Diaboliser facebook ?

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Simultanément, le Monde et le Figaro ont publié de longs articles en ce début de mois d’avril 2009 sur facebook. Dans le même temps ce site de réseaux sociaux est souvent montré du doigt dans de nombreux débats médiatiques. Surveillance policière, recrutement de personnel, problèmes de santé etc… bref, les réseaux sociaux font parler d’eux. Mais quel est donc ce danger nouveau et quels en sont les enjeux pour l’éducation et le système scolaire.
La partie la plus visible de facebook c’est cette mise en lien rapide des informations et la constitution extrêmement rapide de réseaux d’amis ou de réseaux d’intérêts. Rappelons ici que ce réseau social est basé sur l’idée que les amis de mes amis sont mes amis et que dès lors que mon réseau est constitué, je peux le faire vivre au quotidien en inscrivant sur le « mur » ce que j’ai envie. Se faire des « amis », que parfois l’on ne connait pas, est la partie le plus spectaculaire de facebook, puisqu’il propose les amis des amis en repérant automatiquement les communautés d’intérets. Ecrire sur le mur de la communuuté ou sur le mur de ses amis, déposer des photos ou des vidéos pour enrichir le propos, est l’autre aspect particulièrement spectaculaire du produit qui enrichit la communication synchrone (visioconférence, audioconférence) d’un espace communautaire qui, sur le mode asynchrone, réalise à peu près la même chose.
Ce qui semble beaucoup impressionner les commentateurs c’est la visibilité très large que l’on peut donner aux informations personnelles que l’on diffuse. Le faux pas des dirigeants de ce site sur la conservation des informations n’a pas été sans alimenter la machine à fantasmes. Pourquoi a-t-il fallu attendre un tel outil pour signaler, ce que l’on sait depuis l’avènement du web et surtout de la possibilité de s’y exprimer, que l’on pouvait en construire votre portrait robot en accumulant les traces produites et en les interprêtant. Probablement parce que la souplesse du produit qui permet une publication rapide et la visibilité instantanée des traces émises est ainsi mise à la portée de tous. On avait connu le site web en HTML, les logiciels de gestion de contenus, les blogs, les wiki, voici une nouvelle forme d’écriture en ligne beaucoup plus simple à mettre en oeuvre et surtout qui propose d’écrire de « manière insignifiante » ce qui passe par la tête pour se mettre en évidence. Une certaine part de notre exhibitionnisme/voyeurisme fondamental semble y trouver un stimulant fort. Mais tout d’un coup, les adultes sont pris dans la main dans le pot de confiture : eux aussi y jouent assez volontier, mais ils en subissent aussi les revers : surveillance, policière ou commmerciale, recherche de profil professionnel adapté etc… Du coup, voyant que les jeunes s’y adonnent aussi rapidement, et à l’instar de la découverte des pratiques des blogs, les « médiateurs » traditionnels de notre société mettent en place les procédures d’alerte et dénoncent l’outil.
Rappelons ici que facebook comme de nombreux réseaux sociaux ne font qu’agréger dans un espace commun des pratiques pré-existantes et souvent dispersées. Ces outils logiciels facilitent la vie des communautés et leur animation qui auparavant nécessitaient des ressources plus lourdes à mettre en oeuvre. Il y a aussi la mise en scène de la ligne de partage « privé-public » que semble déplacer l’usage de ces réseaux. Même s’il faut s’abonner au service pour y accéder largement, les critiques semblent montrer que tout est visible (sauf si on choisit de rester « secret ») et donc qu’il est facile d’accéder au versant privé de la personne qui s’y inscrit.
En terme d’éducation, il nous faut faire une analogie pour aider à comprendre : les réseaux sociaux c’est la cours de récréation ! Observez secrètement ce lieu magique dans les établissements scolaires et vous y verrez tout ce qu’apportent ces nouveaux services de réseaux sociaux. Or la récréation c’est typiquement le lieu privé/public mélé. S’y jouent aussi bien des relations intimes que les grandes activités sociales des membres de l’institution scolaire. Mais s’y joue surtout la construction identitaire de chacun. Certes pas isolément des autres sphères de la vie, mais en complément. Autrement dit les réseaux sociaux donnent à voir cet partie « frontière » des personnes qui y participent, entre privé et public et ouvrent de nouvelles visibilités sur le « qui je suis ? « , « qui il est ? »
Peut-on scolariser la cours de récréation ? Faut-il le faire ? Regarder le foisonnement d’une cours de récréation est toujours très impressionnant, surtout lorsque le son est déconnecté de l’image. On se rappellera cette émission reportage du milieu des années 90 appelé justement « Récréation » qui avait filmé la vie d’une cours pendant un année pour s’en faire une idée. La place des conduites symboliques y est essentielle, c’est un lieu ou se revit souvent la vie réelle sur le mode maîtrisé. La récréation c’est un lieu de passage, un lieu de transition entre deux mondes : celui de l’école et celui de l’extérieur de l’école, il s’y vit l’essentiel, mais la plupart du temps sur un registre symbolique.
La peur qu’expriment les commentateurs de facebook vient probablement du fait que c’est cette dimension symbolique qui ne leur semble pas s’exercer seule. Le regard des autres sur cet espace récréatif détourne la fonction même de cet espace. En fait ce n’est pas l’espace en lui même qui pose problème mais le fait que d’aucuns puissent en détourner la fonction sociale construite au profit d’une autre, policière, commerciale, industrielle etc… non voulue par les participants qui fait peur. Des réseaux comme meetic ou viadeo étaient facilement identifiables dans leur intention et dans celle de leurs participants. Facebook lui n’a pas exprimé d’intention autre que celle de mettre à disposition cet espace de création. Mais le modèle économique actuel dans le monde des TIC a vite rattrappé les concepteurs avec la publicité, par exemple. Du coup l’intention supposée vient des partenaires potentiels de ces réseaux : On pourrait ainsi rêver que les services de sécurité financent ce type de réseau qui leur permet de mieux observer la population. On peut aussi imaginer un pouvoir pervers qui, en mal d’information sur les sujets qu’il gouverne, leur propose innocemment des outils ludiques pour mieux les surveiller…. comme savent le faire les commerciaux avec les jeux qu’ils proposent pour mieux connaître leur clientèle.
Eduquer à Facebook n’est pas le vrai problème, mais éduquer aux enjeux de l’identité numérique au travers des différents supports est la priorité. Malheureusement une caractéristique psychologique assez partagée risque de mettre à mal toute vélléité éducative (à moins de policer toutes les conduites sociales) : « l’envie de savoir tout de l’autre à son insu », un peu comme dans l’imaginaire de celui qui, rencontrant un psy, pense qu’il lit à l’intérieur de son « cerveau » sans qu’il s’en rende compte…. Or pour satisfaire cette envie, il faut avoir des outils de visibilité et les réseaux sociaux en offrent une belle opportunité. Il faudra probablement que les éducateurs prennent part à ces espaces pour accompagner les jeunes dont ils ont la responsabilité au risque d’en rester à la seule diabolisation source de fantasmes et de conséquences incontrôlables…
A débattre
BD

