Vers un système éducatif modulaire, accompagnant et structurant ! une école 2012 ?

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L’évolution actuelle des modes de vie privée et publique, des modes d’information et de communication a été particulièrement importante au cours des quarante dernières années. Il serait trop long ici d’énumérer tous ces changement, micro ou macro, au rang desquels les TIC ne sont qu’une des composantes, et pas des moindres, mais pas la seule. En effet quand on parle des TIC et du système scolaire on a souvent tendance à penser cette question indépendamment des autres évolutions et changements. Au rang de ces autres changements, on peut aussi bien citer la notion de famille que celle de parentalité, la notion de bien être comme celle de profit personnel, la notion de religion comme celle d’idéologie etc… La liste est longue. C’est probablement l’ensemble de ces évolutions qui, articulées avec le développement des TIC (considérées ici surtout comme un vecteur de ces changements et aussi un environnement qui les potentialise) doivent être prises en compte. Les chercheurs du domaine oublient d’ailleurs trop souvent cette approche systémique pour analyser les problèmes posés par les seules TIC, cela amenant à interroger/modérer la validité de leurs conclusions.
Faire face à des tels changements, quand on observe, de manière toute aussi systémique les résistances à ces changements, suppose de ne pas se laisser emporter par l’une des deux tendances lourdes sous-jacentes. Une observation externe (en tant que chercheur) et interne (en tant que formateur) nous amène à poser quelques constats et à en extraire des éléments d’action possibles. Le premier de ces constats porte sur les liens et les articulations entre les différents éléments du contexte. A trop isoler les TIC comme facteur modificateur de la culture, on en a oublié que la complexité de la vie de l’humain s’exprime de manière variée et que si l’une des caractéristiques essentielles de l’humain est la parole, les autres caractéristiques n’en sont pas moins influentes (corps, technique, art, alimentation, etc…)
Ce que l’on appelle la fin des idéologies n’est en fait que la victoire (temporaire) de l’une d’elle. Mais la particularité de celle-ci est justement de ne pas apparaître comme telle. Parce qu’elle a permis à certains de s’affranchir des contraintes externes (morale, contraintes, argent…) elle a affaibli (au niveau de l’idée) toute possibilité d’accepter quelque contrainte que ce soit. Autrement dit l’idéologie en cours repose sur l’idée de la libre construction de soi. Sartre en écrivant « les jeux sont faits » laissait une lueur d’espoir à chacun mais renvoyait en même temps chacun à sa responsabilité historique d’infléchir un temps soit peu la destinée. Chacun serait désormais libre au sein d’un environnement social qui fait tout pour rendre possible cette liberté. L’habileté de ce système est de faire disparaître l’idée de contrainte et de donner au mot « potentiel » et « virtuel » une force que chacun doit intégrer. Un imaginaire basé sur l’individu, maître de sa direction, se substituerait donc à un autre basé sur le collectif et son poids de contraintes sur chacun (que ce soient les évangiles ou le manifeste du parti communiste).
La famille est une entité dont la forme change très rapidement depuis un demi-siècle. Ce sont en premier lieu les liens issus des idéologies et religions qui se diluent. C’est ensuite le développement de techniques de contrôle de la procréation qui changent le regard et les contraintes de la relation humaine (parents, enfants, fratries etc…). La précarisation des liens humains et familiaux (qui eux mêmes succédaient aux liens tribaux) introduit des changements dans les relations humaines : de nouvelles (dis) symétries se font jour, la précarisation des liens est plus forte, l’historicité individuelle est moins linéaire. Même si ces évolutions ne sont pas totalement généralisées, elles se banalisent
Voici donc deux exemples qui, mis en système avec le développement des TIC, apportent un complément pour comprendre ce qui se passe et la nécessité pour le système scolaire de se resituer ou tout au moins de comprendre les rôles qu’il peut jouer en respectant ses fondamentaux. La principale conséquence de ces évolutions est de redonner de la place au sujet dans la construction de son parcours, mais aussi de lui fournir un environnement le lui permettant (Internet en est l’exemple le plus évident). Or les jeunes, parce qu’ils sont « nés avec » s’emparent de ces opportunités sans même les analyser (ce qui est logique de la part d’un jeune), tandis que les plus anciens tentent de mettre à distance cet environnement, en déclarant le maîtriser, ou le refuser, voire le réglementer (ce qui est logique de la part des adultes). Mais ce sont les adultes d’aujourd’hui qui ont créé cet environnement pour demain. Et bien plus qu’il y a cinquante années, les règles que posent les adultes sont a priori rejetées, elles n’appartiennent pas aux règles séculaires que ces adultes ont connu (la religion, l’ordre républicain etc…) et qui leur fait penser que leurs proposition sont encore acceptables par les jeunes.
L’étonnante insistance du monde scolaire et universitaire à ne pas reconnaître « les maîtrises » par les jeunes de ces technologies se double de la multiplication des études pour montrer l’attitude des jeunes face « aux risques et aux dangers d’Internet ». L’attitude du monde adulte est d’autant plus intéressante à analyser qu’elle s’approche pourtant de plus en plus de lui. En effet on observe, à l’instar de nombreux  sociologues, que si les pratiques culturelles sont désormais de plus en plus métissées entre les classes, on observe qu’elles le sont aussi de plus en plus souvent entre les générations. La porosité culturelle est une donne nouvelle de notre société contemporaine, elle touche aussi le numérique (informatique, téléphonie etc…). L’impression d’une perte de contrôle du monde adulte sur un environnement qu’il a créé se traduit donc par une tentative de « normalisation » et l’école est bien évidemment invitée à s’en faire le vecteur. Mais cela ne marche pas autant que certains l’espèrent : d’une part les enseignants sont des « usagers bien ordinaires » et d’autre part les modèles de scolarisation des TIC sont pour en décalage avec la culture scolaire : le b2i a été marginalisé car pas assez contraignant, l’option informatique a été écartée parce que élitiste, la nouvelle option de terminale va aussi se ranger au rang d’un nouvel élitisme ou d’un exotisme. Cela est d’autant plus dommage que des options plus discrètes sont abandonnées ou marginalisées alors qu’elles associaient le numérique avec d’autres discipline au lieu d’en faire un objet à part.
Au moment où Philippe Carré, André Moisan et Daniel Poisson nous alertent à nouveau sur l’autoformation (Puf 2010) on peut observer que le monde scolaire a encore un travail important à faire pour accepter les nouvelles pratiques que le monde numérique invite à développer, à l’instar des nouvelles perspectives de vie en société jadis montrées par Joffre Dumazedier. Parce que le déjà là de la culture numérique des jeunes renvoie davantage au modèle de l’autoformation voire de l’autodidaxie, le monde académique tente de la marginaliser sous cette forme pour y substituer un « ordre numérique établi ». Ce que les jeunes et bien des adultes avec attendent du système éducatif c’est qu’il devienne capable, non pas de normaliser et formater les esprits (ce qu’il sait parfaitement faire tout en s’en défendant) mais d’accompagner les pratiques pour permettre à ceux qui les portent de leur donner sens et de les inscrire dans une analyse critique. C’est ce que nous appelons une pédagogie de l’accompagnement structurant. Or cette pédagogie impose de passer des seules certitudes instituées à une capacité d’analyse et de Co-construction de sens, vigilance de toute l’instance et dialogue constant avec les jeunes mais aussi l’ensemble du monde environnant. C’est aussi pouvoir s’affranchir de programmes et autres cadres trop rigide au profit d’un cadrage souple et responsabilisant à l’intérieur duquel il soit possible d’accompagner réellement des apprentissages en les orientant sans les enfermer dans des logiques souvent trop abstraites ou institutionnelles. La pédagogie Freinet n’est probablement pas loin ici, mais c’est aussi d’autres éléments qui interrogent et qui invitent à réfléchir à nouveau à la place à donner à la culture numérique dans l’éducation, l’enseignement, la formation…
A suivre et à débattre
BD

