Le smartphone devient-il le nouveau "crayon-livre" de l'élève ?

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Il y a eu la calculatrice électronique, y aura-t-il le smartphone dans la trousse de l’élève ? Rappelons d’abord la Loi : Article L511-5 Créé par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 – art. 183 (V) qui dit : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite. » La formulation de ce texte est évidemment pleine d’interprétations (téléphone mobile, mais quid des fonctions déconnectées par exemple, des usages par wifi local etc.…). Pour enrichir le propos, la question de la protection de la santé des jeunes est abordée par les artefacts visibles mais pas par la question fondamentale de la nocivité plus globale de l’ensemble des dispositifs permettant de communiquer à distance, aussi bien sûr pour ce qui est des ondes que pour ce qui est des contenus et des modes d’usage de ces contenus.
L’hypocrisie supposée du législateur n’a d’égal que l’embarras général, les incertitudes scientifiques (controverses éventuelles), mais aussi et surtout les comportements humains quotidiens. Si l’on veut aller plus loin, la question de la nocivité générale des progrès techniques, en particulier en matière d’information communication, pourrait amener à une remise en cause toute simple de « l’électricité » fondatrice et élément de base de l’infrastructure générale de la plupart des technologies contemporaines. Mais dans quelle mesure sommes-nous prêts à changer nos vies pour prendre en compte ces risques ? Il est toujours curieux d’observer nos ambigüités personnelles sur le sujet : nous voulons être protégés (des ondes), mais nous voulons pourtant utiliser… (notre smartphone et notre télévision). Et dès qu’il s’agit de nos enfants, les revendications augmentent autant que les inquiétudes ou les angoisses. Une mère de famille témoignant de son choix de contrôler les usages par ses enfants nous disait qu’elle ne parvenait pas à empêcher son mari, père de ses enfants, d’avoir un usage permanent de son smartphone à la maison.
Et en classe alors, qu’en est-il aujourd’hui ? Plusieurs constats : entre 30 et 50 pour cent des enseignants du secondaire que j’interroge invitent parfois leurs élèves à utiliser leur smartphone dans le temps de la classe pour des usages liés aux besoins d’apprentissage (trace, recherches etc.…). Dans le primaire nombre d’enseignants utilisent leur propre smartphone en classe pour des usages divers liés à leur enseignement (photos, recherches etc..). Autre constat, les premiers équipements des élèves en téléphonie mobile commencent désormais au cycle 3 (CM1) et une quasi généralisation du smartphone se situe vers l’âge de 13 ans en classe de quatrième. La différence entre lycée et collège semble s’estomper petit à petit pour ce qui est du recours occasionnel au smartphone. Les principaux usages présentés par les enseignants sont basés sur des photos de tableau noir ou blancs ou des recherches sur Internet et des usages de type calculatrice et dictionnaire. Parfois il est fait appel à des applications spécifiques (SVT, Physique etc.…), le smartphone pouvant, en particulier au collège être remplacé par la tablette.
Qu’en est-il du côté des pouvoirs publics. On remarque que depuis quelques temps la prise en compte de ce que l’on appelle (maladroitement) le BYOD est de plus en plus explicite dans les références aux ENT et autres schémas directeurs. Mais pour les pouvoirs publics, on parle pour l’instant d’équipement individuel mobile (EIM). Ainsi « Le référentiel CARMO (http://ecolenumerique.education.gouv.fr/2016/07/13/referentiels-carine-et-carmo-mieux-accompagner-la-transformation-numerique-de-lecole/) regroupe toutes les préconisations et recommandations sur le déploiement des équipements mobiles individuels dans les collèges ». Puis arrive, à la suite, le référentiel CARINE (http://eduscol.education.fr/cid104324/publication-du-cadre-de-reference-s2i2e-carine.html) qui évoque explicitement dans ses évolutions prévues : « la prise en compte des équipements « BYOD » (Bring Your Own Device) dans les infrastructures de l’EPLE ou de l’école, ainsi que dans la charte et la politique de sécurité de l’EPLE ou de l’école ; ».
On mesure ici l’écart entre les pratiques effectives et les préconisations. Si les ENT se sont imposés partiellement dans les établissements scolaires, ils n’ont pas réussi à éliminer les solutions alternatives ouvertes au grand public. A tel point qu’une société comme Microsoft a réussi (maladroitement) à signer un accord avec le ministère mais surtout à proposer son fameux 365 dans de nombreux établissements, concurrençant directement, à l’instar de Google, les usages possibles des ENT. De la même manière l’usage de plus en plus large des smartphones dans les classes est aussi un signe du débordement de l’institution. Dans ce dernier cas les contextes locaux encouragent cela : infrastructures fragiles voire défaillantes, accès Internet limité ou fragile, compétences numériques basées sur des usages personnels. Mais ce qui renforce surtout ce recours aux smartphones : au moins, ils l’ont dans la poche. La plupart du temps il fonctionne bien. Si la 4G n’est pas générale, la 3G et le wifi suppléent pour certains. Et de plus certains usages ne nécessitent pas d’avoir recours à Internet. Tout cela suffit à encourager cette évolution.
