Comment j'ai pourri les livres ! et mes profs !

Print Friendly, PDF & Email

Cette histoire est presque totalement inventée. (J’aurais reçu ce texte sous forme de mail anonyme)
Avec plusieurs amis de la classe de seconde de mon lycée, nous en avons eu marre de cette suspicion permanente des profs, des adultes à notre égard. On ne serait que des copieurs, des plagieurs, des tricheurs. Certes, à plusieurs reprises, j’ai emprunté des chemins détournés pour obtenir la reconnaissance scolaire sans pour autant faire les efforts demandés. Mais il faut dire que la naïveté de nos profs et de l’encadrement nous ont bien aidés. Ils ne voient rien dans la classe, dans la cour, au self, et encore moins dans la rue.
Et puis il y a cette sacralisation du livre qui devient insupportable. Manuel scolaire, dictionnaire, livre à lire, livre à ne pas toucher, livre à rendre dans les délais, livre à lire dans le silence absolu imposé par la mère supérieure du CDI… Avec les collègues on s’est demandé comment faire pour piéger nos profs, les adultes et leur démontrer qu’ils font une confiance aveugle à des supports qui ne sont pas plus fiables que ceux, sur écran, que nous utilisons au quotidien. Nous avons donc contacté un éditeur scolaire en nous faisant passer pour un collectif de profs qui voulaient inventer un nouveau genre de manuel scolaire. L’idée était de faire un manuel global qui rassemblerait tous les contenus n’ont pas d’une matière mais de toutes les matières d’une année. L’idée est que chaque établissement achèterait un manuel scolaire par classe. Il serait « fabriqué à la demande » selon les options des élèves et leur niveau d’étude. Les responsables n’auraient qu’à « cocher des cases sur Internet, pour obtenir « Le Manuel » de l’année.
L’éditeur emballé par le projet qui révolutionne les sacrosaints manuels disciplinaires (10 à 12 par année scolaire) et qui résout nombre de problèmes de poids et de diversité nous a dit d’accord, à titre expérimental. Nous nous sommes donc mis au travail. D’une part nous avons pris en note tous les cours de nos profs (on en a enregistré certains), d’autre par nous sommes allé chercher sur Internet les éléments complémentaires pour donner un air de livre scolaire à nos documents. Evidemment chaque source était référencée, mais toujours de manière approximative voire fausse et cela volontairement. A la fin de l’année de seconde nous avons livré à notre éditeur le livre prêt à publier.
Il a fallu ruser avec l’éditeur car il a essayé de nous identifier et de vérifier notre travail. Mais nous avons trouvé quelques complices qui nous ont permis de franchir les différentes étapes. Et puis il faut bien dire que l’éditeur de manuel scolaire est peu regardant quand il s’agit de rentabilité : produit radicalement nouveau, produit sur mesure, révolution pédagogique etc… Quand aux contenus, ils n’ont pas été vérifiés réellement sur le fond. D’ailleurs on avait glissé quelques erreurs suffisamment visibles pour analyser le mode de correction de l’éditeur. Outre les fautes d’orthographe, ce sont surtout les erreurs de contenus qui ont été le plus faciles à faire passer. Un texte a changé d’auteur, un autre texte, totalement inventé a été attribué à un auteur totalement inexistant.
L’année suivante nous avons essayé de repérer si l’ouvrage avait été distribué et de trouver d’autres élèves pour nous dire ce qui en était fait en classe. Nous n’avons pas été longs à trouver. La presse nous y a aidé, elle qui a été prompte à faire un article sur cet établissement innovant qui avait adopté ce nouveau manuel. Il a suffit de quelques messages numériques à des élèves des classes concernées pour mettre en place un « observatoire »…
Les résultats sont édifiants ! Nombre d’enseignants n’ont pas vu la moindre erreur dans ce manuel. Certains ont même affirmé en cours des « vérités » scientifiques qui ne l’étaient que dans le manuel. L’éditeur tout à la joie de son coup médiatique a pu faire parler de lui. Dans les classes, nous avons demandé à des élèves de corriger certaines erreurs que les enseignants n’auraient pas relevées. Ainsi sur une carte l’emplacement et le nom des fleuves avait été volontairement modifiés, lorsque les élèves ont signalé l’erreur, ils ont argué que sur wikipédia la carte était différente. Ils se sont entendus répondre que si on regardait tout ce qu’il y avait sur Internet on ne trouverait que des choses fausses, en particulier sur ce site. Une autre fois, une référence d’une photo ainsi que la légende ont été contestées par les élèves. La réponse de l’enseignant n’a pas tardée : si c’est dans un livre c’est que l’éditeur (et les auteurs) l’a vérifié.
A force de nous considérés comme des nuls, nous avons pris nos propres profs en défaut. Ce qui est le plus drôle c’est qu’en même temps il y en a qui a tenté de nous piéger et que, se croyant malin, il l’avait publié sur le web. Il a fait un buzz remarquable, bravo. Probable que notre expérience sera moins médiatisée.
Contrairement à cet enseignant qui nous a pris pour des cobayes idiots, nous avons pris soin de ne pas faire réellement cette expérience mais de l’inventer. Sauf que ce texte est inspiré d’un nombre important d’observations que nous avons faites dans nos classes. Il est temps qu’on arrête de nous prendre pour des quiches !!!
Anonyme
Pour copie conforme
Bruno Devauchelle

16 Commentaires

7 pings

Passer au formulaire de commentaire

  1. Merci Bruno 🙂 C’est salutaire.

  2. Tiens je connais même un CDI dans un collège de la région parisienne où la responsable interdisait aux collégiens d’utiliser les ordinateurs… Comme ça elle était bien tranquille seule dans son CDI. Depuis qu’elle est partie les choses se sont arrangées.

