Qu'est-ce qu'il y a de moi dans la machine que j'utilise ?

Print Friendly, PDF & Email

Chacun de nous (ou presque) se promène désormais avec une « machine » dotée d’un écran dans la poche ou dans le sac. Suivant la taille de l’écran et la machine associée, nous exposons ainsi une partie de ce que nous faisons à l’extérieur de nous même au travers d’un artefact. Dans le même temps nous sommes potentiellement exposés à ce qui vient d’un au-delà du lieu où je suis. De manière plus ou moins discrète nous avons installé dans la proximité de notre vie quotidienne de nouveaux objets qui sont devenus de plus en plus mobiles, miniatures, et connectés. On peut, à la manière de Georges Perrec avec un immeuble dont il raconte des morceaux de vie en regardant chaque partie, imaginer la tranche de vie qui est contenue réellement ou potentiellement dans ces machines. Les sociologues nous ont appris depuis longtemps que les objets racontent l’humain et que ceux qui peuplent notre quotidien racontent une histoire personnelle, mais aussi une histoire sociale.
Ainsi chaque enfant qui naît est aujourd’hui confronté à un monde dans lequel les machines ont envahi non seulement les usines, les maisons, mais aussi les poches, voire même les oreilles. Ces machines offrent de plus des potentialités qui n’ont cessées de s’enrichir au cours des années. Pour celles dont nous parlons ici, les machines d’information et de communication, l’évolution est impressionnante. D’une machine qui apporte un flux externe dans l’espace privé (radio, télévision) voire un flux interactif (téléphone) on est passé à une machine qui met constamment en lien avec l’information d’une part et avec l’interaction humaine d’autre part. De la possibilité de produire sur cet écran à la possibilité de « lire », moi et l’autre, peuvent co-exister au travers de la machine. Avec le développement de toutes les applications en ligne, il y a de moins en moins de contenus dans la machine que j’utilise, mais je suis de plus en plus en connexion avec des sites vers lesquels j’ai déporté une partie de moi.
Il fut un temps, assez récent, durant lequel on pouvait dire : montre-moi ton ordinateur, je te dirai qui tu es. Tant que l’ordinateur n’est pas connecté, il emporte globalement ce que chacun y a emmagasiné de soi et donc c’est la prolongation personnelle de son activité mentale qui se trouve devant soi. Ce que Michel Serres ne dit pas dans l’histoire de Saint Denis qui a perdu la tête, c’est que l’esprit de Saint Denis est dans les nuages (le Cloud ?), dans le ciel. En fait il est question aussi de la place de Dieu. Ainsi on pourrait penser que pour Michel Serres, Internet c’est le divin. En d’autres termes chacun de nous se retrouve avec une machine qui lui donnée accès désormais à une multiplicité de données, les siennes et celles des autres, mais elles sont ailleurs. La multiplication des applications en ligne en est l’illustration la plus évidente. Non seulement les logiciels ne sont plus sur la machine que j’ai entre les mains, mais les documents que j’élabore, les propos que je tiens n’y sont plus, la machine se vide.
Une jeune fille déclarait dans une émission de curiosphère sur le téléphone portable à l’école que dans son téléphone, il y avait ce qui lui était intime personnel, une sorte de boite aux secrets. Donc pour elle impossible de l’ouvrir aux inconnus. Désormais la tendance qui se fait jour est que la boite se vide et que les secrets circulent sur la toile dans les sites multiples auxquels, connectés, nous confions nos activités personnelles. L’ordinateur personnel, la tablette, le smartphone vont de plus en plus devenir des « fenêtres sur ». La question est évidemment de savoir « sur quoi ». Une fois la boite à secrets dispersées, quid de la personne, quid de l’intimité, quid de ce qui est privé ? L’éducation de nos enfants ne peut ignorer ce que cela change dans le quotidien. Rien de ce qui est sur l’écran n’est a priori dans la machine qui le porte. Il s’agit donc d’apprendre à savoir où l’on va mettre tout ça, et surtout comment on va le gérer.
Au vu du nombre d’enseignants qui utilisent Dropbox, Google docs et autres facebook, et bien d’autres applications en ligne, il est temps de poser la réflexion. Au moment où les B2i et C2i tentent de prendre en compte l’activité des réseaux sociaux, c’est le contenu qui est en train de fuir et là on n’y voit pas trop clair. Le développement des ENT dans les établissements scolaires et universitaires peut sembler rassurant car on peut avoir l’impression de dominer l’espace de circulation des documents. Mais si on y regarde de plus près, le même phénomène s’impose mais dans un monde plus restreint.
Faut-il dès lors lutter contre « le tout en ligne » ? Faut-il conserver à tout prix un espace numérique privé physiquement situé dans notre proximité ? L’urgence est d’abord que chacun de nous prenne conscience de ce qui se passe quand on utilise un ordinateur et surtout quand on utilise différents types d’applications, en ligne ou locales. Ensuite il devient urgent de développer un code de visibilité permanent des sites afin qu’ils permettent à chacun de savoir ce que deviennent ses données et la manière dont il peut en faire usage personnellement, voire de les faire disparaitre. La multiplication des disques en ligne (drive) est un apport nouveau qui prolonge toutes ces applications en ligne qui stockent aussi l’information que vous émettez. La multiplication des usages est en train de rendre la situation incompréhensible voire inextricable. Le travail de nettoyage va devenir impossible. Bref, désormais il peut ne plus rien y avoir dans la machine que j’ai dans les mains, peut-être suis-je même potentiellement dépossédé de mes propres ressources. Ecoutez ce que disent nombre de personnes qui ne peuvent se connecter au réseau pour comprendre la dépendance et le niveau de délégation au réseau atteint par chacun. Un peu de prudence s’impose, c’est surtout de capacité d’indépendance que l’on doit se soucier… Or le développement actuel du numérique risque de faire passer les générations à venir dans un statut de soumission et de dépendance à des réseaux dont la complexité sera telle qu’il sera impossible à chacun de nous de s’y retrouver : une sorte de « perte d’identité », une génération dé-personnalisée ?
A débattre
BD

1 Commentaire

3 pings

    • Marie-Odile Morandi sur 17 septembre 2013 à 11:36
    • Répondre

    Bonjour,
    Sujet d’actualité et pour lequel des solutions existent mais qui demandent un énorme effort : résister au chant des sirènes.
    http://video.rmll.info/videos/comment-les-grands-acteurs-du-web-simprovisent-magiciens-et-jouent-avec-nos-donnees-personnelles/
    http://video.rmll.info/videos/cozy-cloud-un-cloud-personnel-que-vous-pouvez-heberger-modifier-ou-supprimer/
    Amicalement

  1. […] Qu’est-ce qu’il y a de moi dans la machine que j’utilise […]

  2. […] Qu’est-ce qu’il y a de moi dans la machine que j’utilise […]

  3. […] Qu’est-ce qu’il y a de moi dans la machine que j’utilise […]

Répondre à Marie-Odile Morandi Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.