TIC, une affaire d'autorité ?

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Le développement des TIC dans la société se révèle à chaque fois une bonne porte d’entrée pour analyser tel ou tel aspect de notre société. Deux publications complémentaires en apportent une illustration : la publication du rapport de l’AWT sur les TIC en Belgique et le sondage de l’association de parents (APEL) sur l’autorité (à la maison et à l’école). Si le premier rapport fait écho à d’autres précédents, la seconde enquête a le mérite de poser une question importante aussi bien aux familles qu’à l’école : la place et la forme de l’autorité aujourd’hui.
Le premier lien entre ces deux documents se situe dans cette réflexion citée par le journal la Croix dans son dossier sur l’autorité (2 juin 2010) qui, citant un parent d’élève, rapporte ce propos : « les parents se posent beaucoup de questions à propos des nouvelles technologies, ne savent pas comment mettre des freins, fixer des limites. ». Il est intéressant aussi de croiser cette enquête avec celle sur les jeunes et les TIC de Fréquence école, et publiée en mars dernier. On constate dans la première que les adultes nomment un écart important entre leur autorité et celle des autres adultes. On constate dans la seconde les parents sont finalement très peu au courant de l’usage des TIC par leurs enfants à domicile.
Le développement des pratiques familiales et scolaires des TIC poserait donc problème dans le champ de l’autorité. Nos voisin belges le confirment, le système scolaire reste chez aussi très en retrait pour ce qui est de l’usage des TIC, sans pour autant le lier à la question d’autorité dans l’enquête elle-même, mais en évoquant la question au moins de « l’autorité sur la machine ». En d’autres termes les TIC et leurs usages par les jeunes et les élèves confirmeraient le désarroi éducatif des adultes !!!
Comment préciser le problème. De nombreuses pratiques pionnières des ordinateurs personnels reposent sur la volonté personnelle d’avoir de l’autorité sur la machine informatique. On observe à de nombreuses reprises que la frilosité sur l’introduction des TIC dans la classe repose sur la crainte exprimée par les enseignants de ne pas avoir de « l’autorité sur la machine » et par conséquent de ne pas avoir « autorité sur les élèves ». Pour ce qui est des parents, les choses sont plus nuancées. Mettre à disposition de son enfant un ordinateur c’est un acte qui repose sur une transaction d’autorité : j’autorise mon enfant. Dans le même temps, l’autorité est questionnée dès le début dans la définition des usages prescrits par les parents à leurs enfants. C’est ensuite, lorsque les usages réels se développent que la place de l’autorité réciproque des acteurs est mise en cause : autorité technicienne, autorité culturelle, autorité éducative….
Avant d’aller plus loin il est indispensable de rappeler quelques éléments sur le terme autorité. L’absence de définition a priori du terme amène inéluctablement le sens commun à l’assimiler à la discipline, l’ordre. Une analyse un peu plus avancée des usages du terme ouvre des perspectives intéressantes. Ainsi quand on « autorise » quelqu’un à avoir ou faire quelque chose (des parents offrant un ordinateur à leur enfant par exemple), on ouvre un droit. Ainsi l’autorité est détenue par celui qui « autorise » l’autre et donc transfert un droit. L’autorité s’inscrit dans le domaine de la transaction. Quand quelqu’un dit qu’il « s’autorise à », c’est qu’il prend pour lui le droit de sans pour autant en référer explicitement à celui qui est détenteur de ce droit. Jadis une expression de jeunes, « si ne n’ai pas le droit, je prends le gauche… » signifiait bien cette prise d’autorité. Par ailleurs le terme autorité contient étymologiquement le mot auteur (http://www.fabula.org/compagnon/auteur4.php). Bien avant de parler de droit, comme le fait wikipedia, il faut parler de l’auteur, celui qui délivre une parole, elle-même reçue comme importante et respectée. Malheureusement dans de nombreux cas, l’autorité renvoie d’abord à l’autoritarisme et à la discipline. Et c’est ce point qui rend difficile toute analyse avancée.
Si nous revenons à la question que les TIC pose en matière d’autorité et si nous nous appuyons sur le sens d’auteur, on ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les difficultés spécifiques à l’introduction de techniques permettant d’informer/s’informer et de communiquer. Dans un ouvrage visionnaire, Hervé Serieyx mettait en évidence le renversement des organisations : « mettez du réseau dans vos pyramides » (1996 Village Mondial http://herveserieyx.nexenservices.com/article.php3?id_article=37) lié déjà aux possibilités nouvelles apportées par ces technologies pour la modification du management. En donnant « le droit de parole », sans filtre, les TIC et en particulier Internet introduisent un changement radical dans l’autorité de la parole.
