Journalisme en péril…

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Le développement de l’expression sur le web ainsi que l’évolution de l’image et de la réputation des grands médias de masses dans l’opinion semblent être à la base d’une remise en cause des journalistes et de la médiation de l’information dans notre société.

  • – La revue Médias du printemps 2008 consacre un article à ces journalistes menacés, frappés ou empêchés simplement de faire leur travail assez récemment sur des campus, dans les entrepots de la SNCF ou autres… Constatant cet état de fait cette revue note une montée de l’idée de complot du grand capital dont les journalistes seraient les complices par la manière qu’ils ont de rendre compte de leur mandat.
  • – Le pouvoir en place n’a pas hésité à porter plainte contre un média puis à la retirer et Certains ministres de s’exprimer dans la presse pour mettre en évidence les dérives journalistiques (voir ce même numéro de la revue Médias)
  • – L’émergence des sites internet d’information gratuits ou payants, ouverts par d’anciens journalistes ou par des amateurs férus d’information avait apporté déjà un avertissement aux journaux traditionnels qui n’ont pas hésité à accompagner ce mouvement en proposant même d’héberger ces expressions.
  • – Le développement désormais bien compris par les citoyens de l’expression sur Internet a amené à une prise de conscience du public. Il y a bien une nouvelle possibilité de faire passer des informations, des idées, des opinions… et elle n’est plus sous l’emprise d’intermédiaires qui avaient jusque là le monopole
  • – Qui n’a jamais rêvé, alors qu’un journaliste faisait un reportage sur son activité, de se voir bien traité, honoré même par l’article qui en résultait. Certains exigent même une relecture, d’autres rédigent eux-même l’article en lieu et place du journaliste qui pourtant sera considéré comme l’auteur. Il faut dire que si l’on veut que la publication soit conforme à ce que l’on pense autant l’écrire soit-même.

Malheureusement ces faits cumulés sont inquiétants. D’une part le scepticisme systématique risque de tuer toute crédibilité de ceux qui tentent d’informer leurs concitoyens. D’autre part une nouvelle forme d’expression se développe qui est docile et aux ordres de ceux et celles dont on parle. Autrement dit ce qui fait la force d’un journalisme libre, c’est le droit à un regard distancé indépendant de l’objet qu’il observe. Cependant, et pour reprendre un vieil aphorisme jadis attribué à Pierre Bourdieu, « on ne parle jamais que de là où l’on est assis ». Les journalistes n’y échappant pas on les accuse désormais d’être assis à la mauvaise place (celle que l’on a pas, celle qui nous domine). Cette attaque des journalistes se justifierait par les nombreux excés rencontrés ces dernières années et par une dérive lente mais inexorable de médias au service des « puissants ». Il est facile dès lors de considérer que tout journaliste trahit l’objet dont il parle.. afin d’éviter toute critique de ce que l’on fait soi même.

Pour celui qui s’exprime sur le web (comme je le fais aussi) le risque est donc de s’exposer à ces pourfendeurs d’idées qui estiment qu’une idée (ou qu’un fait) contraire à leur vision n’est pas entendable. D’ailleurs le procédé réthorique habituellement employé est d’attaquer la personne avant même de discuter les idées ou les faits (compliment qui pourrait rapidement être retourné…) Le journaliste, professionnel lui, est encore plus menacé parce qu’il occupe une position ancienne liée à la technologie des médias : le filtre centralisateur de la conférence de rédaction ou du rédacteur en chef précéde la diffusion du support qui doit être un concentré structuré d’informations et d’idées.

Le système technique nécessite de la part de celui qui à la droit (l’autorité ?) de diffuser une éthique personnelle et professionnelle. Que l’on soit blogueur, journaliste ou simple quidam en mal d’expression, cette éthique doit être questionnée. Le système technique nécessite de la part de celui qui est l’objet d’un écrit une autre éthique qui consiste en particulier à respecter une vision différente de la sienne, tout en la discutant dans des règles éthiquement indiscutables.

Or il semble que l’on en soit à un seuil de rupture :

  • La seule bonne information est celle que je donne
  • Toute information issue d’un média centralisé est par essence suspecte
  • Il faut empêcher les intérmédiaires de de travailler si l’on veut maîtriser l’information
  • Aucune discussion n’est possible, toute parole différente étant suspectée

Comment dès lors éduquer à l’information dans un tel contexte de suspicion, de doute, de peur de manipulation. La nécessité d’un retour à la rigueur informationnelle est essentielle. Dans la même ligne que la nécessaire rigueur scientifique (qui peut elle aussi être mise en doute, confère un petit livre sur la création diffusé dans les écoles récemment), la rigueur informationnelle est désespérante : elle impose un long et lent travail de vérification. Elle impose le débat, elle impose la contradiction, elle impose la recherche constante de la preuve ou tout au moins de l’étayage. Mais en sommes nous capables ? Le monde de l’enseignant, traditionnellement considéré comme apte à cette rigueur semble en train de faillir, comme les autres. Face aux élèves, face aux ministres, face aux familles,, face aux inspecteurs, face aux collègues, la seule bonne information est la mienne. Les enseignants documentalistes sont d’ailleurs bien placé et pour l’observer et pour se questionner et questionner leurs collègues sur cette question nouvelle. Encore faudra-t-il que l’idéologie sous jacente soit systématiquement débusquée (cf les travaux de Bruno Latour sur la science), ou tout au moins explicitée.

A suivre et à débattre..

Bruno Devauchelle


1 Commentaire

  1. A ce propos, un article intéressant de D. Schneidermann sur @si… ou le journaliste P. Haski de rue 89 reconnaît que c’est à travers le témoignage d’un touriste-blogueur qu’il a lui-même compris une des composantes importantes des émeutes du Tibet, la dimension nationale.
    http://www.arretsurimages.net/co...
    Mais il faut sans doute être abonné pour le lire !

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