Numérique qui paye pour quoi ?

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Est-il possible que, dans les établissements scolaires, on arrive à fournir un « terminal numérique portable connecté » à chaque élève ? Au vu des statistiques la réponse est négative. Du coup il est intéressant de se demander, dans le domaine du numérique scolaire, qui paye quoi, avec quel argent ? Soyons réducteurs et disons que c’est la force de travail des actifs qui paye. En effet en payant mes impôts, je fournis aux collectivités territoriales et à l’état, les moyens de financer des plans, des stratégies, des projets. En faisant mes achats dans les commerces, je paye, via la publicité, les moyens d’avoir accès à un grand nombre de sources d’information, médias de flux (télé, radio, journaux) ou interactifs (internet). Et finalement quand j’achète un ordinateur, une tablette un smartphone à mes enfants ou tout au moins à la famille, je paye directement le terminal et parfois, avec les abonnements, ce que je vais pouvoir en faire. Autrement dit, le payeur c’est le citoyen ou encore l’électeur et principalement le citoyen économiquement actif.
Avec la loi de décentralisation, dont les derniers éléments figurent dans la dernière mouture de la loi d’orientation pour l’éducation, on peut lire que ce sont les collectivités territoriales qui vont être de plus en plus les payeurs directs du numérique. Par contre, on s’aperçoit, et elles le dénoncent souvent, que le donneur d’ordre et celui qui mesure les effets sont indépendants du payeur. Un ministre (V Peillon) déclarait début juillet 2013 qu’il ne fallait pas considérer les collectivités comme de simples carnets de chèques… Il savait bien les limites de son pouvoir (est-ce pour cela qu’il a nommé inspecteur général l’ancien responsable éducation de l’association des régions de France ?). Mais si l’on revient à notre questionnement initial ces collectivités territoriales tiennent leurs moyens des personnes (physiques ou morales) imposables… Du coup la question du qui paye est évidemment trop souvent posée de manière tronquée.
L’arrivée de l’idée du BYOD (Bring Your Own Device) est séduisante. C’est ce que l’on appelle le circuit court, chaque famille achète les matériels et ses enfants viennent à l’école avec. Va-t-on voir apparaître, comme pour les calculatrices, une préconisation, voire une contrainte, d’achat pour les familles ? Ainsi les fournitures scolaires pourraient se réduire simplement à l’équipement en terminal numérique, tous les éléments complémentaires étant intégrés, manuels scolaires, cahiers à petit carreaux, grand carreaux (il suffit de changer le paramètre du logiciel). Mais si cette hypothèse semble prendre corps, en considérant ce qui se passe dans les universités et les grandes écoles, il reste quand même un ensemble d’éléments qui relèvent du collectif, à défaut de la collectivité, ce sont les infrastructures : réseau, haut débit, serveurs etc… Et pour cela on trouve, hors institutions publiques, ce mécanisme d’abonnement qui permet aux opérateurs de fournir à ses usagers le service pour connecter les terminaux (qu’il fournit aussi, dans la plupart des cas).
Ce qui apparaît en ce moment c’est que chacun perd le sens des flux financiers sous-jacents à toute conduite d’usage ou même d’achat. Les circuits qui alimentent ce à quoi je peux accéder sont de plus en plus complexes, et donc le lien entre la force de travail brute et le service obtenu est de plus en plus difficile à discerner, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la formation. La puissance publique (état et collectivité) n’est rien d’autres qu’un redistributeur « averti » au service du bien commun. Et pour l’informatique scolaire, il y a un problème. D’une part il n’y a pas suffisamment de ressources pour financer le matériel, mais d’autre part le coût des infrastructures et de leur maintenance est très important. C’est en particulier le cas du très haut débit dont tout le monde souhaite qu’il permette une connexion fluide et en tout lieu. Et ce qui est intéressant c’est que c’est l’utilisateur final, qui attend le résultat de sa requête sur son terminal qui se demande pourquoi c’est si lent. Or l’utilisateur final c’est aussi celui dont la force de travail, au quotidien, permet de financer ces infrastructures (qu’il les paye dans son abonnement, ses achats ordinaires ou dans ses impôts).
Imaginons un instant que nous décidions, comme ce fut proposé dans un état des USA que l’on redonne la part d’impôts qui va à l’éducation à chacun des électeurs concernés. Et qu’ensuite il puisse acheter la prestation scolaire et numérique dont il souhaite pouvoir disposer…. Mais laissons là ce rêve, cette utopie, même s’il se réalise de manière implicite (cf. le livre d’Emmanuel Davidenkoff), auquel nous ne voulons pas croire. Mais le réveil est difficile pour chaque utilisateur, jeune, adulte, parent, élève. D’où vient cet écart entre l’équipement accessible en milieu scolaire et ce dont je peux disposer moi-même ? Pourquoi le niveau de service est loin d’égaler, à l’école, ce que j’ai à la maison ? Le numérique pose de nouvelles questions ou plutôt d’une nouvelle manière une question ancienne : comment fonctionne réellement le financement de l’éducation scolaire ? Et cette question se pose évidemment pour la philosophie sous-jacente à ce financement : quelle mission l’Etat se donne (reçoit ?) et comment peut-il l’assurer dans le monde actuel ?
Il semble acquis que le monde scolaire est désormais techniquement décroché : pas assez de terminaux, infrastructures complexes et surtout pratiques peu nombreuses (cf. les enquêtes profetic) et surtout irrégulières (cf. le (mauvais) exemple de l’enseignant qui fait regarder à tous ses élèves en même temps une vidéo en ligne). Et cela sans compter la frilosité des programmes et directives dans ce domaine. En d’autres termes, si l’Etat n’a pas renoncé à imposer le numérique scolaire dans les discours, il est quasiment disqualifié dans les faits. Non qu’il ne fasse rien, mais il ne peut pas faire davantage. Et les collectivités territoriales qui rêvent de prendre le relais ne pourront pas non plus y parvenir. C’est donc vers l’usager, le citoyen, l’électeur qu’il faut se tourner. Malheureusement le développement rapide de l’idéologie individualiste concurrentielle ne laisse présager rien d’enthousiasmant pour l’avenir…. Il y a donc au-delà, un déficit de pensée Politique (la majuscule est essentielle) face au développement continu et rapide du numérique dans la société. Or cette pensée Politique ne peut exister que dans la lutte contre l’individualisme et pour le bien commun.
A suivre et à débattre
BD

1 Commentaire

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    • Haricophile sur 6 octobre 2014 à 02:28
    • Répondre

    « Du coup il est intéressant de se demander, dans le domaine du numérique scolaire, qui paye quoi, avec quel argent ? »
    Je suis complètement d’accord là dessus :
    – En sachant qu’un PC de 10-15 ans fonctionne très bien sous Linux et que les boites amortissent leurs ordi après 2 à 4 ans,
    – en sachant qu’il existe des micro-machines comme l’Arduino et Rapsberry Pi totalement libres et totalement adapté à l’apprentissage pour un faible coût,
    – en sachant qu’il existe des logiciels libres pour à peu près tout,
    – en sachant qu’un logiciel libre est pédagogique en soi puisqu’on peut adapter l’outil à ses besoins,
    – en sachant qu’il existe des initiatives comme «Mathenpoche» ou «La main à la pâte» qui sont d’excellentes alternative au systèmes à vocation lucrative,
    on comprend immédiatement que la réponse à la question :
    « Est-il possible que, dans les établissements scolaires, on arrive à fournir un « terminal numérique portable connecté » à chaque élève ? »
    n’est absolument pas une problématique d’ordre technique ni même comptable !

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