Culture numérique au (nouveau) lycée ?

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Dans les décrets et arrêtés publiés pour le lycée ce 4 février 2010 (BOEN), on peut noter que les TIC et les médias sont cités à plusieurs reprise. Toutefois on ne peut qu’être interrogatif sur le fait de ne pas voir figurer la « culture numérique » en tant que tel dans les textes proposés et déçu de ne pas lire une seule ligne sur le B2i lycée…. On distingue trois types d’implication en éducation : dans l’accompagnement personnalisé, dans les jumelages avec l’étranger et dans le développement de la culture à l’école qui se décline en éducation aux médias d’une part et en TIC au service de la découverte culturelle.
Il me semble nécessaire de s’arrêter ici sur le passage le plus significatif du texte du BO  celui qui concerne l’éducation aux médias :
« Les moyens d’information et de communication enrichissent le parcours culturel des élèves et facilitent l’accès à la culture sous tous ses aspects : littéraire, historique, artistique, scientifique, mais aussi politique, économique, sociologique, etc. Dans la mesure où l’éducation aux médias concerne toutes les disciplines, il convient d’engager une exploitation plus grande de tous les médias : journaux, magazines, radios, télévisions, etc. Au sein du lycée, l’expression des élèves est également à encourager : journaux scolaires et lycéens, radios et vidéos d’établissement, sites internet, etc. L’éducation aux médias prépare ainsi les lycéens à exercer leurs responsabilités de citoyen. »
Il s’agit là avant tout d’une déclaration d’intention, basée sur les propositions d’un rapport de 2009 (Apparu, je crois) qui n’engage manifestement rien sur le plan des pratiques réelles (comme en atteste la suite du document). On peut donc regretter que ne soit pas repris le B2i dont le contenu explicite avait pourtant quelques rubriques à faire valoir, mais surtout on peut noter le malaise que le système éducatif continue de manifester à l’égard de « la culture numérique » qui se construit devant nos yeux au sein d’une évolution culturelle beaucoup plus large qui touche nos sociétés en ce début de XXiè siècle… L’instrumentalisation des TIC et des médias est une chose intéressante si elle est située dans un projet éducatif plus global. Or dans ces textes on en est très loin.
Les pratiques sociales du numérique sont renvoyées aux disciplines, mais absolument pas au « système scolaire » et à son organisation. En élargissant le regard sur les autres textes, on instrumentalise les TIC pour les langues, pour l’orientation, pour l’accompagnement personnalisé (panacée de la différenciation, support de démarches d’orientation ???). En d’autres termes, ces textes renvoient au niveau des établissements la responsabilité d’un projet pédagogique et éducatif qui intégrerait une vision du numérique comme composante de la mission centrale de l’institution scolaire.
Et pourquoi ne pas s’emparer dans chaque établissement de cela ?
En effet si ce texte nous semble bien distant et peut-être même maladroit, il laisse de la place à l’initiative. Il est distant car il se contente d’instrumentaliser le numérique et de se baser sur une vision ancienne de la question sous l’expression « éducation aux médias ». Il est maladroit parce qu’il démontre l’embarras du décideur sur cette question, à défaut de sa méconnaissance partielle d’un phénomène de mutation culturelle majeure. Il laisse de la place à l’initiative pour les établissements qui voudront s’engager dans une véritable réflexion systémique, culturelle et organisationnelle sur la place prise par le numérique dans la « culture » (au sens anthropologique de production humaine).
Le numérique constitue dans la vie de chacun de nous un arrière plan de notre quotidien personnel social et professionnel. En s’étonnant, mais sans regret, que l’acronyme ENT n’apparaisse plus, on ne peut que constater que c’est dans ce « champ » qui progresse autour et dans nos établissement que se situe le potentiel le plus fort. En effet comment ne pas penser un établissement véritablement environné d’outils numériques déployés dans les cinq domaines d’applications que sont l’administration, la vie scolaire/l’orientation, le pédagogique, la documentation, l’information/communication. Or si l’on observe le volontarisme de déploiement de ces applications on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas de vision dans ce domaine dans une réforme qui concerne les jeunes qui sont les plus habitués à cette culture numérique (cf toutes les études récentes sur les usages du numériques chez les 15 – 20 ans).
L’accès au savoir, à la culture (au sens patrimonial du terme) passe désormais par de nouveaux canaux et de nouvelles modalités d’appropriation (terme maudit en éducation, mais fêté en information communication). C’est justement l’existence du numérique qui provoque ces mutations comme en témoignent tout autant les évolutions des bibliothèques et centre de documentation (voir le récent rapport sur les learning centers) que celle des jeux vidéos et autres réseaux sociaux dont on ne peut qu’observer leur place dans les pratiques quotidiennes des jeunes jusque pour les devoirs à la maison… Mais c’est surtout par la déplacement des médiations entre les personnes et les savoirs que la mutation est grande. Or c’est cette médiation qui est à reconstruire complètement, Or ce n’est toujours pas le chemin qui semble se créer, même si la dimension culturelle du projety paraît aller dans le bon sens.
Isoler tel ou tel aspect du développement du numérique dans la société c’est oublier qu’ils ont un substrat commun qui a pris une ampleur inégalée depuis l’aube des sociétés humaines : le réseau. C’est justement parce qu’il y a réseau qu’il y a système nouveau. En morcelant la place du numérique en isolant quelques éléments, on renforce l’écart entre l’école et la société, comme s’il valait mieux cacher la réalité que les jeunes auront à affronter. Dans le débat entre les anciens et les modernes en éducation, deux grandes tendances s’affrontent : celle du sanctuaire et celle de la rue. Tenant ni de l’une ni de l’autre, il me semble indispensable de chercher à penser un dialogue permanent et global entre les deux. C’est de ce dialogue que peut naître la prise de conscience de ces évolutions culturelles
A débattre bien sur
BD

1 Commentaire

  1. Merci Bruno de cette analyse roborative.
    Je pense que le rapport auquel se réfère cet énoncé est celui de l’Inspection générale de 2007 sur l’éducation aux médias, mais aussi les recommandations de l’Unesco, de la commission européenne, mais aussi la décision de 2008 du Parlement européen, etc. Les recommandations fusent de partout, au niveau national ou international. Ce qui m’apparaît, c’est qu’à chaque fois on y trouve (énoncée, tue ou maladroite) cette convergence tripolaire chère à Alexandre Serres : la culture TIC, la culture de l’info-doc et la culture des médias. Trois origines et une incontournable convergence.
    Certes les chemins vers une société de la connaissance – maîtrisant le numérique – sont long et ardus, certes on voudrait que ça aille plus vite, certes ces chemins s’enlisent parfois dans un sens plus que dans l’autre… Mais quoiqu’on fasse, les 3 cultures sont aujourd’hui indisociables et elles conditionnent irrémédiablement le rapport au savoir de chacun d’entre nous, quel que soit son âge.
    Venez en débattre avec nous, et avec Bruno Duvauchelle l’auteur de ce blog, les 31 mars et 1er avril 2010, à l’occasion de la manifestation Orme 2.10 à Marseille : « S’informer à l’heure du numérique : une question d’experts ? » //www.orme-multimedia.org/r2010/

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