Et si ça durait plus qu’une année…. voire pour toujours…

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Ecoutons ce que les témoignages sur l’idée de reprise de l’école nous indiquent. Il y a tant de points de vigilance à penser que l’équation est probablement impossible à résoudre. Les pseudos arbitrages médiatisés sont surtout des interrogations, des angoisses, des pseudos-certitudes destinées à rassurer. Pauvres dirigeants qui doivent jongler entre leurs egos et des décisions à prendre, entre ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas. Du coup cela se répercute dans l’ensemble de l’institution scolaire et universitaire en pleine interrogation. A entendre tous ces propos, on peut certes être tenté de trouver des idées pour demain matin, mais il faut envisager d’autres hypothèses qui seraient plus structurelles que conjoncturelles.

Imaginons un instant qu’il faille désormais vivre en société en conservant les mesures de distanciation sociale, les mesures de protection. Imaginons qu’une menace virale soit devenue permanente et qu’il faille faire des choix respectueux de la vie de chacun et en même temps essayer de retrouver du sens à l’expression vie en société. Il faudrait alors réorganiser, voir transformer radicalement non seulement nos manières de vivre, mais aussi les moyens permettant cette nouvelle forme de vie en société. Il est possible, dans l’hypothèse que je propose, que l’on ne puisse plus se retrouver comme avant dans une salle de cinéma, de restaurant, de classe, de travail… Comment envisager alors les nouvelles formes de retrouvailles ? André Gunthert (http://imagesociale.fr/8535) envisage effectivement la possibilité d’une durée (un an ou deux) de cette crise et interroge l’organisation habituelles de l’enseignement, mais aussi l’organisation vécue en cette période de confinement. A ce titre il soulève quelques questions importantes. Toutefois on peut essayer d’aller plus loin, au moins dans le champ de l’éducation, la formation. Il s’agit alors, outre d’inventorier les problèmes que posent la situation actuelle, de tenter d’imaginer une nouvelle forme de transmission dans notre société elle-même transformée par l’évolution des technologies de toutes sortes dont bien sûr celles qui reposent sur l’informatique, le numérique.

Quelques éléments de contrainte à identifier.
Si désormais il est impossible de fonctionner comme avant la crise du Covid-19, on va devoir s’interroger sur les lieux de l’enseigner/apprendre, les espaces, les temps et les durées, les moyens techniques, les postures des acteurs de l’éducation et de la formation (dont les parents, les élèves, les stagiaires…), les compétences humaines, la dimension économique, l’ingénierie des dispositifs, l’organisation des institutions, l’évaluation et la certification ou la reconnaissance des apprentissages, le lien entre informel et formel, la place de l’autoformation ou autodidaxie dans les parcours des individus…
Si l’on entre dans quelques détails plus particulier on peut évoquer quelques contraintes comme celles-ci : interdiction de se retrouver dans la même salle dans des groupes de plus de quinze personnes maximum compte tenu des distances barrières, obligation de maintenir du lien et du suivi indépendamment de la co-présence physique, impératif d’équipements et d’infrastructures permettant la continuité présence distance, obligation de repenser les lieux de travail et leur utilisation (école, maison, université, centres de formation…), garantir les compétences humaines de toutes les parties prenantes des dispositifs construits.

