Suffit-il de suivre des cours en ligne pour apprendre ?

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Liminaire : Ce texte termine l’année 2012. Il est certes un peu long, mais surtout il mérite des enrichissements… au plaisir de vous lire… en 2013
Le développement de iTunesU incorporé à IOS6 sur iPad, celui de iBooks Author et celui de Course Builder qui viennent d’apparaître, laissent entrevoir une question qui n’est pas non plus souvent explicitée dans de nombreux projets de mise en ligne de cours. Suffit-il de suivre ces cours pour apprendre ? Cette question qui semblera naïve à nombre de lecteurs est pourtant récurrente au cours des cinquante dernières années, dès lors que la technologie a été utilisée pour des fins d’enseignement. Un récent article du journal les échos (http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202470974826-numerique-a-l-universite-ce-que-prepare-fioraso-524236.php) renvoie à cette idée du développement de cours en ligne ce que le ministère semble penser. Cet engouement pour les cours en ligne ressemble étrangement à la dynamique de la FOAD du début des années 2000 ou encore à celle du télétravail dans les années 1990
Dans un précédent billet nous évoquions les risques de détournement des cours mis en ligne par des personnes voulant faire un autre usage de ces cours. Ceci est une perspective plutôt intéressante (détournement du prescrit) mais si l’on en revient à al figure classique du remplacement du cours magistral par le cours en vidéo, on revient encore au début des années 1990 quand l’Ecole des Mines d’Alès testait cela (pour en démontrer ensuite la nécessité de relativiser…). Une autre question se pose : que signifie le terme cours, dans ce cas : une simple vidéo, un rich-média, ou encore une présentation diaporama sonorisée … ? Il n’y a pas qu’une seule forme de mise en ligne de cours, mais plusieurs. Il faut éviter de les analyser en oubliant les contextes de mise en oeuvre d’une part, d’usage de l’autre. En d’autres termes fabriquer un cours c’est bien mais le mettre en contexte d’usage c’est mieux, et c’est là que les choses se compliquent. En déclarant qu’il suffit de remplacer le magistral par des échanges, les amphis pleins à craquer pour un cours magistral seront-ils plus maniables pour une aimable discussion sur un cours en ligne ?
Il semble bien que l’on n’ait pas bien réfléchit à plusieurs question dont la plus importante est celle des compétences pour apprendre dans un tel contexte etc ‘est celle sur laquelle nous terminerons ce propos
Mettre des cours en ligne, si l’on en juge par les modèles inclus dans ces outils de conception, s’apparente étrangement à de vieux modèles d’EAO enrichi et multimédia. Il y a bien longtemps que cela est débattu, mais on doit avoir la mémoire courte ou carrément pleine de trous pour l’oublier. Le fait que des universités aient depuis de nombreuses années (UPTV – http://uptv.univ-poitiers.fr/web/ – existe depuis plus de 10 ans par exemple) mis en ligne des conférences, des cours, etc… n’a pas empêché l’enseignement supérieur de continuer à développer les pratiques anciennes dans leur majorité. Mais les choses évoluent et ce sont le plus souvent les étudiants qui sont le signal d’alarme. En fait, le brouhaha d’une part, et l’inflation d’écrans d’ordinateurs, l’absentéisme enfin ont convaincu nombre d’enseignant qu’il y avait nécessité de changer de manière de faire. Oui mais comment ?
Assister à des cours ce n’est pas assister à un cours ! Autrement dit il y a des dizaines, des centaines de façons de faire cours. Reste que le plus important est de savoir ce qu’apprennent les étudiants et ce quelque soit les formes de cours. Suivre un enseignement, un cursus, ce n’est pas simplement suivre des cours, c’est intégrer un dispositif pédagogique complexe qui articule entre elles différentes formes de travail dans lesquelles les cours magistraux ne sont souvent qu’une partie parfois modeste. Et enfin n’oublions pas le « métier d’étudiant » cher à Alain Coulon (Puf 1997) qui n’est pas sans lien avec tout cela… et qui détermine finalement plus qu’on ne le pense le destin cognitif et professionnel. Bref la complexité de ce qu’est apprendre ne peut se réduire à la simple idée de mettre des cours en ligne fussent-ils de grande qualité technique.
