Même avec les écrans, l'humain reste l'humain !

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Quand la science n’a pas suffisamment de connaissances elle renvoi à l’éducation ! C’est par cet aphorisme un peu rapide que l’on peut entrer dans une analyse des propos issus du rapport de l’académie des sciences sur l’enfant et les écrans, mais aussi sur la médiatisation qui en découle comme par exemple Télérama de la semaine du 9 eu 16 février 2013… (http://www.telerama.fr/medias/internet-modifie-t-il-mon-cerveau,93189.php)
Plusieurs points méritent d’être abordés, mais en premier lieu il faut avertir le lecteur, en l’invitant d’abord à se connecter sur le site de la fondation de la main à la pâte (http://www.fondation-lamap.org/fr) qui propose d’aller plus loin sur l’éducation aux écrans. De plus il faut signaler ici que si les propos tenus ici sont un peu polémiques et rapides, ils s’inscrivent d’abord dans une démarche respectueuse mais critique du travail mené par l’académie des sciences sur ce thème. Enfin il faut déplorer l’écart entre les incertitudes scientifiques (les savoirs) et les certitudes technologiques (les pratiques) et médiatiques (imaginaires), ne s’excluant pas les uns les autres. La lecture du propos de Jean Marc Levy-Leblond (le Grand écart, La science entre technique et culture, Editions Manucius, 2013) est éclairante par la perspective historique mais aussi anticipatrice de l’évolution de la relation entre sciences et technologies, dont des philosophes comme Jacques Ellul ont déjà balisé le chemin de réflexion.
Pour être un peu polémique avec les auteurs de ce rapport, on constate qu’une boite noire pose problème dans notre société moderne : l’éducation parentale. Et que pour y répondre on fait appel en priorité à une autre boite (grise celle-là) l’école. De plus on s’aperçoit que l’on parle ici au nom du principe de précaution davantage qu’au nom de savoirs stabilisés. Ce que l’on constate à la lecture de ce texte c’est que finalement on ne sait « presque rien ou pas grand chose » du fonctionnement du cerveau. Il faut bien reconnaître qu’IRM, TEP et autres méthodes d’investigations scientifiques apportent des informations intéressantes, mais que certaines déductions ou inductions un peu rapides peuvent amener à faire prendre des hypothèses pour des vérités scientifiques. L’histoire de la science (et des techniques) nous montre continuellement que les instruments du chercheur sont des ouvertures mais aussi des limitations sur la connaissance qu’ils peuvent avoir de leur objet de recherche. Pour reprendre un autre aphorisme : « on ne voit que de là où l’on est posté, et ce que l’on voit dépend de l’instrument qui nous permet de voir ». En d’autres termes nos savoirs sont fondés d’abord sur le choix que nous faisons de l’objet que nous regardons, de l’endroit où l’on se situe par rapport à lui et qu’on ne le connait qu’au travers des « lunettes » dont on dispose… Il ne s’agit pas ici de défendre le relativisme, mais d’utiliser cette posture pour interroger les océans de certitudes qui se déversent ensuite dans les médias de flux et les espaces d’expression numérique.
In fine, il faut considérer que ce rapport fait une sorte d’état de l’art des connaissances disponibles et le synthétise ici. Le problème que pose ce rapport c’est de savoir ce qu’il convient de préconiser à partir de ce que l’on considère comme savoir, quand celui-ci reste parcellaire. Dès lors on comprend la difficulté à aller au delà de remarques assez globales. Pourtant, et cela peut étonner, un terme apparaît à plusieurs reprises : « autoréguler ». Or ce terme est précisément un objet de recherche (Cosnefroy, L. (2011). L’apprentissage autorégulé, entre cognition et motivation. Grenoble : PUG) dont la référence est quasiment absente de la bibliographie. Cela n’est pas sans poser question quand on connaît l’importance que peut avoir actuellement le champ de recherche sur l’autodirection, l’autorégulation, l’auto-efficacité, l’estime de soi, voire la résilience…. (cf. le livre Boris Cyrulnik, entretien avec Denis Peschanski, Mémoire et traumatisme., L’individu et la fabrique des grands récits, Ina Editions,2012. Ce livre évoque en particulier le lien entre l’image et le mot, la représentation visuelle et la représentation verbale).
Ce rapport invite les parents à éduquer leurs enfants aux écrans. On ne peut que souscrire à cela. Mais bien plus on aurait aimé qu’il s’attarde aussi à l’éducation des adultes aux écrans. On ne peut que constater au quotidien les modes d’usages de ces écrans par les adultes et la fascination qu’ils exercent sur eux. Dans de nombreuses conversations on entend les allusions au « vu à la télé », même dans le monde enseignant. Pour le dire autrement, et ce n’est pas nouveau dans notre réflexion, avant de faire des recommandations aux éducateurs, il convient d’interroger les éducateurs sur leurs propres pratiques. S’il est dangereux d’exposer un nourrisson aux écrans de télévision, ce que l’on conçoit de manière intuitive, on peut s’étonner de l’omniprésence de ces grands écrans, constamment allumés, dans le quotidien de nombre de foyers, ce fonctionnement étant celui des adultes avant d’être celui des enfants.