Quelques pistes à explorer
Une fois que l’on a identifié les contraintes, il faut les surmonter. Si certaines relèvent d’une intervention rapide et pratique, d’autres demandent plus de temps, de moyens.
– Ce qui est le plus simple à surmonter c’est la gestion des moyens informatiques. Ils sont d’ailleurs en cours dans certains lieux : distribution d’ordinateurs ou de tablettes (et de périphériques éventuels), accompagnés de moyen de liaison avec Internet (wifi, 4g, abonnement). Bien sûr il faut aussi penser les infrastructures qui sont derrière ces matériels pour éviter interruption, saturation, piratage…
– Ce qui est plus classique c’est de penser autrement la vie en société, mais cela prend un peu de temps et surtout des essais-erreurs dans un modèle de réflexion que l’on qualifie habituellement d’itératif. Penser autrement, cela suppose qu’on interroge des éléments fondamentaux du sens de la vie : profit, bien-être, vacances, familles, amis, travail etc… On peut penser que cette réflexion soit basée d’abord sur la question des « biens communs ». Les valeurs de la république sont dépassées aujourd’hui. Elles ont été fondées il y a plus de deux siècles mais doivent être réinterrogées au regard d’un nouveau contexte jamais connu auparavant (à l’époque où l’on ne pouvait que laisser mourir les gens).
– Ce qui est plus compliqué c’est la gestion des locaux, établissements scolaires, commerces, domiciles, bureaux etc… Or ces différents lieux font systèmes et ne peuvent être pensés indépendamment les uns des autres comme in a pu le comprendre à la fermeture des écoles avec la conséquence des enfants à la maison, avec les parents en télétravail… Passer d’espace de proximités à des espaces de distance suffisante demande outre de repenser l’architecture intérieure mais aussi les modalités de travail et d’occupation. Pensons donc aux écoles et aux universités avec leurs salles de regroupement d’élèves et d’étudiants qui sont autant d’espace de circulation des humains en proximité. Imaginons qu’il faille penser chaque salle d’une école avec une capacité de 15 élèves distants d’au moins un mètre et un enseignant protégé aussi bien dans la classe que dans ses temps dans l’établissement. Finie la salle des profs ? Dans les universités, et André Gunthert l’évoque, on peut imaginer remplacer tous les cours magistraux par des vidéo enregistrées (tiens certaines universités ont commencé à le faire il y a près de vingt ans sans véritable succès sauf récemment), mais les temps d’enseignement en présentiel dans des petits groupes réunis autour de l’enseignant (et éventuellement enregistré et vidéodiffusé). On n’éviterait pas, si de tels choix étaient confirmés, la transformation physique des « lieux de l’apprendre » et de ces immenses couloirs et agoras dans lesquels les étudiants se plaisent à « traîner » avant et après les cours. Certaines bibliothèques scolaires et universitaires pourraient rapidement être conformes à de nouvelles normes d’accueil. Des pistes existent comme ici (http://scd.univ-poitiers.fr/a-votre-service/la-ruche/la-ruche-1618851.kjsp) à l’université de Poitiers.
– Ce qui pose beaucoup de problème mais est potentiellement gérable, c’est la modification des flux physiques humains : transports, réunions, couloirs, horaires, … Cela va demander une réflexion approfondie sur l’organisation des activités humaines : Les visio-conférences qui se sont multipliées aussi bien au travail que dans les familles montrent qu’il y a du potentiel. Mais cela renvoie aux capacités de chacun de nous à transformer son mode de vie et ses relations aux autres, à la consommation, au travail, etc… La question des flux touristiques, par exemple, pourrait amener à des transformations essentielles.

On pourrait explorer ainsi de nombreuses pistes et questions pour imaginer une société sous l’emprise d’un virus contagieux et mortel, sans solution de soin ou de prévention. La question initiale qui se pose est d’abord celle de l’acceptation de la mort. Nombre d’exemples montrent que le virus est un élément parmi d’autre face à cette issue inéluctable pour chacun de nous. Les formidables réussites de l’hygiène et de la santé au XXè siècle nous ont fait croire à l’éloignement du spectre de la mort. Mais nous n’avons fait que le déplacer. Comment pourrons-nous parler de la vie à nos enfants ?

A quelques semaines de la reprise annoncée de l’école, les questions posées par tous les acteurs du système éducatif renvoient aux questions soulevées dans ce texte. D’abord par effet de système mais ensuite par effet de complexité : on ne peut résoudre les choses sans changer radicalement non seulement l’organisation mais aussi l’environnement physique et son agencement. Il faut aussi penser avec l’humain et sa variabilité comportementale, émotionnelle et affective. Les premières réactions exprimées à cette reprise (si l’on omet les rituels propos des représentants de toutes obédiences) sont empreintes de toutes ces difficultés. A vouloir y répondre à court terme c’est imaginer qu’on puisse revenir à l’avant crise. Alors il faut commencer à y réfléchir dans la durée, voire pour une transformation sinon définitive, au moins suffisamment durable pour éviter de se reposer les mêmes questions à chaque rentrée de septembre.
Pour ce qui est monde scolaire, il y a une continuité très forte à prévoir entre les différents lieux dans l’établissement scolaire, le domicile de chacun des acteurs, les espaces tiers de rencontre et d’échange. Cette continuité doit permette de maintenir une « bonne distance » une « juste distance ». Car c’est l’enjeu de la vie de crise permanente : comment tenir la distance sans isoler, rejeter ? Comment assurer des continuités qui ne soient pas que technologiques mais qui soient aussi et surtout humaines ? Car c’est peut-être l’origine de notre vie de demain.

A suivre et à débattre
BD

1 Commentaire

    • Sylvain Genevois sur 25 avril 2020 à 06:17
    • Répondre

    Merci Bruno pour cet article qui aborde la question des distances qu’il convient effectivement de traiter dans une approche globale : celle des lieux et des liens pour apprendre. Après avoir été polarisé sur la place du numérique, le débat se déplace sur l’organisation de l’espace-temps scolaire et ce qu’il faudrait introduire comme changements pour « l’école de demain » (celle de la rentrée 2020 ?).

    Nous avons lancé un questionnaire d’enquête afin de recueillir l’avis des enseignants sur la continuité pédagogique et les questions de réorganisation pédagogique en lien avec le numérique.

    Si vous voulez participer à cette enquête :
    http://data.mirbole.net/enquetes.htm

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