3 Commentaires

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    • Claudine sur 7 février 2011 à 11:04
    • Répondre

    je vous cite :
    cette pédagogie impose de passer des seules certitudes instituées à une capacité d’analyse et de Co-construction de sens, vigilance de toute l’instance et dialogue constant avec les jeunes mais aussi l’ensemble du monde environnant.
    Je me demande comment développer la capacité d’analyse alors même que tout est fait pour brider l’imagination, la recherche. Toutes les matières qui sont dites « pédagogie de la découverte » que ce soit SVT, techno, Physique, n’amènent en fait les élèves qu’à refaire les expériences d’un manuel, sans aucune découverte.

    • Marc SOHIER sur 11 février 2011 à 19:22
    • Répondre

    le monde de l’enseignement a bien du souci à se faire s’il reste figé devant ces nouveaux enjeux ! la culture numérique des jeunes – qui renvoie à un modèle d’autoformation ou d’autodidaxie si j’ai bien saisi l’article de Bruno Devauchelle – semble briser le lien transgénérationnel et traditionnel qu’est celui de la transmission du savoir. Nous sommes donc entrés de plein pied dans le monde de la complexité et du paradoxe, donc du chaos. les nouveaux enjeux qui s’offrent à nous – formateurs, enseignants et certainement parents – relèvent de la vision et du sens.Il s’agit dès aujourd’hui de faire fructifier notre capacité à produire de l’intelligence collective -physiquement ou virtuellement et avec les jeunes eux-mêmes – pour accompagner ce mouvement et peut-être anticiper sur d’autres formes d’apprentissage. Si la question de l’acquisition des connaissances semble en voie d’être expliquée par ces nouvelles formes culturelles (cela me fait penser au paradigme de l’énaction, concept cher à Francisco Varela), nous devrons encore plus nous préoccuper du processus d’acquisition lui-même (c’était pourtant bien la fonction première du « pédagogue » – mais néanmoins esclave (…) chez les Anciens Grecs – celui qui accompagnait les enfants sur le chemin de l’école ; ce qui laisse un bel avenir à ceux qui ont pour mission de former et d’éduquer…. à condition qu’ils puissent adopter de vrais postures d’accompagnateurs du savoir et non plus uniquement et simplement de transmetteurs.

  1. Bonjour,
    Je suis entièrement d’accord avec votre conclusion.
    « Or cette pédagogie impose de passer des seules certitudes instituées à une capacité d’analyse et de Co-construction de sens, vigilance de toute l’instance et dialogue constant avec les jeunes mais aussi l’ensemble du monde environnant. » : c’est le noeud d’une formation des enseignants, mais cela va déstabiliser la corporation et sa routinepédagogique.

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