Cloud et abonnement la nouvelle plaie du numérique…

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Comment faire payer l’usager et lui faire croire qu’il est libre… de payer ? En essayant de le convaincre de nouvelles pratiques. Le premier exemple c’est le premium : un peu de gratuit pour commencer, et beaucoup de payant pour faire passer la frustration. Le deuxième exemple c’est celui des petites rivières transformées en grand fleuve : viens prendre ton abonnement chez moi, il n’est pas cher…. oui mais… attention, la suite peut s’avérer plus délicate : tant que le nombre d’abonnés est important l’accroche reste valable et dès que le nombre baisse, on restaure les marges. Quant au gratuit, payé par la publicité, c’est le troisième exemple. Encore plus pervers que les deux précédents, il implique celui qui met des contenus en ligne, par l’idée qu’il pourrait rentabiliser cette tâche, et celui qui les lit, qui en regardant la pub associée aux contenus, paye outre l’auteur, mais aussi l’éditeur et au final le paquet de nouille augmenté du prix de la publicité….
Acheter un bien et le posséder, matériellement c’est ce qui différencie le livre papier du livre numérique. Le sentiment de possession du livre numérique est peu évident : une bibliothèque de livres numériques dans le salon, ça n’a pas le même rendu que de vrais livres… (Ou simplement de vraies reliures…). Or l’informatique nous a habitués à accepter les objets sans matérialité. Certes il y a longtemps eu les modes d’emplois pléthoriques (trois classeurs pour Excel, deux ou trois pour MS DOS etc…), mais aujourd’hui ils ont disparu, soit qu’ils sont inutiles soit qu’ils sont remplacé par la « débrouille collective ». En d’autres termes la modification de la matérialité de ces objets dont on ne perçoit que « le bout du nez » est un questionnement psychique et perceptif fort qui petit à petit interroge les représentations mentales d’abord, puis les représentations sociales.
Et voilà qu’arrivent les deux nouvelles plaies : le nuage et l’abonnement. Adobe, Microsoft et bien d’autres ont choisi ce modèle plus ou moins récemment. Plutôt que de financer les mises à jour, un abonnement vous garantit la mise à niveau « automatique ». Comme en plus c’est dans le nuage, c’est à dire qu’il y en a de moins dans la machine qui est sur le bureau, l’usager a le sentiment d’être gagnant. Le fait de n’avoir plus de procédure complexe d’installation, au risque du plantage, d’avoir constamment la dernière version, et aussi de n’avoir rien en local et de pouvoir y accéder partout, quel que soit le lieu, l’heure et la machine, c’est le sentiment d’autonomie et de liberté qui est flatté, contre quelques royalties…
Il est loin le temps de la programmation des machines, seul moyen d’en faire quelque chose. Les informaticiens ont beau nous dire qu’il faut apprendre le code et l’informatique mais ils n’ont de cesse de nous cacher les couches techniques, afin de mieux nous vendre leurs services. Ce double langage est étonnant : soyez libre de vous soumettre à notre volonté et à nos produits. Soyez libres, nous veillons sur vous !!!
Dans les organisations, les institutions, les établissements scolaires, il est temps que le débat s’engage. Cela est d’autant plus urgent que c’est une sorte de plan pour développer l’Illectronisme et la dépendance aux techniciens, à leurs produits et à leur business, qui touche la société et, comme d’habitude, les plus démunis. Il est toujours plus facile de demande à un million de pauvre de donner un euro que de demander à un riche de donner un million d’euros… Et les commerçants, qui s’appuient sur ces informaticiens, ont bien compris comment il faut faire.
Le mieux que l’on observe en ce moment, c’est l’art de la récupération : faire les poubelles du web pour en faire des pépites commerciales. En fait c’est un peu plus compliqué : on ouvre un espace d’initiatives, d’inventivité, genre web 2.0. On regarde ce qui se passe et on forme nos brillants étudiants d’école de commerce et de management à en « tirer profit ». Autrement dit laissons le social inventer, le commercial passera ensuite à la caisse. On se rappelle que c’est une critique du modèle japonais dans les années 80…
Et maintenant, comment conduire une éducation, un enseignement dans ce contexte ? Comment délier les fausses libertés pour aller vers la véritable autonomie et peut-être même l’égalité (Cf. H Le Crosnier) ? Le constant attachement du politique à introduire le numérique à l’école est touchant de naïveté dans ce contexte. Surtout que l’important c’est d’abord l’équipement (le lobby des constructeurs), les ressources (le lobby des éditeurs), la formation (le « digestif »). Quant à la pertinence pédagogique, cela n’est pas quantifiable en termes de rentabilité. Surtout que le système résiste bien au numérique.
Revenons alors à l’essentiel. « Nous vivons avec ». IL est trop tard pour penser autrement les pratiques actuelles. Donc il faut probablement ouvrir les brèches du braconnage, du contournement et du détournement pour redonner sa force à l’initiative et à l’inventivité de chacun. Ne parlons pas ici d’innovation ou de créativité, mots galvaudés devenus presque vulgaire tant ils résonnent d’autres sous-entendus. Préférons expérience, invention, choix, dans le respect du Sujet. C’est à dire qu’il est temps que chacun de nous reprenne ses esprits, geeks ou alergeeks ! Regardons le monde en face et choisissons de le construire plutôt que de le subir….
A débattre
BD

1 Commentaire

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  1. Monsieur,
    « Laissons le social inventer, le commercial passera ensuite à la caisse », écrivez-vous.
    Et le lucide « nous vivons avec », vous amène à espérer un sursaut de la part d’un Sujet qui se fasse respecter comme Sujet.
    Je souscris très volontiers à votre dénonciation d’une succession de plaies du numérique, qui transforment les usagers en « chair à data », ou en vaches à lait. « Vivre avec » un environnement technologique imposé, plutôt que, d’abord et avant tout, avec les autres?
    Une certaine informatique milite pour que les usagers ne soient pas abusés par des couches techniques cachées, et fait de l’autonomie des utilisateurs son coeur de cible. L’informatique libre, et le Free Software en particulier, dans l’usage de GNU/Linux qu’elle préconise, est sans doute une piste intéressante.
    Commencer, par exemple, dans nos pratiques pédagogiques, à opérer la dissociation proposée par Sartre dans la Critique de la Raison dialectique : vous posez un objet à côté d’un objet, etc…et vous avez une somme. Alors qu’un sujet à côté d’un sujet…chacun étant affectant l’autre et se trouvant affecté par lui, s’inscrit dans une totalité plastique mouvante et vivante.
    cf ma conférence sur ce sujet :
    https://www.april.org/gnu-pour-faire-societe-une-lecture-philosophique-v-bonnet-rmll2015
    A force de prendre les usagers pour des sources de financement et de métadonnées, l’informatique non libre confond en effet, comme vous l’écrivez très bien, les sujets et les objets, poussant l’irrespect à agréger ce qui fait leurs désirs et leur existence même en un gigantesque big data, poule aux œufs d’or.
    Faire croire à l’usager qu’il est libre, et je vous remercie, Monsieur, pour ce beau texte, est en effet une démarche subtile pour mieux manipuler. Ce que Kant, en son temps, débusquait déjà sous l’affable despotisme éclairé, requiert toutes nos forces théoriques, lorsque s’avance la trompeuse sollicitude des « nuages. Les nuages qui s’avancent, là-bas…Les merveilleux nuages. »

  1. […] Comment faire payer l’usager et lui faire croire qu’il est libre… de payer ? En essayant de le convaincre de nouvelles pratiques.  […]

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