6 Commentaires

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  1. Cher Bruno,
    Je lis régulièrement ici et ailleurs, tes articles. Tes analyses sont souvent pertinentes.
    Si je suis d’accord avec toi sur l’éducation aux enjeux de l’identité numérique comme priorité *, il me semble quand même, que tu fais preuve d’un peu d’angélisme sur Facebook.
    « Facebook lui n’a pas exprimé d’intention autre que celle de mettre à disposition cet espace de création »
    Cette affirmation me parait spécieuse. Certes, Facebook n’a pas « exprimé », mais c’est assez transparent. Il suffit de lire (avec de la patience !) la politique de confidentialité et les conditions d’utilisation.
    Quelques extraits.
    Dans les conditions d’utilisation, § Données d’inscription ; Sécurité des comptes :
    « En contrepartie de votre utilisation du Site, vous acceptez (a) de fournir des informations appropriées, actuelles et complètes vous concernant dans les formulaires d’inscription du Site (« Données d’inscription ») ; […] (c) de mettre à jour, au besoin, les données d’inscription et toutes autres informations que vous fournissez à la Société afin qu’elles restent appropriées, actuelles et complètes ; […] »
    Dans la politique de confidentialité, § Modification ou suppression d’informations :
    « Les traces des informations supprimées seront conservées pendant une durée raisonnable »
    Mais dans les conditions d’utilisation, § Contenu utilisateur publié sur le Site :
    « la présente licence prendra fin automatiquement mais vous acceptez que la Société puisse conserver des copies archivées du Contenu utilisateur supprimé »
    Et sans limite de durée !
    Dans la politique de confidentialité, § Partage de données avec des tiers :
    « Il se peut que nous proposions des offres ou fournissions des services en partenariat avec d’autres sociétés sur Facebook. »
    Le modèle économique est clair. D’ailleurs une société qui emploie plus de 700 personnes dans le monde n’aurait-elle que pour seule ambition de « mettre à disposition un espace de création » sans retour financier ?
    La publicité ne finance et ne financera pas tout (en 2008 la société a dégagé un résultat net négatif). En fait Facebook possède un trésor : sa bdd ! (175 millions de membres) Et c’est pour cette raison qu’elle trouve des investisseurs. Il est malheureusement probable que ce trésor sera (est déjà ?) utilisé commercialement.
    Le reportage de F2 dans l’émission « Envoyé spécial » du 04.12.08 est assez intéressant.
    http://envoye-special.france2.fr/index-fr.php?page=reportage-bonus&id_article=1106
    Pour finir sur une note plus drôle, cette vidéo qui propose d’illustrer le propos : « si la vraie vie se passait comme dans Facebook ? »
    http://www.koreus.com/video/facebook-realite.html