On s’étonnera enfin du peu de place donné à la Parole et l’interaction humaine, comme médiateur dans ce contexte de recommandations. Dans les titres des préconisations, il n’en est jamais question de manière explicite. Or depuis de nombreuses années des travaux de recherche ont mis en évidence l’importance de la verbalisation pour maîtriser les affects, même si l’on en connaît aussi certaines limites.  Cette absence et ce renvoi aux parents sont bien le signe de la difficulté actuelle que nous avons à travailler la question de la parentalité en dépassant le cadre des constats pour aller sur celui des actions à mener. Ce secteur de la formation des « grands », les adultes, tout au long de la vie reste semble-t-il un secteur délaissé au profit d’une centration souvent exclusive sur les jeunes. Comme si un adulte était « inéducable » dès lors qu’il aurait été modelé dans da jeunesse. On voit ressurgir ici une idée générique ancienne qui s’oppose aux énoncés scientifiques concernant la possibilité de plasticité du cerveau tout au long de la vie (cf. le bel article du Monde daté du 8 février sur M C Streiff, ancien dirigeant de Peugeot, qui se remet d’un AVC).
Enfin parlons de l’article de Télérama. On peut y lire des phrase suffisamment définitives (Marc Belpois – Télérama n° 3291) pour nous interroger :
– « une chose est sûr, notre cerveau se reconfigure en apprenant ». Ce genre d’affirmation relève de l’évidence évidente, et n’apporte rien au propos si ce n’est pour illustrer la plasticité du cerveau. Mais le terme reconfigurer ne doit pas être délaissé : il est surtout utilisé dans des contextes informatiques (reconfigurer un ordinateur)… En d’autres termes, l’imaginaire sous jacent semble renvoyer à une vision informatique du fonctionnement du cerveau
– « Sur la Toile le cheminement de la pensée n’est pas contrôlé par l’auteur, mais par le lecteur ». Etonnant propos quand on vient de parler du fait que sur les écrans les concepteurs de page tentent au contraire de guider le lecteur. On voit bien que la comparaison s’opère par rapport à l’écrit livresque. Mais le lecteur du livre serait-il contrôlé par l’auteur. Celui qui lit sait bien que les évocations d’un texte invitent souvent à la rêverie, à l’errance de la pensée. La véritable évolution c’est la facilité avec laquelle je peux choisir de m’échapper de l’auteur que permet l’écran numérique interactif. Mais le lecteur de livre sait aussi fermer le livre et passer à autre chose… parfois en plein : milieu d’une page… Ce n’est pas le livre qui guide, c’est la rencontre imaginaire entre « l’écriteur » et le lecteur qui rend possible cette forme de soumission. L’imaginaire de la liberté du lecteur permise par Internet est un leurre, c’est plus fondamentalement le problème du rapport de l’individu avec son milieu et l’acceptation ou non de son asservissement à ce milieu.
– « tout dépend de ce qu’on y fait ». Fort heureusement le contexte a été rappelé ici. En effet un objet, même s’il embarque de l’humain dans sa conception, est dépendant de l’humain et de la situation dans laquelle l’humain l’utilise (cf. Michel de Certeau). Le danger de cette phrase est qu’elle peut inciter au relativisme.
– « transformons-nous notre propre mémoire, terreau de la maturation de la pensée, en simple index de nos connaissances ? Dans ce cas, il y a péril en la demeure ». On ne peut qu’être surpris de cette expression « terreau de la maturation de la pensée ». L’imaginaire jardinier est ici convoqué. On connait la force de la métaphore, on méconnait l’impact de l’approximation. Or ce genre de formulation, qui n’est ni vrai ni fausse, ne permet pas de comprendre le problème posé. Mais c’est à nouveau l’imaginaire de la machine informatique qui se trouve convoqué. L’hypothèse sous-jacente est celle de l’opposition entre un cerveau/ordinateur et une pensée/humain.
L’article évoqué ici a le mérite de mettre en évidence la difficulté qu’il y a à « vulgariser » sans « médiatiser ». Autrement dit comment rendre compte de travaux de recherche sans avoir la tentation de jouer sur l’émotion du lecteur pour attirer son attention. C’est le problème du refroidissement des faits par la réflexion et l’analyse. On observe que même des chercheurs se laissent parfois aller sur ce terrain de l’affect. Le premier exemple concerne la publication d’articles de recherches au plus tôt de l’apparition des nouveautés. On peut alors se poser la question de la pertinence d’une telle analyse et du risque qu’il peut y avoir à confondre analyse et préconisation, parfois assistée par des intérêts divers. Le deuxième exemple concerne l’utilisation des tribunes publiques pour faire passer des convictions tout en s’appuyant sur la légitimité du titre que l’on possède.
Vigilance, recul, distance, maîtrise, implication, réflexion, voici quelques mots que nous devons tous avoir en stock, pour servir de grille d’analyse de nos propres dérives dont nul ne peut dire qu’il y échappe. Le danger de l’autorité de la parole c’est qu’elle se transforme en parole de l’autorité !
A débattre bien sûr
BD

2 Commentaires

    • moriceau sur 8 février 2013 à 15:52
    • Répondre

    ‘ »on ne voit que de là où l’on est posté » : en rapport avec les représentations et déformations fonctionnelles, non ? (voir « Les caractéristiques essentielles des représentations opératives, fonctionnelles, sont en premier lieu leur finalisation par rapport à l’action et plus généralement à l’activité du sujet », ici : ergoserv.univ-paris8.fr/ site/ groupes/ modele/ articles/ public/ art372102061765426783.pdf

    1. Mais en rapport aussi avec ce que Pierre Bourdieu disait il y a deja fort longtemps, mais dans une autre approche.
      Merci e votre commentaire et du lien

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