Retrouvons nos esprits face au numérique !

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Après les différents rapports de l’automne (Lemoine, Cnnum et autre Jules Ferry 3.0) il est temps de retrouver nos esprits « critiques ». Pour ce faire j’ai retrouvé un texte d’un philosophe et juriste qui évoque cette question de la place de l’informatique dans l’enseignement en 1981. A partir de citations choisies dans l’article de référence, je propose quelques commentaires actualisant.
Sur l’articulation entre informatique et société voici ce que l’on peut lire :
« L’informatique entre dans une société d’un type donné : élitiste, centralisatrice, concentrée »
« L’informatique, il parait vraisemblable qu’elle entrainera d’une part une croissance de l’atomisation sociale et en même temps une centralisation croissante »
Les récentes affaires sur la NSA mais aussi sur la surveillance pour les attentats récents et les débats qui ont suivi illustrent parfaitement cette analyse. On remarquera simplement qu’il n’est pas fait ici allusion à la dimension économique de l’informatique et à son intégration dans un projet libéral.
A propos de la culture et de l’intelligence à l’ère de l’informatique, on peut percevoir le lien très clair entre le développement de ces moyens techniques et le rôle fondamental de l’enseignant proposé par Jacques Ellul :
« Une culture n’est pas une accumulation d’informations, mais une organisation capable d’assimiler et de mettre en place ces informations »
« Une intelligence n’est pas un outil capable de répondre aux questions du Quitte ou Double, mais une capacité de critique, d’analyse et de synthèse. »
« Et c’est assurément une des qualités importantes de l’informatique de nous mettre au pied du mur pour savoir si nous sommes capables d’assumer notre rôle humain. Ici en particulier, est-ce que le professeur va cesser d’être un diffuseur de connaissances pour devenir (ce qu’il doit être !) un formateur d’intelligence et un initiateur de culture ? »
On est étonné, à l’époque de la création des Moocs et autres classes inversées de voir que la question sous-jacente à ces dispositifs est pensée dès le début de l’informatique scolaire.
La vision prospective de ces lignes est impressionnante, Internet est encore confidentiel à la date d’écriture du texte et le Minitel commence sa percée dans la société française. D’une part le risque de surveillance individuelle risque de s’accroitre, d’autre part la vigilance humaine baisse !
« Mais de toute façon, avec l’enregistrement des données, l’interconnexion des fichiers, la rapidité de transmission des informations,, on est obligé d’admettre que le contrôle social s’exercera inévitablement et de façon de plus en plus lourde et, en même temps, dans la mesure où l’individu est de plus en plus accoutumé, adapté, familier à l’égard des systèmes informatisés , il tend à réagir de moins en moins contre une telle possibilité »
Ainsi l’humain donnerait-il des signes de faiblesse philosophique ou encore de perte d’humanité du fait du développement de la crédulité technologique, scientifique, mais aussi marchande.
Contrairement à ce que certains pensent, ce type d’analyse n’est pas une opposition à l’introduction de l’informatique et du numérique à l’école, bien au contraire. Mais c’est surtout d’une exigence de conscience qu’il est question.
« Ce n’est pas en refusant de faire de l’informatique en classe que l’on préservera les élèves »[…] »Il faut au contraire leur apprendre ce que c’est, comment on s’en sert, ce qui est possible avec ces appareils, démonter à la fois l’appareil lui-même et la société dans laquelle il se développe, et montrer le réseau de toute l’informatique, pour apprendre à l’élève à se méfier et à critiquer cette évolution. C’est le seul moyen de limiter le contrôle social par l’informatique »
« cet enseignement « en partie double » d’une part apprendre une science ou une technique, d’autre part, et en même temps, apprendre la critique à l’égard de cette même science et technique »
La proposition d’un enseignement en partie double est bien la plus complexe. En effet face à des programmes souvent injonctifs rédigés le plus souvent sans prendre en compte clairement cette question, voire en la laissant de côté, il est difficile d’imaginer que les enseignants puissent seuls répondre à ce souhait.
Les enjeux peuvent paraître évidents aujourd’hui, mais il y a trente-cinq ans, ils ne l’étaient pas autant :
« le défi qui nous est adressé : nous obliger à repenser un enseignement qui permette à l’élève de devenir un adulte capable de procéder à des choix dans un monde d’objets, d’informations et de machines »
Contrairement à ce que certains écrivent, l’auteur de ces lignes n’est pas un opposant aux sciences et aux techniques, mais un opposant à l’aveuglement intellectuel qui accompagne trop souvent le discours sur la science et la technique. L’auteur de ces phrases est Jacques Ellul (Informatique et enseignement : p 85-92, Education 2000, ISP Paris 1981). Ces phrases ont été écrites à l’aube de la diffusion de l’informatique dans le grand public. Ce texte est une analyse certes discutable par certains aspects, mais surtout respectable dans sa mise en garde. De plus on est étonné de voir l’actualité de ce texte qui a déjà près de trente-cinq années et qui, surtout, précédé les grandes initiatives en faveur de l’informatique, des TIC puis du numérique en éducation dont, aujourd’hui encore, nous subissons les volontés, et parfois les effets. Il serait regrettable que nos décideurs soient encore une fois amnésiques et qu’ils oublient ce genre de propos, comme tant d’autres de la même époque qui pourtant, on déjà posé les questions. Mais alors, pourquoi a-t-on refusé d’y répondre réellement ? Certains avaient-ils intérêt à ce qu’on laisse de côté ces éléments pourtant déterminants.
A suivre et à débattre, bien sûr
BD

1 Commentaire

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  1. L’informatique a réellement bousculé les habitudes depuis 35 ans. Les jeunes, cible privilégiée de cette mouvance, se doivent de mieux cerner le bon et le mauvais côté qu’internet et autres machines proposent, au risque de retomber dans une robotisation de la vie sociale.

  1. […] Après les différents rapports de l'automne (Lemoine, Cnnum et autre Jules Ferry 3.0) il est temps de retrouver nos esprits "critiques". Pour ce faire j'ai retrouvé un texte d'un philosophe et juris…  […]

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