    Yvonnick
    Formateur TICE – CDDP44
    Prof SVT

    * En partenariat avec le Conseil Général du 44 j’interviens dans les collèges du département pour sensibiliser les élèves aux risques liés aux usages de l’Internet. La limite privée/publique est largement abordée, sans leçon de morale ni diabolisation de Facebook (ou des autres réseaux). C’est un choix qui appartient à chacun mais ce choix doit être fait en toute connaissance de cause. J’invite à se forger une identité numérique plutôt que d’en rester à une « empreinte numérique » non maitrisée.
    Pour les adultes (parents et équipe éducative), un 2è temps propose d’initier dans l’établissement une démarche d’éducation à la citoyenneté avec comme perte d’entrée l’utilisation des TIC et de l’Internet.

  2. Bonjour
    Merci de ce commentaire. J’ai probablement mal expliqué mon point de vue ou au moins incomplètement. J’ai d’abord évoqué le faux pas des dirigeants de Facebook qui les a amenés à faire machine arrière. Cela siginifiait pour moi le repérage d’un dysfonctionnement. Cela implique aussi pour moi une méfiance a priori pour ce type d’outil.
    Deuxièmement j’ai évoqué facebook par rapport au reste d’Internet : on s’étonne de Facebook, mais on oublie tout le reste du web qui comporte les mêmes risques. Autrement dit pour moi on est déjà dans ces risques
    Quand à la Bdd de Facebook, je pense qu’elle est bien moins pertinente que celle de Google qui est bien plus qualitative (ce à quoi je m’intéresse est plus évident pour le commercial par les usages de google que par ceux de facebook).
    Enfin sans angélisme sur Facebook, je refuse la mise en position de bouc émissaire, trop habituelle dans les médias français et dans l’esprit de nombre de personnes qui ne reçoivent pas d’autre information que de ceux qui portent les drapeaux haut et fort au lieu d’analyser sur le fond les choses.
    J’apprécie particulièrement votre post Scriptum car il correspond aussi à mes interventions dans le même domaine.
    AMicalement
    Bruno

