Construire la compétence d'autodirection dans l'apprentissage.

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La scolarisation, telle quelle a été inventée au XIXè siècle avait pour principal objectif de compléter l’éducation familiale (voire s’y substituer) en particulier dans le domaine des valeurs morales et civiques (CIRCULAIRE Adressée par M. le Ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, Aux instituteurs, concernant l’enseignement moral et civique, le 17 novembre 1883). Dans ce texte le ministre met en premier l’homme (l’exemplarité) puis après le livre (une référence, mais qui, pour lui, n’est rien sans une incarnation). La lecture de ces textes fondateurs de l’école de la république nous indique que l’école donne la bonne direction, contre le risque de la mauvaise que pourraient donner par les familles.
Avec la massification de la scolarisation, et surtout le tassement des progrès liés à la scolarisation (un nombre stable de jeunes sortent du système scolaire en difficulté importante depuis plus de quinze années), la question de l’école se repose. A cette stabilisation s’ajoute le retour de l’effet héritage qui voit de nouveau les jeunes d’origine les plus favorisés avoir les meilleures réussites scolaires (cf les travaux de E. Maurin) puis sociales. Autrement dit le système scolaire continue d’assurer une ségrégation sociale tout en maintenant une certaine stabilité sociale et civique.
Les observations courantes du monde enseignant mettent en évidence l’idée que certains élèves n’ont pas de problèmes scolaires parce qu’ils présentent des caractéristiques, peut explicitées, mais qui leurs permettent de mieux réussir que les autres. Il est courant d’entendre dire d’un élève qu’il apprendrait même s’il n’y avait pas l’école. On entend aussi souvent, et on le lit sur les bulletins scolaires, que les élèves ne font pas de travail personnel, ne travaillent pas à la maison. Ceci semble sous entendre que c’est cette capacité particulière qui pourrait avoir une influence sur la réussite scolaire. Ainsi dont le système aurait comme particularité de faire réussir ceux qui travaillerait le plus/le mieux en dehors de lui. Certes chacun de nous a des exemples de réussites qui ne s’inscrivent pas dans cette logique, mais ils sont rares et les sociologues nous rappellent souvent que ce sont des exemples qui cachent une réalité autre.
Le développement des TIC, à l’instar de celui de l’écrit (cf Platon) puis du livre et de la télévision aussi, a rendu du savoir disponible pour tous, sous forme d’information, et l’on ne manque pas d’exemples néphastes de l’effet de ces supports, les auteurs sont légions. Si l’on suppose qu’ils ont une influence négative, on peut également penser qu’ils ont une influence positive. L’émergence depuis plusieurs années des courants de l’autoformation (http://www.a-graf.org/) dans la suite de travaux comme ceux de Joffre Dumazedier, de Philippe Carré etc… serait-il un signe de la nécessaire prise en compte de cet espace non formel et informel à coté de cet espace formel que constitue l’école.  Des travaux comme ceux d’André Giordan par exemple (cf le modèle allostérique), mais aussi de Jérome Bruner, ont montré qu’il était important de ne pas opposer ces formes d’apprentissage. De même tous les travaux concernant l’éducation dans les pays ayant de très faibles taux de scolarisation ont mis en évidence la nécessaire articulation entre ces trois univers, le formel (scolaire), le non formel et l’informel.
Avec les développement des TIC, c’est la possibilité d’accéder directement aux sources (informations et savoirs) pour des coûts extrêmement faibles si on les compare au livre et plus généralement à l’écrit sur support papier.  Ce phénomène constitue en soit une révolution potentielle, mais il y faut une condition : que ceux qui y accèdent disposent des outils pour transformer ces informations en connaissances et ces connaissances en savoirs (éventuellement) ou au moins en pratiques. Or c’est là que le système scolaire est en difficulté et plus généralement le système de formation et d’enseignement. On n’imagine mal des emplois du temps avec des blancs : alors on ne fait rien dit-on souvent ? En fait quand on est à l’école on se représente tous l’idée que seuls les cours sont efficaces et que s’il y a des « trous » dans l’emploi du temps c’est que l’on n’apprend pas. L’école rejette à l’extérieur l’idée selon laquelle l’élève pourrait avoir un « droit » d’autodirection sur ses apprentissages. Or en rejettant cette compétence elle n’en permet pas le développement. Si, comme on l’a vu plus haut, c’est dans cette partie (boite noire) appelée travail personnel ou travail à la maison que se situe l’une des clefs essentiels de la réussite scolaire puis professionnelle on se demande pourquoi l’école ne participerait pas à son développement. Depuis le XIXè siècle, l’école a rejeté profondément cette idée et a réussi à le faire partager par tous, à tel point que dès qu’il y a un problème dans la société on demande à l’école de le résoudre au lieu de réfléchir de manière plus systémique.
L’exemple des TPE est pourtant éclairant sur le sujet. les observations nombreuses que les enseignants ont pu faire sur cette capacité d’autodirection dans l’apprentissage leur ont permis de prendre conscience de son importance. La question de l’autonomie et de sa construction est aussi au coeur des réflexions sur le lycée. M. de Gaudemar y avait même ajouté cette suggestion que les TIC sous la forme des ENT, entre autres, pourrait y coucourir ! On le constate donc aisément, il y a autour de l’autonomie dans l’apprentissage une question cruciale pour l’avenir du système éducatif et que l’on est désormais contraint de penser cette dimension de manière avancée aussi bien dans la définition des compétences des élèves que de celle des enseignants (cf billet précédent).
Rappelons ici que l’autodidaxie ce n’est pas le fait d’apprendre seul (cela n’existe pas sauf dans l’imaginaire de certains idéologues pro et anti autodidaxie) mais bien de se diriger seul dans une dynamique d’apprentissage. Or chacun de nous dispose de cette dynamique (le petit enfant et la conduite exploratoire dans la maîtrise du monde environnant), mais tout le monde ne développe ses compétences dans ce domaine de la même manière. On pourrait examiner ainsi ce que l’on peut qualifier avec un clin d’oeil « d’appel au secours » des enseignants documentalistes pour la recherche et le traitement de l’information, on pourrait aussi y associer les enseignants de technologie ou des disciplines professionnelles au LP qui observent leurs élèves face au monde qui les entoure avec un regard différents de la plupart des autres disciplines. Tous nous parlent des différences majeures entre les élèves dans ces domaines. Que faire de l’habileté manuelle d’un élève qui, ayant parfois du mal dans les disciplines sélectionnantes, est pourtant parfaitement capable d’apprendre mais dans un contexte différent de celui de l’apprentissage scolaire ?
Autrement dit, nous avons tous un potentiel d’autodidaxie, encore faut-il qu’on le développe, dans des domaines variés et adaptés à nos dynamiques. Le développement des TIC facilite encore le potentiel d’autodidaxie. Il est donc indispensable que l’ensemble du système scolaire se penche sur des modes d’intégrations des ces nouveaux outils non pas en terme seulement d’apprentissages scolaires, mais avaant tout en terme de nouveau rapport à l’apprendre et donc à de nouvelles formes d’apprentissage/enseignement. Encore faut-il que l’ensemble de la classe politique, en charge des questions d’éducation, accepte de prendre ce risque…
A débattre
BD

