.
Au cours des quarante années (ce n’est pas nouveau !!!) qui ont jalonnées ce parcours de l’informatique dans l’enseignement scolaire, il a été d’abord admis qu’une science, associée à des pratiques devait être proposée au lycée dans toutes les classes dès 1985. Après une remise en question partielle en 1992, (création des APTIC) liée à l’émergence de pratiques sociales et professionnelles qui prenaient de plus en plus d’importance dans la vie quotidienne; c’est en 1995 qu’a été restaurée cette option et ce jusqu’au début des années 2000. On peut donc constater qu’un enseignement de l’informatique a bien été mis en place, et celui-ci comportait surtout exactement les mêmes notions que celle proposée aujourd’hui dans la spécialité ISN, auxquelles étaient réellement ajoutées les dimensions sociales et citoyennes, qui ont presque disparues du référentiel de l’ISN, quoiqu’on en dise… et qu’on en écrive (cf. le BO du 13 octobre 2011 qui est étonnant à ce sujet).
Le problème et les débats viennent d’une opposition qui n’aurait jamais du émerger entre B2i et option/spécialité, sciences du numérique ? En effet les deux points de vue répondent à des logiques complémentaires mais surtout pas concurrentes contrairement à ce qu’écrit de manière malheureuse Gérard Berry dans son introduction au livre piloté par Gilles Dowek et publié par le Scéren CNDP. Il y a un vrai problème épistémologique, mais aussi idéologique, sur la relation entre la science de l’informatique et les sciences du numériques qui lui sont antérieures. Autrement dit nous assistons au souhait d’émergence d’une nouvelle discipline qui pourtant existe depuis longtemps dans l’enseignement supérieur (début des années 60 en France). L’introduction massive de l’algorithmique dans les programmes de mathématique au lycée met en évidence cette concurrence avec une spécialité qui ne pourrait s’inscrire que dans la continuité de cet enseignement et donc de la discipline de référence, les mathématiques. Or on le comprend, les tenants de la discipline informatique entendent bien trouver leur place spécifique. Cette attitude se retrouve constamment dans le développement de l’enseignement supérieur et dans son émiettement disciplinaire. Les sciences économiques, les sciences de l’éducation, celles de l’information et de la communication (SIC) ont réussi dans le supérieur, la première a obtenu droit de cité dans le secondaire. Certains enseignants des SIC ont revendiqué la même présence dans le secondaire (H. Le Coadic). On le voit, derrière un enseignement dans le secondaire il y a des enjeux souterrains importants. Dans le cas de l’informatique, un autre enjeu de taille doit être signalé : celui de l’industrie. C’est d’ailleurs un argument aussi employé (concurrence avec les USA et l’Asie) pour appuyer l’importance à donner à cet de cet enseignement. Voici donc rassemblés trois arguments différents : scientifique, politique et économique. On comprend plus aisément l’enjeu et l’on déplore les mauvais procès.
Pourquoi le B2i est une autre entrée qui peut converger vers l’émergence d’une véritable discipline autour de l’informatique ? Parce que le numérique, et pas seulement l’informatique, est au coeur d’une évolution sociétale qu’il ne faut surtout pas perdre de vue. La créativité de l’informatique n’est pas isolée de la société et n’est pas, comme le disent d’ailleurs les philosophes comme Jacques Ellul ou Gilbert Simondon seulement positive, aussi d’une science qui apporterait uniquement le bien être aux humains. L’idée même d’une décontextualisation sociale de l’informatique est en contradiction avec l’expérience sensible de chacun. C’est pourquoi il faut amener les jeunes à parcourir le chemin qui va de la pratique aux fondements de la pratique. Malheureusement, le modèle canonique de la transmission est encore trop souvent basé sur l’inverse : on ne peut pratiquer si l’on ne maîtrise pas le fondement scientifique ! Certes cela est un raccourci dont les contre exemples se multiplient à l’envi, mais l’inverse l’est bien davantage. Le problème est que l’enfouissement progressif des fondements scientifiques et techniques des usages crée de plus en plus en écart, un fossé un gouffre cognitif. Or l’apprentissage de l’abstraction n’est pas aussi naturel que ceux qui savent le pratiquer le pensent.
Le B2i, qui s’origine lui aussi dans les évolutions plus tardives de l’informatique, en particulier dans leur diffusion au delà des sphères contrôlées du savoir et de la technique, est pourtant la première entrée raisonnable. Même si la stratégie peut-être contestée, le bien fondé est inattaquable à moins d’irresponsabilité sociale ou de considération scientiste. D’ailleurs l’Ecole, encore tellement hésitante sur la place à donner au numérique, n’a pas réussi à définir une véritable ligne de conduite dans le domaine. Entre les risques d’aveuglement technophilique et d’ignorance technophobique, il faut, pour le monde scolaire, reposer la question des finalités. Si l’on estime que le formatage de l’esprit qui passait par la morale (J Ferry 1881) doit désormais passer par l’application mécanique de l’informatique, alors il y a fort à parier que de nouvelles dictatures se préparent et celle du numérique serait bien plus sournoise que celle de la morale, religieuse ou laïque.
Libérer de l’esclavage c’est aller vers la connaissance. Mais toute la connaissance et pas seulement l’une ou l’autre. Ce n’est pas B2i ou ISN, c’est les deux, dans une continuité et non pas dans une opposition stérile. Mais pour que cela soit possible il faut transcender les questions posées actuellement pour aller vers une réflexion sur le sens du progrès issu de la science informatique, des savoirs qu’elle produit, mais aussi de ce qui en est fait dans la société. Apprendre l’algorithmique permet non seulement de savoir, mais aussi de savoir faire et de savoir être… mais peut-être n’a-t-on pas trop intérêt à travailler cette troisième dimension de la compétence… fut-elle informatique.
A débattre
BD

1 Commentaire

  1. « Ce n’est pas B2i ou ISN, c’est les deux, dans une continuité et non pas dans une opposition stérile. » oui, mais cela signifierait que, dans ce contexte de tension autour des postes et de reconnaissance des disciplines peu propices à une réflexion posée, que c’est l’intérêt de l’élève (futur citoyen) qui est en question. Ce dont je doute fortement !

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