  3. Bonjour,
    La diabolisation de Facebook est un débat qui semble devenir récurrent. en Suisse par exemple, l’adoption du passeport biométrique est déclarée moins dangereuse que l’exhibition menée sur Facebook, dixit E. Widmer-Schlumpf, conseillère fédérale. Le débat avait déjà existé en France à propos de Facebook et EDVIGE.
    Pour compléter la perception de Facebook, j’ajouterai plusieurs points :
    – Facebook n’est pas comme les autres réseaux sociaux : c’est le plus grand (175M de membres). Ce succès s’explique à la fois par la facilité de mettre en ligne un contenu intime (il n’est pas le seul à le faire) et par la difficulté de régler la confidentialité des données. Vu la taille du réseau, c’est donc le réglage de la viralité qui pose souci (cf. vidéo de l’agression dans le bus). Facebook est éminemment plus viral que n’importe quel autre réseau social. Voilà pour le point logiciel.
    D’autre part, le modèle économique de FB est très flou, surtout depuis la venue de Zuckerberg à Davos : « Ce qui semble intéresser le plus à Zuckerberg c’est de livrer aux entreprises un « real-time feedback » retour utilisateur instantané sur les produits » (source). Ainsi, la base de données de FB est plus précise à me yeux que celle de Google (qui vient en complément derrière : Google lit Facebook).
    Avec Analytics, Google connait mon parcours de recherche, mes centres d’intérêts et pourquoi pas mes achats. Mais je peux faire une requête sur un produit uniquement à des fins documentaires.
    Avec FB, on sait ce que je fais (status update = lifestreaming), ce que j’aime (DrHouse, les Pringles, Nutella, les Strokes, etc..) Le tracking est plus comportemental, plus complet, plus proche de la source, sans ambiguité : le Moi se déclare, déclare une intentionnalité.
    Autant Google va m’envoyer des pubs contextuelles, c-a-d par rapport à ce que je lis, autrement dit, ce que d’autres ont dit (dans un mail qu’ils m’ont envoyé) ; autant FB va m’envoyer des pubs par rapport à ce JE dis. Le ciblage est meilleur.
    Maintenant, nous pouvons nous demander si nous préférons des publicités plus précises ou du vulgaire spam ?
    Mieux encore : si l’on peut supporter qu’un espace personnel comme le mur de FB soit phagocyté par la pub, le marketing et le consumérisme ?

    1. Merci beaucoup de ce message qui éclaire bien la question de la diabolisation et de ses enjeux.
      Citons ici la conclusion de Fatima Aziz qui fait sa recherche sur le sujet à l’EHESS :  » Certes on se demandait depuis un moment comment par exemple Google pourrait monétiser les vidéos de YouTube, mais je crois qu’au lieu de se précipiter sur les questions de l’atteinte à la vie privée sur Facebook et de sa diabolisation, la question sur la notion de « vie » et « identité » sur Facebook, Flickr et Myspace, Skyblog, Blogger mérite une analyse dans le contexte des réseaux sociaux, et leur effet sur la construction de soi sur le web!  »
      Il ressort à nouveau que derrière les outils deux questions se posent : l’une concerne l’intention des concepteurs (leur intérêt ???) l’autre concerne l’intention des usagers (leurs besoins). On voit aisément la perversion des premiers qui commencent par tenter de capter ce que les seconds expriment. Depuis Michel de Certeau et le développement de la sociologie des usages on ne cesse de découvrir l’immensité de la question et de son intérêt. Mais à se focaliser sur les usagers des technologies, on a oubliés d’évoquer les usages de la conception et des concepteurs de ces technologies. Comme si l’un, l’usage, était devenu indépendant de l’autre, la conception. Chacun s’en défendra a priori, mais force est de reconnaître que l’on oublie parfois de regarder du coté des usagers concepteurs, considérés comme « allant de soi » pour ne plus se centrer que sur ce qu’en font les usagers /clients (?).
      A suivre
      BD

  4. Bonjour,
    mes phrases seront moins bien construites t moins pertinentes certainement. je suis un peu novice par rapport à facebook.
    je trouve cette plate-forme bien ficelée (scindée à souhaits, bloquage des données perso si on le désire, tri dans la diffusion ou pas de certaines images/ou données à certains amis/ou pas).
    Par contre j’entends tout sur facebook = que si on supprime des images ou données, elles resteront dans leur serveur, qu’on peut être fliqués à notre insu (…!), même entendu parler de Mormon et autres bêtises religieuses..;etc.
    Qu’en est-il ? J’ai lu avec prudence leurs paramètres de confidentialité, qui me semblent très claires (en d’autres termes, c’est à nous de faire attention ! normal). C’est à nous de gérer nos « partages ». Correct.
    Pour le droit à l’image…hum, oui, là…méfiance, et je le conçois.
    Les ados = ils font un peu n’importe quoi sur facebook (j’en ai 3), mais comme je flique et exige les mots de passe…je vais gérer pour eux, et surveiller. No problem.
    Mais on reçoit…serait-ce un hoax ? des textes stipulant que facebook, je cite « Tous les utilisateurs de Facebook ont d’ailleurs donné leur autorisation pour que leurs données personnelles soient enregistrées, conservées et utilisées à d’autres fins… « . Les têtes-en-l’air auront des surprises mais bon…y a t’il mort d’homme ?

  5. Les réseaux sociaux sont à l’heure actuelle des moyens de communication très répandus tant pour les adolescents que pour les jeunes adultes. Et il existent des enjeux enrmes chez les adolescents.

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