Le numérique, quelles compétences pour enseigner ?

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En publiant le 18 juillet un arrêté sur les 10 compétences des enseignants (Bulletin Officiel n° 29 du 22 juillet 2010 – arrêté du 12-5-2010 – J.O. du 18-7-2010), le ministère de l’éducation a confirmé une impulsion concernant la place des TIC. L’analyse de la place faite au numérique dans ce document dépasse désormais le seul C2i2e qui était déjà précédemment la 8 è compétence. La plupart des autres compétences y font référence (C1, 4, 6, 7, 9, 10). Cette évolution confirme l’élargissement des TIC au delà de la sphère spécialisée et donc sa réelle prise en compte dans le quotidien du travail de l’enseignant et non pas comme un objet uniquement à part. Cette évolution significative mérite qu’on s’attarde sur le fond de la question en examinant chacune des références indiquée sur le site du ministère.
Le point central est celui de « l’usage » basé sur la maîtrise des TIC (compétences 8). Trois axes d’usage se dégagent : dans la classe, dans la relation professionnelle, et dans la formation/innovation. Quelles questions cela peut-il amener à se poser ?
– Celle de la pertinence d’usage : amener l’enseignant à savoir évaluer la pertinence des éléments d’un dispositif voire du dispositif complet pourrait permettre d’éviter les risques d’échec ou de décalage entre l’intention d’enseignement et l’objectif réellement atteint.
– Celle du rapport à la professionnalité : au moment où se développent la notion d’espace personnel d’apprentissage (EPA) on peut envisager que la formation institutionnelle ne suffise pas mais qu’il faille envisager d’aller au delà en amenant les enseignants à mettre en place ce que j’appellerai son « espace personnel de développement » (EPD), en l’envisageant aussi de manière non formelle (cette dimension étant peut-être implicite dans la notion de réseaux numériques professionnels).
– Celle de la compréhension des spécificités de l’apprentissage avec les TIC : l’évolution actuelle des sciences cognitives ainsi que des études sur les usages des TIC nous invitent à réfléchir aux évolutions dans les modes d’apprentissage induits par les usages des TIC.
– Celle de l’évolution de la culture des jeunes : les nouvelles pratiques, telles que celles décrites sous l’expression « m-learning », « apprentissage mobile », et au delà les pratiques sociales mobiles interrogent au quotidien les enseignants sur leur perception et leur compréhension des jeunes qu’ils accompagnent.
– Celle de la distance avec le monde extérieur au monde scolaire : L’industrie de l’enseignement est depuis longtemps formatée sur un modèle qui s’effrite progressivement, mais lentement. Les enseignants sont tiraillés entre les deux mondes dans lesquels ils opèrent au quotidien. La question de la continuité ou la rupture de ces mondes se pose de manière de plus en plus forte. Bien que maintenue par le carcan des diplômes nationaux, l’école et plus généralement le système scolaire et universitaire peut maintenir une distance, dont on sait qu’elle est fondamentalement souhaitable, mais qui ne doit pas organiser une fuite progressive vers la désorganisation qui serait préjudiciable au plus faibles.
Ces quelques questions invitent évidemment à interroger la notion de culture enseignante. Le risque de généralisation est grand, mais il faut bien reconnaître des spécificités liées aussi bien aux acteurs qu’au système et aux moyens matériels de mise en oeuvre. Ainsi le monde scolaire se trouve-t-il dérangé et tente-t-il, au travers de ces textes injonctifs (B2i, C2i etc…) d’y faire face. Il est probable que l’un des maillons manquants se situe au niveau de la dynamique locale, celle de l’établissement, voire du réseau d’établissement. Ainsi dans l’établissement primaire, la tentation de la délégation de la question au spécialiste continue-t-elle de faire des ravages. Dans l’enseignement secondaire, ce risque est moindre, car il est assumé jusqu’au plus haut niveau des responsables de l’écriture des programmes et ce aussi bien dans le sens de cette évolution que dans le sens contraire. C’est en particulier dans le volet évaluatif que les choses sont les plus ardues. La représentation sociale de l’évaluation scolaire est un des éléments clés de l’usage des TIC en éducation. D’une part l’écart entre les modes d’évaluation certificative et les pratiques sociales des TIC est resté très fort (bien qu’il ait connu des évolutions dans certaines disciplines). Les tentatives dans le champ des TIC (B2i par exemple) brillent par les freins constatés. Mais parce que en changeant le mode d’évaluation, on induisait un changement de mode d’enseignement (et non pas le mode d’apprentissage des élèves) ne pas aller dans cette direction n’a pas eu de conséquences, pour l’instant. La collusion implicite entre les enseignants et les familles, relayée par de nombreux médias (rappelons nous la confusion entre évaluation et bulletin de note, voire sanction lors de la mise en place d’une évaluation du travail des ministres il y a deux ans) dans le domaine de l’évaluation ne facilite pas les choses, de même que les évaluations internationales. Ce que celles-ci montrent le mieux, c’est que c’est au niveau local que la responsabilisation des acteurs permet une meilleure réussite au contraire d’une injonction nationale. Dans le domaine des TIC, on l’observe souvent, dans un contexte encourageant et accompagnant, autour d’axes de développement partagés, les équipes évoluent parfois rapidement mais jamais unanimement.
La volonté politique de former les enseignants et d’encadrer cette formation aux TIC a été largement initiée à partir de 2004 par la création du C2i2e. Pourtant on remarque que la récente évolution de la formation initiale des enseignants ne va pas dans le sens de l’usage des TIC. Il est possible que dans ce domaine des TIC  aussi (voire même en prenant exemple sur celui-ci) n’émerge une nouvelle conception de la formation des adultes qui ferait échos à certains travaux de recherches sur la didactique professionnelle : Il est davantage nécessaire d’amener les enseignants à construire leurs connaissances et leurs compétences en contexte d’activité qu’en contexte de formation car cela serait beaucoup plus efficace et adapté aux contextes de travail. On peut même penser que cette conception soit déjà beaucoup plus puissante qu’elle n’apparaît, tant le système formel est lourd, et qu’elle tend à se développer de manière sauvage. D’ailleurs certains formateurs, rejetés par les enseignants après des stages ou des interventions, ne sont pas loin de penser que dans les faits ils ont déjà perdu. Les analyses de l’écart entre le prescrit et le réel ou encore entre les notions de curriculum caché viennent peut-être alimenter cette option nouvelle, qui pourrait d’ailleurs aussi s’emparer du courant de l’autoformation comme justification. Mais on le sait aussi des conceptions idéologiques en s’emparant de ces courants de recherche peuvent aussi les détourner en vue de servir une cause politique qui aurait une toute autre intention, économique, par exemple.
A débattre
BD

