Et si on faisait davantage confiance aux jeunes !

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Le développement des usages du numérique, en particulier des réseaux sociaux et autres moyens de communication est accompagné très souvent de comptes rendus de situations difficiles, parfois graves, de dérives pouvant générer des craintes chez les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Cependant, rapporté aux nombre d’usagers, ces phénomènes sont extrêmement marginaux en quantité. L’effet loupe est ici en pleine action. Malheureusement ces propos génèrent des effets complémentaires qui vont bien au delà, du moins le disent-ils, des intentions de leurs auteurs. Le monde enseignant, pas plus et pas moins qu’un autre, est vulnérable à ce genre de propos. Mais cette profession qui travaille auprès d’un public souvent dénoncé comme fauteur de troubles, les jeunes, se doit justement de prendre ses distances et tenter de se situer à la bonne distance par rapport aux propos diffusés.
Au delà des conflits générationnels récurrents, apparaît un phénomène que l’on trouve parfois chez des jeunes enseignants, l’absence de confiance a priori envers les jeunes. En d’autres termes, le regard qu’ils ont sur les jeunes des classes dans lesquelles ils enseignent est d’abord fondé sur le fait qu’il faut se méfier d’eux. Cette méfiance se traduit assez directement par l’importance qu’accordent ces enseignants au renforcement des règlements, sanctions et punitions mais aussi des structures et personnels chargés d’assurer l’application de ces cadres. Nombre de Conseillers Principaux d’Education rapportent cette observation d’enseignants qui en arrivent à leur envoyer de plus en plus souvent des élèves pour les sanctionner.
Le numérique, et sa cohorte de discours dénonçant des dérives, apporte de l’eau au moulin à ces conceptions. En élargissant le champ des possibles, en évitant le face à face direct, en permettant un relatif anonymat, Internet potentialise des comportements qui peuvent faire craindre la généralisation de faits comme l’impolitesse, l’injure, la dénonciation anonyme etc… Le jeune enseignant est plus vulnérable face à des élèves du fait de l’écart d’âge réduit qui peut amener à des confusions. Mais se raidir a priori est-il un moyen de se prémunir ou au contraire un amplificateur de ces dérives ? La difficulté est donc bien de trouver la bonne distance, en sachant par avance qu’elle sera constamment mise en cause, à réévaluer, à resituer avec le fil des évènements.
L’observation de l’attitude des jeunes entre eux face à Internet devrait pourtant nous donner des informations intéressantes : l’auto-régulation, la co-formation, l’entr’aide sont bien plus fréquentes que l’inverse, au sein d’un cercle de relations assez proches. De plus, chacun de nous, en vieillissant, a tendance à oublier sa propre histoire, ses propres dérives adolescentes, réelles ou imaginaires. L’histoire des conflits générationnels ou au moins de leurs représentations se répète pourtant régulièrement. Si on interroge aujourd’hui des adultes de 45 à 55 ans sur ce que l’on disait d’eux à l’époque où ils étaient adolescents, ils sont étonnés de constater les discours tenus d’une part, et la réalité de ce qu’ils sont devenus. Et si l’on poursuit de manière plus approfondie l’analyse des parcours de vie on s’apercevrait que ce qui caractérise le plus les étapes difficiles qui ont été surmontées dans la jeunesse l’ont été grâce à la confiance : celle des autres envers soi, celle de soi envers les autres, celle de soi envers soi.
Assez souvent ce que l’on appelle confiance est surtout de l’inconscience. L’une des caractéristiques des comportements limites des adolescents est qu’ils s’effectuent en dehors de la vue des adultes encadrant. Des parents déclarent souvent faire confiance à leurs enfants, ce qui est particulièrement intéressant à entendre, mais l’observation montre qu’il s’agit parfois d’une confiance par incapacité. Le fait que la plupart des parents ignorent ce que leurs enfants font des objets numériques dont ils les ont dotés est une bonne illustration de ce déplacement. Car la confiance n’est pas la méconnaissance et encore moins l’inconscience. La confiance c’est d’abord le « pouvoir dire ». En matière de numérique c’est le « pouvoir dire » mes pratiques, échanger à leur propos avec d’autres, sans crainte, mais sans complaisance. Un enfant qui se sent « en confiance » n’hésite pas à dire aux adultes qui l’entourent ce qu’il fait. Mais un enfant qui se sent délaissé peut construire progressivement, à force d’impossibilité de parole, un espace clos, étanche, fermé aux autres et aux adultes, les plus proches en particulier.
Dans la classe, la parole, le pouvoir de dire est essentiel. Combien de jeunes n’osent pas répondre, combien de jeunes préfèrent ne pas prendre la parole. Et paradoxe, ceux qui sont le plus à l’aise ont tôt fait de se voir marginalisés par leurs collègues (intellos, fayots etc…). Comme si la norme c’était l’absence de confiance de l’adulte et que le comportement adapté était le repli, le silence. Le fait qu’avec le numérique une nouvelle forme de parole peut circuler pourrait être un fait intéressant. On remarque en particulier que les élèves et les enseignants qui communiquent par des canaux personnels (mail etc…) à distance y trouvent un regain d’intérêt et de confiance. Pouvoir s’adresser en direct à son prof serait plus facile sur Internet que dans la classe ? En tout cas de nombreux témoignages attestent de l’intérêt pour ces nouvelles communications qui permettent d’enlever le cadre formel et enfermant que peut constituer la classe traditionnelle. On peut aussi considérer que la façon de « faire classe » induit aussi ces comportements chez les élèves. Les méthodes pédagogiques qui engendrent de l’affrontement de la concurrence sont elles davantage porteuses de ces comportements de défiance ? Les méthodes participatives et coopératives au contraire permettent-elles d’apaiser les relations et des renforcer la confiance ? Trancher trop rapidement vers l’un ou l’autre serait oublier que la confiance tient d’abord dans le regard que chaque individu porte sur l’autre, et ce quelque soit le contexte. C’est lorsque ce regard se modifie que les contextes renforcent les effets de méfiance.
Internet et le numérique engendrent des discours de perte de confiance de la part de certains. Mais au delà des techniques, dont la forme modifie les contextes de travail, c’est l’humain qui doit parvenir à en domestiquer voire à en transformer les potentialités au service de sa vision. Si je n’ai pas confiance, je vais demander des règles, des lois des sanctions de plus en plus dures. Si j’ai confiance, je vais faire en sorte que les techniques se mettent au service de la possibilité de dire et non pas l’inverse. Certes certaines formes techniques engendrent des dysfonctionnements de par leur fonctionnement qui parfois « exclusivisent » la relation à l’objet (quand on a le regard rivé sur son écran de proximité tout en étant en conversation avec quelqu’un d’autre). Ces comportements, de même que ceux qui génèrent une absence de politesse minimale par exemple, sont bien issus d’une discipline personnelle, d’une sorte d’éthique de la relation, qui est bousculée par des techniques qu’on laisse prendre la place. Dès lors que je ne laisse pas remplacer la parole échangée par l’exclusivisme, j’ai des chances non pas d’avoir à mettre en place des règlements, mais plus des codes de conduites mutuelles, parfois explicites, mais souvent implicites. Le texte de loi à tendance à être rédigé quand les mots ne servent plus à contenir l’humain, même en ligne. Faisons confiance aux jeunes !
A débattre
BD