Au côté des ENT, des EIM et autres dotations, se révèle un monde de la débrouille pédagogique. Ce monde est bien loin des innovations médiatisées. Il est surtout la preuve de la prise en compte d’un nouveau contexte. Le crayon (l’encrier sur la table le crayon à l’oreille, le stylo à bille) laisse de la place à ces nouveaux objets numériques multicompétences. Certains parlent de couteaux Suisses en référence aux célèbres produits de la marque « Victorinox ». On a aussi parlé de « cartable numérique » il y a plusieurs années. Peu importe le nom qu’on lui donne. Les multiples fonctionnalités intégrées dans ces appareils en font désormais un instrument particulièrement intéressant dans la classe. Pour peu qu’on ajoute encore quelques capteurs aux appareils actuels ainsi que d’habiles applications et on pourra alors parler d’instrument principal au service de l’être humain, mais aussi d’instrument majeur pour l’apprentissage et l’enseignement.
Reste à savoir l’avenir qui va être réservé au numérique scolaire dans la prochaine législature. Si tous les candidats prônent le numérique, la plupart n’ont qu’une vision très limitée de ces problèmes. La plupart des partis politiques sont encore marqué par une idée centralisatrice qui veut que si l’on forge tôt les esprits des enfants alors ils deviendront dociles… au pouvoir en place. C’est pourquoi tout détournement, tout contournement sera limité ou combattu. A moins que fort de la puissance acquise sur le marché les grandes entreprises du numérique ne soient sollicitées par l’Etat pour suppléer à ses difficultés. Du coup, ce serait la loi du marché qui s’imposerait. Il est probable que, dans ce cas de figure, les smartphones seraient au premier rang des instruments : car s’ils servent la vie de chacun de nous, ils la modèlent et l’encadrent, de manière souterraine et imperceptible. Nous serions alors éduqués au travers du marché au lieu de l’être au travers d’une intention d’une Politique éducative.
Revenons alors à la salle de classe. La fameuse « liberté pédagogique » doit-elle permettre cette évolution vers le « nouveau crayon-livre » ? Les tentatives d’encadrement sont-elles vaines ? On se trouve en fait face à un problème qui n’a pas encore été réellement pensé. Dans un film (désormais introuvable ?) de Curiosphère on entendait des jeunes de classes de 1ère parler de leurs usages en classe. Cette émission montrait la normalité, pour les élèves, de l’usage du téléphone portable (à l’époque en 2010) et effleurait la question du potentiel pour apprendre (consultation de dictionnaires… calculatrice). Les témoignages recueillis auprès des enseignants semblent tous confirmer que cet usage en classe accompagné par l’enseignant est préférable à l’usage clandestin. De plus il ne génère pas autant de troubles qu’on pourrait s’y attendre.
Ayant été violemment attaqué dans un ouvrage paru en septembre 2016 m’accusant d’encourager cet usage, je m’aperçois que les auteurs de ces propos ne connaissent pas le milieu dont ils parlent et surtout ne l’observent ni ne l’analysent en profondeur. Dans ce blog comme dans l’ensemble de mes écrits (café pédagogique, cahiers pédagogiques et aussi articles scientifiques) et depuis près de trente années maintenant, j’avance l’idée essentielle que le monde éducatif ne peut se tenir à l’écart de ce questionnement. L’observation de la manière de faire n’est pas la recommandation. C’est une posture essentielle de celui qui veut donner à voir pour réfléchir plutôt que d’imposer son point de vue aux autres. Malheureusement, et le quotidien me donne raison, prendre la parole en public c’est risquer la controverse, fut-elle difficile, face à des personnes qui proposent souvenir comme règles leur opinion plutôt que des analyses… Cela semble être une des dérives du débat public dans les médias mais désormais aussi sur les réseaux sociaux…
A suivre et à débattre
Bruno Devauchelle
[cite]

2 Commentaires

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  1. Très d’accord comme souvent. Je pense même qu’au delà des tes arguments, le smartphone représente aussi (et peut-être surtout), la solution aux problèmes de bande passante. Le retard de la France ne sera pas rattrapé. Le BYOD 2.0 (connexion comprise), est probablement la solution. Ce que je développe ici : https://goo.gl/i3xlUj

  2. Merci Monsieur Devauchelle pour vos articles dont j’apprécie toujours autant la lecture! Je garde un excellent souvenir de votre venue à l’ISFEC de Caluire et à l’IS2D à Annonay.
    Le smartphone a sa place à l’école, j’en suis, comme vous, convaincue. Il suffit de savoir lui donner une place judicieuse, au coeur des apprentissages, comme ceci se pratique déjà dans d’autres pays.
    Cécile B.

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  7. […] À vous de vous amuser avec puis de publier vos créations ou celles de vos élèves sur Twitter et sur les autres réseaux sociaux. Pour suivre les résultats, il faut utiliser le hashtag #ColorOurCollections sur Twitter. Le smartphone devient-il le nouveau « crayon-livre » de l’élève ? – Veille et Analyse TICE. […]

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