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  1. La question de la formation des enseignants aux usages du numérique ne se complique-t-elle pas de ce ces technologies et les possibilitès qu’elles offrent se développent en constante accélération. Il devient difficile de penser une stratégie de formation pour tel ou tel objet quand celui-ci se révèle, si ce n’est obsolète, du moins rapidement décalé. Je crois cependant qu’une formation est possible qui permettrait aux enseignants d’être à l’écoute d’un environnement plus que d’attendre un ensemble de solutions à mettre en place.
    Il est incontestable que ni l’institution, ni ses personnels n’ont cette culture c’est pourquoi la solution réside probablement plus, comme vous le suggérez, dans l’initiative locale et les réseaux d’individus ou d’établissements que dans une politique concertée au niveau national.

    • bruno sur 14 septembre 2010 à 14:44
    • Répondre

    test ne pas tenir compte

    1. merci de ton test merci bruno

  2. Test pour BD

    1. merci de ton test

    • Filca sur 25 septembre 2010 à 22:13
    • Répondre

    Très bon article, mais qui amène cependant quelques observations. Avant d’envisager les compétences nécessaires pour enseigner le numérique, il faut poser la question de l’équipement. Une classe par école, quelques salles par établissement pour le collège. Déjà, la donne permet à beaucoup d’échapper à votre problématique (pour leur plus grand malheur, ou leur meilleur soulagement !). Un second niveau est celui du prescripteur. Utiliser quels outils ? Le prescripteur est souvent le supérieur hiérarchique qui n’utilisera pas cet outil, ou des spécialistes auto-formés qui ont surtout fuit la classe. S’ils ont un réel savoir faire, il leur manque souvent une culture technique et un sens de la veille technologique qui aurait pu leur apprendre l’existence des nouveaux outils ou des nouvelles pratiques… En outre, vous n’êtes pas sans savoir que les nouveaux enseignants n’ont pas besoin de formation. Pour les « anciens », la formation professionnelle est réduite comme peau de chagrin… IL demeure donc l’auto-formation sauvage. Mais comment découvrir ce que l’on ne connaît pas… Et c’est ainsi que les injonctions paradoxales du Ministère aboutissent à des pratiques schizophrénique d’évaluation (B2i, c2i, etc.). Autrement dit, chacun bricole dans son coin et les élèves, goguenard, observe les résultats.

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