5 Commentaires

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  1. Je l’ai écrit souvent et je l’écris a nouveau
    Apprendre a apprendre n’est pas un risque, c’est la dernière chance qu’il nous reste de construire un avenir soutenable…

  2. Il se trouve que j’ai longuement travaillé en lien avec Britt Mary Barth (L’apprentissage de l’abstraction (1987) et le savoir en construction (1995) et que notre rencontre s’est opérée autour de la convergence de vue entre ses travaux qui tendaient à mettre en pratique pédagogique l’approche de Bruner et Vygotsky) et mes réflexions d’acteur impliqué sur l’utilisation des TIC, en particulier pour des publics en difficulté d’apprendre. De plus nous avons eu ensuite des échanges très riches avec Jacques Ardoino dans son séminaire de DEA à Paris 8 sur des questions similaires.
    Or si je dis qu’apprendre à apprendre est aussi un risque qu’une nécessité, c’est parce que cela déstabilise un système, mais que cela pose aussi problème pour ceux qui sont les plus démunis (intellectuellement, socialement…). Il s’agit d’un changement culturel suffisamment important pour ne pouvoir être abordé qu’avec la seule force de notre conviction.
    BD

  3. Je ne pense pas que reprendre confiance dans ses capacités d’autodidaxie pose un problème aux plus démunis …au contraire !…il faut juste accompagner ce processus de façon pertinente !
    Beaucoup d’expériences de mon cote aussi ! 🙂

    • Evelyne Vincent sur 17 août 2009 à 17:41
    • Répondre

    « se diriger seul dans une dynamique d’apprentissage » oui dans l’idéal c’est possible et souhaitable mais dans la réalité les élèves n’ont ils pas une représentation de leur implication dans les processus d’apprentissage qui les empêche précisément d’initier cette démarche ? N’avons-nous pas à combattre, lorsque nous proposons des situations pédagogiques de type résolution de problèmes par une recherche personnelle, une inertie, une passivité, fruits peut-être de pédagogies trop directives et pas assez actives (dans le sens aussi du droit à l’erreur) ? Il existe à mon sens inconsciemment un pouvoir lié à l’enseignement, les élèves doivent peut-être conquérir et s’autoriser le droit d’apprendre et d’exercer leur individualité naissante ou plutôt les enseignants doivent de toute évidence les encourager à le faire en se plaçant à côté et non au-dessus.

  4. Florence
    Je souhaite que vous ayez raison a propos des plus démunis, mais je n’ai que peu d’indices de cela, dans notre contexte de prééminence de l’enseignement scolaire… Mais si l’on parle de la débrouille, et de l’entraide, on peut aller voir du coté des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoir (Claire et Marc Heber-Suffrin) et effectivement il y a de réels gisements.
    BD

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