Les tablettes, un jeu d'enfant… un cauchemar des adultes ?

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Noël arrive et les cadeaux se déclinent dans la presse avant de se retrouver dans le cabas de la ménagère et accessoirement au pied d’un sapin. Cette année, il semble que les tablettes fassent leur arrivée en force dans cette catégorie… Le récent rapport (commenté en anglais ici avec le lien sur le document source http://beantin.se/post/33837892740/swedish-internet-use-2012 ) présenté par le Suède nous amène à observer des usages très précoces des tablettes et smartphone. On ne peut s’en étonner, à voir les parents face à leurs enfants lorsqu’ils utilisent, en leur présence, ces objets. A l’instar de la lecture, voir les adultes devant soi utiliser un objet incite inévitablement les enfants à exercer leur curiosité. On peut aisément penser qu’avec l’arrivée d’offres à bas coût (moins de 100 euros) ou d’offres ciblés enfance (on se rappelle les ordi-mini des catalogues de jouets), et vu le pouvoir de séduction de ces machines qui ne ressemblent pas à des ordinateurs et qui proposent un usage instantané de l’objet, les parents, les adultes soient tentés d’en offrir à la jeune génération. Peut-être même, bientôt, les lecteurs de DVD sur les sièges arrière des voitures seront-ils remplacés par des tablettes numériques… Comme dans le même temps on s’aperçoit que les « démunis du numérique », en particulier les plus âgés vont aussi vers ce type de machine, il va falloir observer les conduites d’achat des prochains temps, appuyés par des campagnes publicitaires ciblées.
Les tablettes, c’est un jeu d’enfant de les utiliser. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier la manière de nombre d’entre nous ont adoptés ces machines. Dans un billet, discuté, j’avais évoqué le fait que « l’enfermement » relatif de l’utilisateur face à la tablette était un facteur favorisant. Cet enfermement ne tient pas seulement à des limitations, il tient surtout à une ergonomie puissante, basé sur « la continuité d’usage ». Remise en route instantanée, récupération de la machine dans l’état dans lequel on l’a éteinte, réouverture des applis comme on les a laissées, pas de gestion compliquée de fichiers et documents (au premier abord), lien fort avec un « magasin » – vendeur d’applis, interface homme machine d’une grande fluidité, presque « naturelle ». Au delà de la séduction quasi religieuse exercée par le principal initiateur de ces objets sur le marché, il y a une réelle prise en compte des besoins « réduits » de la grande majorité des usagers.
On peut faire une hypothèse qui, je le sais, ne plaira pas forcément à tout le monde. L’informatique informaticienne a été rejetée par les usagers. Lassés des situations d’écrans bleus voire même des bombes (qui se rappelle encore des bombes sur les premiers écrans des ordinateurs à interface souris-graphique) ou encore des commandes ésotériques et des manipulations complexes des systèmes d’exploitation, les usagers ont voté pour une informatique qui fonctionne. Combien de salles informatiques d’établissements scolaires dont l’usage était approximatif, incertain, bancale ? Combien de situations familiales où suite à l’arrivée d’un nouveau logiciel tout devient soudainement compliqué ? Cette fameuse vidéo http://www.dailymotion.com/video/xr1g4_nuls-en-informatique-streaptease-fr_fun est même intitulée « Nuls en informatique » renvoyant les « démunis du numérique » à une sorte d’exclusion technique qui ne ferait que continuer une exclusion sociale et culturelle….
Mais ce rejet de l’informatique (et de ses fondements techniques et scientifiques) par l’usager quotidien n’est pas signe d’un rejet du numérique, bien au contraire. Quand on a travaillé dans une entreprise dans laquelle les informaticiens ont totalement balisé les usages, on développe une sorte d’assujettissement à un mode sécurisant d’usage qui rassure et qui évite les apprentissages chronophages. Se rappelle-t-on encore des formations à MS-DOS, ou encore des premiers Unix ou même de l’Internet d’avant 1991… et ses points d’interrogation ou d’exclamation qui ont fait les délices de nombre de spécialistes… et qui parfois les font encore.  Il semble que le pouvoir, sous l’effet des financiers, ait changé de camps. De l’informaticien tout puissant qui dirige le cadre aux usagers qui demandent à être respectés, il y a un renversement, mais partiel. En fait ce que nous dit cette évolution c’est qu’il faut cacher l’informaticien. Quand j’utilise ma machine, celui-ci ne doit pas apparaître dans ce que Bruno Latour rappelle dans Cogitamus, à savoir le dysfonctionnement qui révèle la technologie.