Quel genre de cours mis en ligne ?
Lors que l’on parle de cours mis en ligne on devrait le plus souvent parler de mise en vidéo d’un cours traditionnel. Ceci est le premier échelon qui consiste à mettre une caméra dans la salle, enregistrer le propos puis le mettre en ligne. Le deuxième niveau consiste à y ajouter des titres, des intertitres des sous-titres ou encore des pages écran du diaporama support de cours. Le troisième niveau consiste à y intégrer des éléments complémentaires (images, vidéos, schémas etc…) qui vont organiser le rythme du cours comme un documentaire. Le quatrième niveau repose sur l’idée de faire apparaître dans le contenu les interactions avec des étudiants présents au cours. Il m’arrive ainsi de faire cours à distance et d’enregistrer dans ce cours tout ce qui se passe sur l’écran et donc les prises de parole des étudiants, les questions écrites ou encore les supports et articles utilisés.
Mais pour l’instant nous n’avons pris qu’une unité que l’on appelle cours, c’est à dire l’équivalent d’une heure de cours en présence. Si l’on envisage le cours comme un nombre d’heures années ou semestre cohérent et en dynamique, alors on s’aperçoit que le cours devient un élément complexe et surtout qu’il faudrait y intégrer le temps entre les heures de magistral, les temps de travail personnel des étudiants, les partages au sein des groupes etc… Autrement dit dès que l’on dépasse la simple « heure de cours », les choses deviennent compliquées. Il est vrai que pour certains enseignants les cours se résument aussi à cela une ou plusieurs heures d’exposé face à un auditoire qui prend des notes (mes souvenirs personnels d’étudiant rencontrent ici certaines de mes pratiques d’enseignant). Mais il ya les interactions : d’une part l’enseignant qui interagit avec son auditoire, d’autre part l’étudiant qui interagit avec le contexte (s’il vient au cours et même s’il n’y vient pas)….
Si mettre en ligne un cours c’est faire du magistral vidéotisé, alors on ne risque pas de révolutionner l’enseignement….
Qu’est-ce que mettre en oeuvre un cours en ligne ?
Une fois un cours (quelqu’en soit la forme) mis en boite, la mise en oeuvre en ligne ne se traduit pas simplement par sa mise à disposition à une date donnée. Les spécialistes du tutorat à distance (n’est-ce pas Jacques Rodet) savent bien que derrière un cours numérisé, il y a un processus complexe qui suppose un environnement bien différent de celui auquel l’université ou l’école nous a habitué. Au coeur du DISPOSITIF, il y a l’apprentissage, c’est à dire le chemin de celui qui apprend. C’est cela mettre en oeuvre un cours en ligne : c’est rendre possible pour celui qui apprend le parcours du chemin qui le mène à la maîtrise des compétences souhaitées (incluant bien évidemment les connaissances, mais excluant l’idée de connaissances seules). Si apprendre en ligne c’est suivre un cours magistral alors il suffirait d’enregistrements, mais cela n’a jamais suffit pour apprendre réellement. Mais cette partie immergée de l’iceberg de l’apprentissage est ignoré d’un grand nombre d’enseignant (de pédagogue ?) et l’implicite qui y est attaché complique la tâche des chercheurs qui ont encore bien des choses à découvrir dans ce domaine. Et puis il y a aussi cette idée de l’apprentissage solitaire : un cours égale un enseignant et un étudiant. Cette vision oublie simplement le rôle des interactions autres que celles de la salle de cours dans l’apprentissage. Beaucoup d’étudiants le vivent au quotidien, souvent bien au delà des enseignements, pour peu qu’ils soient un tant soi peu intéressé par les objets d’apprentissage. Mettre en oeuvre un cours en ligne c’est le mettre à disposition d’une communauté qui peut soit s’en saisir collectivement, soit individuellement, soit encore l’ignorer. La mise en oeuvre du cours en ligne suppose donc cette réflexion sur l’articulation individuel et collectif.