  3. Bonjour!
    Merci pour ce billet qui m’a inspiré et m’a aidé à poursuivre certaines réflexions. Mes traces sont ici: http://pedagotic.uqac.ca/?post/2012/03/28/Il-a-pourri-le-web%2C-mais-je-ne-crois-pas-qu-il-a-conclu-correctement

    • natacha massa sur 29 mars 2012 à 07:12
    • Répondre

    Et beh, si j’interdis les ordis à mes élèves, ça serait le putsch chez moi ^^. Après, le revers de la médaille est que je ne fais pas partie de ces CDI silencieux mais bruyants et donc vivants. En tout cas, cet article m’a bien fait sourire ^^.

  4. Merci Bruno, ça fera peut être réfléchir… quoi que 😉
    et je partage l’avis de Natacha, un bon CDI est un CDI vivant, et non pas un sacro-saint sanctuaire… Les mentalités mettent du temps à changer !!

  5. s’il est vrai qu’un CDI ne doit pas être un sanctuaire, il n’en est pas moins vrai qu’il doit aussi permettre à ceux qui veulent lire ou faire des recherches dans le calme, de pouvoir le faire.

    • Jacqueline Verdier sur 29 mars 2012 à 15:13
    • Répondre

    Ton imagination débordante est si proche du réel, Bruno. Un vrai scénario de nouvelle ! J’aime l’idée du manuel virtuel global à la carte.

  6. Excellent!.. et salutaire!.. et empli d’accents de vérité!!!
    Et les élèves sont en effet bien plus pertinents que ne veulent le croire certains profs…

  7. A force de nous considérés comme des nuls … considérer ;o)

    1. Il est toujours dangereux d’opposer des groupes au sein d’une population… Il s’agit d’un procédé rhétorique qui ne permet pas de comprendre ce qui se passe, ni de dépasser les incompréhensions en particulier generationnelles.
      Personne n’est nul ou génial… Tant qu’on se questionne…

  8. Oui mais, oui mais… L’histoire n’est pas probante : le manuel doit être commandé « par internet », donc c’est bien l’internetz qui est dangereux, non ?
    -> [ ] très vite 😉

    1. Ah bon vous croyez que c’est Internet qui est dangereux ?
      Et si c’était simplement les humains qui l’utilisent qui étaient simplement humains….

      1. [ ] <- (je suis revenu, lentement ce coup-ci).
        Hihi, non, je ne considère pas que l'internet soit dangereux, pas plus que les carrefours ne le sont. Par contre, certains usagers des carrefours… Des humains humains, vous avez raison.
        N'empêche le côté circulaire qu'induit dans cette polémique la notion de "simplement cliquer des cases sur internet", j'ai trouvé ça très amusant. Et relevé dans un commentaire court et qui se voulait drôle. En phase avec ce qui me semble être la position mass-media-dominante. La peur vend mieux que le bonheur.

    • Odile Chenevez sur 31 mars 2012 à 12:04
    • Répondre

    Salutaire réponse dont l’un des mérites est de passer par l’humour. Oú l’on voit que ce qu’il importe d’enseigner c’est l’honneteté intellectuelle et l’intelligence critique. Toutes choses qui nécessitent modestie, rigueur, respect et distance. Le numérique n’y change rien. Soyons juste collectivement assez intelligents pour en faire un atout.

  9. Bonjour,
    L’article des élèves, c’est vraiment du n’importe quoi……Jamais un prof comme il se doit, dit que les livres sont « le programme » C’est ce que je dis chaque année d’ailleurs aux parents qui eux le croient! Je le dis aussi aux élèves, en leur faisant remarquer, que surtout la première année de parution du livre, il y a de nombreuses erreurs. Régulièrement, nous les relevons, prof et élèves ensemble.
    Quelle prétention, cet article, que je ne crois pas vrai, d’ailleurs! Tout juste à dénigrer les professeurs..
    Un prof très en colère

    1. Ce texte est « au second degré »…

  1. […] Pour conclure cette revue de web, une histoire à lire, raccontée par Bruno Devauchelle qui remet bien en perspective cette expérience comment j’ai pourri les livres de mes profs. […]

  2. […] pièges aux élèves ici et qui fait réagir grandement (1, 2, 3, 4 (compilation de réactions), 5, 6, […]

  3. […] Comment j’ai pourri les livres ! et mes profs ! – Billet de Bruno de Chevauchelle […]

Répondre à cat Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.