Quand aux enfants, ne faudrait-il pas, au nom d’une éducation au choix (mais quel choix en l’occurrence), leur proposer, dès leur entrée dans les usages, nos vieilles machines en basic voire en assembleur, pour qu’ils sachent que derrière « l’écran se cache une volonté ». Non on préfère les faire entrer dans les usages… et après on verra. Ce qui apparaît aujourd’hui est que les concepteurs des tablettes et autres smartphones ont trouvé là la principale porte d’entrée des usagers de « 2 à 102 ans ». Quand à l’après, il viendra selon les besoins, en d’autres termes, les fondamentaux du numérique ne sont pas le commencement de l’apprentissage du numérique. Entre un usage que l’on croit « immédiat » et la complication informatique sous jacente s’est greffée une nouvelle complication : celle des couches intermédiaires. Quand on utilise un traitement de texte on utilise seulement une partie des fonctionnalités et on en ignore souvent une grande majorité. En effet c’est les besoins issus de l’usage qui garantissent l’ancrage de la maîtrise. Qui écrit des livres, des mémoires de manière régulière et aurait besoin d’une table de référence d’un index et de notes de bas de page, sans parler des feuilles de style… , Le besoin d’usage tire l’apprentissage du numérique jusqu’à un certain niveau, mais faut-il aller au delà, et si oui, pour en faire quoi et pour quoi faire, voire pourquoi ?
Les inventeurs du livre avaient trouvé une magnifique machine, très simple, à mettre à disposition de tous, et après… Après il y a ce que chacun sait faire ou peut faire de ces machines. Je peux choisir de lire ou de ne pas lire, des livres simples, savants complexes etc… c’est ma liberté. Mais il se trouve que nous vivons dans une société dans lequel le « savoir lire le livre » est un critère déterminant de l’insertion dans la société. La télévision avait été déterminante, surtout pour les jeunes pour l’entrée dans une nouvelle forme de socialisation/sociabilité. Les outils numériques qui ont commencé par s’imposer en transformant le poste de travail professionnel se sont ensuite imposés dans la socialisation/sociabilité. C’est cette polyvalence qui rajoute à l’importance des faits que nous constatons. L’être social d’aujourd’hui serait condamné au numérique. C’est un fait, ce n’est ni un vœu, ni une critique, c’est un fait. Si certains ne veulent pas adopter telle ou telle technologie dans son quotidien personnel ou professionnel, c’est un choix. Mais les conséquences sociales des choix doivent aussi être assumées, individuellement et collectivement.
A Noël les rayons des magasins et les pages web des vendeurs en ligne vont regorger de ces machines « immédiates » et « instantanées ». Ce sont probablement les raisons de leur succès rapide. Au delà, et pour les enfants, ce sont les adultes qui montrent l’exemple. Quand vous regardez cette maman qui confie son smartphone à son enfant dans le bus, pour le tenir tranquille, quand vous considérez ces familles en extase devant leurs enfants devant la tablette, allant jusqu’à les filmer, puis mettant en ligne leur film sur Internet, on est fondé à se questionner sur le devenir de ces enfants. Non pas que ce soit bien ou mal, mais parce que la relation éducative contenue dans ces situations est un terreau à bien d’autres manières de faire et de manières d’être qu’il faudra ensuite assumer dans la société de consommation qui est la nôtre. Terrifiés les adultes ? Pas sûr. Admiratifs alors ? bien souvent. Conscients de leurs choix ? Pas sûr. Quand au monde académique, il lui faudra prendre en compte rapidement ce phénomène autrement qu’en le singeant, ce que l’on peut parfois observer dans certains témoignages : A la rentrée scolaire, déferlement de tablettes, à Noël déferlement de tablettes… et après…
A suivre et à débattre
BD

2 Commentaires

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    • THOBY Laurent sur 5 novembre 2012 à 20:50
    • Répondre

    Humour ! (sans prétention !) (et sans jugement !)
    Petit papa Noël
    Quand tu descenderas du web
    Avec des tablettes par milliers
    N’oublie pas les vieux PC
    Mais avant de partir,
    Il te faudra bien réfléchir
    Dehors les informaticiens pleurent
    C’est un peu à cause de nous
    Il me tarde tant que les hommes apprennent
    à voir les usages évoluer
    Toutes les belles applications que je vois en rêve
    Et que je t’ai commandées
    Petit papa Noël
    Quand tu repartiras au ciel,
    Avec des questions par milliers,
    N’oublie pas nos livres à dépoussiérer.

    1. Un peu d’humour et de poésie ne peuvent que rarement faire du mal !!!

  1. […] Les tablettes, un jeu d’enfant… un cauchemar des adultes ? « Veille et Analyse T… From http://www.brunodevauchelle.com – Today, 11:12 AM […]

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