Si nous transposons cette évolution dans le monde scolaire et en particulier dans le cadre de la relation dissymétrique traditionnelle de la classe, l’autorité est inéluctablement questionnée. Le transmetteur n’est plus l’enseignant seul, il n’est plus qu’un des « auteurs » qui vont « permettre » aux enfants d’apprendre. Avec le manuel ou le support, il élargit tout en contrôlant son autorité. Les nouvelles possibilités d’accès au savoir viennent donc contrarier vivement cette autorité. De plus dès lors que l’élève ou le jeune a la possibilité technique (et aussi le droit) de produire de la parole, de l’écrit, son autorisation change complètement car il n’est plus obligé de s’en remettre à l’école ou à ses alliés (les éditeurs par exemple) pour s’autoriser à s’exprimer. On le voit un réel changement est en cours. Il n’est pas aussi nouveau qu’on peut le croire, il suffit de renvoyer, par exemple, au travail mené autour de Mario Asselin et du portfolio lorsqu’il était directeur de l’école Saint Joseph (site actif aujourd’hui http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/)  pour comprendre les mutations nécessaires à envisager.
Dans les familles il semble que la question de l’autorité ne se pose pas dans ces termes. La notion d’auteur renvoie davantage à l’adolescence et au passage que vit la famille lorsque le jeune choisit de « commencer à écrire lui-même sa vie ». Les TIC n’ont rien d’autre à y faire qu’à être associées au mouvement en cours. Ce qui fait qu’elles sont parfois désignées comme responsables des difficultés d’autorité familiale, rendant plus facile une déculpabilisation, ou la désignation d’un bouc émissaire. On peut d’ailleurs rapprocher cela de cette oppositions signalée dans l’enquête de l’APEL quand on s’aperçoit que les parents pensent avoir pour eux même de l’autorité (86%), mais qu’ils désignent « les autres » parents comme n’en ayant pas assez (82%) (http://www.apel.fr/images/stories/Sondage_autorit.pdf). Ainsi les parents seraient-ils aussi peu clairvoyants sur l’autorité que sur les TIC. Fort heureusement, la méthodologie d’enquête va nous sauver. En effet il s’agit de la déclaration de parents à des sondeurs. Or on connaît suffisamment l’effet sondage pour ne pas y voir la volonté de faire bonne figure quelle que soit la réalité vécue. Et en même temps cela doit nous inquiéter, car cela révèle des « représentations sociales » dont il faut nous saisir. Ce grand écart parental n’est-il pas source de problèmes. Ne se retrouve-t-il pas aussi chez les enseignants (aussi bien comme professionnels que comme parents) ? La notion d’autorité est elle beaucoup plus présente dans la relation aux enfants en bas âge. Il semble que ce soit là que la dimension transactionnelle de l’autorité soit la plus compliquée (complexe ?) à installer. Les TIC interviennent peu, ou rarement dans ces cas là, le contrôle de l’usage des biens matériels reste largement possible tant que l’enfant n’a pas développé des stratégies de contournement sophistiquées, où qu’il n’est pas simplement délaissé devant la machine (mais alors le problème est ailleurs). Le cas des enfants qui ont des conduites obsessionnelles avec certains outils numériques entre aussi dans ces gammes d’interrogations. Là encore, les TIC sont davantage un analyseur, un indicateur, un révélateur qu’une cause en tant que telle.
Dans un monde libéral qui met en avant la « construction de soi », l’être « auteur de son parcours, de sa vie » comme valeur centrale, la notion d’autorité est fortement remise en cause. La lecture du livre de François Dubet « les places et les chances », (Seuil 2010) ainsi que d’autres mettent en évidence que c’est un contexte global qui se développe au sein du duquel les TIC sont emblématiques d’un potentiel nouveau. C’est pourquoi les TIC renouvellent largement la question de l’autorité dans tous les sens du terme et que le monde scolaire se trouve lui aussi en difficulté face à cela.
A suivre et à débattre
BD

2 Commentaires

  1. Je trouve cet article super et je me pose la question si cela est toujours d’actualité!

    1. Ce texte date de 2010, de fait, il peut y avoir eu des changements depuis.
      Pouvez vous préciser ?

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