En fait mettre en oeuvre un cours en ligne suppose une réflexion centrée sur celui qui apprend, sur l’intention contenue dans le cours, sur son mode de mise en scène, sur les modalités de réception et enfin sur l’articulation entre la trajectoire individuelle et le dispositif. Il ne se suffit pas de supports bien (ou mal) filmés, il ne suffit pas construire des dispositifs ultra sophistiqués, il faut encore comprendre et prendre en compte ce qui se passe dans cette mise en oeuvre.
Quels sont les usages d’un cours en ligne ?
Entre les usages imaginés, les usages prescrits, les usages réels et les effets induits, il y a des écarts qui peuvent être important. L’idée de concevoir un cours en ligne doit être renvoyée aux analyses sur le développement de l’enseignement par la télévision des années 1960-1970. Cette approche diffusionniste, qui aujourd’hui encore a de nombreux adeptes dans le monde de la formation à distance n’est toujours pas mise en question alors que des travaux ont montré ma nécessité de la repenser. Malheureusement le règne, la domination des médias de flux restent encore importante même si l’on sent qu’ils commencent à perdre de leur influence. Cette domination, présente avant tout dans les représentations sociales, est liée aussi à une idée profonde et ancienne, celle de la propagande et de la manipulation par l’image. Or cette façon de penser à son origine dans l’idée de domination sur l’autre qui traverse la plupart des personnes qui sont confrontés au pouvoir et à la soumission à ce pouvoir. La fascination face au professeur serait-elle transférable dans les écrans ? Et si oui comment ?
L’observation des personnes qui apprennent, et quelque soit leur âge, montre qu’il y a la construction progressive de formes, de cadres qui deviennent implicites. L’Ecole est la seconde à exercer ce pouvoir après la famille, le foyer éducateur. Mais elle n’est pas la moindre au point que la plupart d’entre nous sommes incapables d’imaginer qu’on puisse apprendre sans système scolaire. Or l’idée des cours en ligne comporte en elle et en partie, cette vision. Mais c’est oublier que si le formatage initiale de la forme d’apprendre est celle du système scolaire alors mettre des cours en ligne ne parviendra pas à faire émerger de nouveaux modèles.
On observe ici où là des exemples étonnants comme celui de Sugata Mitra : http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_the_child_driven_education.html. On voit donc que les usages peuvent être bien différents que ceux auxquels les concepteurs de cours en ligne ont pensé. Et parmi ces usages il y a non seulement le contenu, mais aussi le processus de scénarisation de ce contenu qui construit chez celui qui apprend des formes, des cadres. En d’autres termes, la méthode d’enseignement est autant formatrice que les contenus de cet enseignement !!! mais pas sans celui ou celle qui en est le destinataire.
Quelles compétences faut-il pour apprendre dans un tel contexte ?
Le grand nombre d’abandons dans des parcours de formation à distance a souvent été passé sous silence, et encore aujourd’hui reste un élément moins mis en avant que le nombre d’inscrits… Ainsi dans le Mooc Itypa, 1300 ou 1400 personnes inscrites, combien encore présents à la fin, pour quels effets ? Quand en plus on sait que les principaux abandons concernent les personnes issus des milieux de l’enseignement (primaire secondaire et supérieur) on ne peut que faire écho au paragraphe précédent d’une part mais aussi d’ajouter la question qui émerge en ce moment : mais quelles compétences faut-il développer pour parvenir à apprendre dans de tels contextes. Dans une période ancienne (vers 1980) certains enseignants, certains formateurs faisaient des cours magistraux