1 Commentaire

2 pings

  1. Je me suis permis de re-publier en entier (en citant les sources, cela va de soi)… car je signerais volontiers des deux mains… ce texte qui devrait figurer dans TOUTES les salles des profs
    Je recadre aussi cette prise de position alors qu’un enseignant se vante d’avoir pourri le web pour piéger ses élèves et que la presse nous rapporte que plus de 40 % des parents espionnent leurs ados.
    Merci bruno

  1. […] Et si on faisait davantage confiance aux jeunes ! Le développement des usages du numérique, en particulier des réseaux sociaux et autres moyens de communication est accompagné très souvent de comptes rendus de situations difficiles, parfois graves, de dérives pouvant générer des craintes chez les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Communautés d'apprentissage collégiens / lycéens et réseaux sociaux Réflexions Education aux médias TICE [+] Réseaux sociaux guide internet astuces Identité numérique pédagogique actualités Ressources bibliothéconomie watching ecole VEILLE applications TIC histoire superbe animation Réseaux sociaux médias consécration professionnel Chiffres 2010 forums digital chiffre internet chiffres web wanted html5 portfolio diath articles monde destination concrètement mind mapping idées préparer ressources Cloud computing cacoo ligne société 9 impôts différence comprendre les réseaux sociaux espace ciblage Les nouveaux médias, ca change quoi ? sociaux medias numeriques education journaliste Identité numérique et protection des données accueil pratique Reseaux sociaux médias facebook réseaux propriété intellectuelle commons jeunes droit Animation et Ecriture ecrit Moodle cours en ligne (e-learning) propos idées twitter réseaux libre réseaux sociaux internet guide créer réseaux sociaux et éducation comptes protection données perso numérique risques sites officiels accueil académie internet Facebook human dépense Ressources pour préparer la classe chartes internet objet mediation numerique accueil dessourisetdespetitesmains droit d'auteur- plagiat actes Education et numérique formation Twitter : Utilisations pédagogiques communiquer bulletin Aspects légaux droits plutôt vigilance ado TICE christian mcouton internet Outils Tice histoire TICE et B2i fiches réseaux chaînes Ressources pour enseigner l'histoire-géographie au collège et au géoconfluences Citoyenneté Internet savoir Droit sur Internet centre parcours règle Utile Enfants Logiciels libres home • contact • blog • fb • twitter to experience pearltrees activate javascript. […]

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