sur le travail de groupe ou sur l’autonomie dans l’apprentissage. Sorte d’oxymore, toujours recommencé, cette vision des choses met en évidence le poids des cadres, des représentations sur ce qu’est apprendre. La déploration de certains enseignants du supérieur à propos des modes de travail des jeunes qui intègrent leurs établissements a amené depuis la fin des années 1980 à développer des apprentissages méthodologiques. De Michel Coeffé à André Giordan (vous irez chercher vous-même les références ;-)) le nombre de livres et méthodes sur le sujet se sont multipliées. Une vidéo de Denis Berthiaume, sur Itunes U montre un cours, réel, pour développer les méthodes de travail à l’université (UNIL). Le sujet inquiète, mais pour autant on ne parle que peu des compétences nécessaires.
C’est probablement du coté du travail de Philippe Carré sur « l’apprenance » que l’on pourra trouver des éléments complémentaires. Mais plus généralement, on s’aperçoit que le plus difficile c’est d’articuler des compétences de manière logique tout au long d’un parcours d’apprentissage tout au long de la vie. C’est en fait une vision morcelée de ce qu’est apprendre dans nos sociétés qui est à la base de cette difficulté. Parce que les moments de l’apprendre au cours d’une vie sont aussi séparés les uns des autres que les rapprochements sont difficiles. Ainsi la vision encyclopédique de l’enseignement/apprentissage en France induit-il des comportements différents d’une vision systémique et progressive par l’expérience, par exemple. En fait c’est l’absence de vision renouvelée de ce qu’est apprendre dans notre société qui fait que la mise en ligne de cours n’est pas, actuellement, adaptée aux formes d’apprendre et aux compétences associées. En d’autres termes, il faudrait repenser les compétences dans ce nouveau contexte, proche de l’autodidaxie, mais en interrogeant tous les éléments de la chaine qui construisent les formes d’apprendre (les représentations) si l’on veut que la mise en ligne des cours ne provoque pas le même genre de désertion que les systèmes d’enseignements à distance traditionnels
En conclusion, on ne peut que déplorer le fait que la question soit mal posée. Certes il y a des outils pour fabriquer des cours en ligne. De même on voit se multiplier les vidéos de cours en ligne. Mais tous ces objets d’apprentissages n’ont aucun sens en eux-mêmes. Ils n’existent pas indépendamment du contexte socio-éducatif de nos sociétés. Or c’est ce contexte qui disqualifie d’avance ces projets, comme il a disqualifié jadis les possibilités d’apprendre par et dans l’audiovisuel….
A suivre et à débattre
BD

4 Commentaires

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  1. en echo à tes propos, voici ce que m’a inspiré ton précédent article sur le sujet du mooc http://www.relation-transformation-partage.info/wordpress/2012/12/09/apprendre-en-mooc-questions-prealables/

  2. Mon opinion sera sans doute biaisée, étant moi-même webmestre d’un site de formation en ligne, mais je crois en la valeur du processus pour autant que la présentation du contenu soit intéressente pour l’apprenant. Une grande portion des cours disponibles en ligne présentement ne sont intéressés qu’à avoir toute l’information nécessaire, mais sans se soucier de comment l’apprenant va retenir l’information. Il faut plus que du texte et de la narration pour garder l’attention de l’apprenant, il est préférable de l’impliquer dans des activités, de lui poser des questions.
    Il est dommage que tant de concepteurs de formation en ligne ne prenent pas la peine de profiter de l’outil mis à leur disposition: l’ordinateur avec ses nombreuses possibilités. Ça n’aide certainement pas à mettre en valeur le format.

  3. La formation en ligne reste un des moyens de la formation qui se propage de plus en plus. C’est un moyen pratique qui permet un gain de temps énorme.

  4. Je vous remercie de ce partage d’informations.

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