L'année des tablettes… ou des smartphones ?

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Si l’on suit l’actualité des TIC, force est de constater que le développement rapide et mouvementé du marché des tablettes et des smartphones ne laissera pas longtemps le monde scolaire et universitaire indifférent. Non pas que ces nouvelles machines vont d’un seul coup révolutionner la pédagogie et renverser de leur chair les enseignants, mais parce que les discours sur, pour ou contre vont se multiplier comme le montrent quelques exemples trouvé ici et là récemment :
http://videos.arte.tv/fr/videos/quand_le_smartphone_remplace_le_manuel_-3713892.html
http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/les-tablettes-tactiles-dans-l%E2%80%99enseignement-premieres-etudes-49.htm
http://www.educnet.education.fr/dossier/tablette-tactile
http://www.revue-reseau-tic.net/Tablettes-smartphones-ou.html
http://enseignement.educa.ch/fr/apprentissage-mobile
http://enseignement.educa.ch/fr/lipad-classe
Le concept d’apprentissage mobile, nomade (m-learning !!!) est en train de se populariser et de générer les discours emphatiques (ou catastrophistes) habituels aux innovations (cf. les serious game, TBI, ENT et autre FOAD). Tenter de prendre un peu de distance c’est aussi tenter d’éclairer certains aspects que recouvre cette évolution en ce moment. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut cependant dégager quelques questionnements, quelques points à prendre en compte.
– Le premier point à prendre en compte est la concurrence entre tablette et smartphone.
Si la tablette supplante les netbook et les PC portables dans les achats à venir, elle n’est pas aussi populaire que les smartphones, chez les adultes et plus encore chez les jeunes. Dans le monde scolaire le smartphone n’a pas droit de cité à cause de sa fonction téléphone et SMS qui est redoutée et donc en grande partie interdite dans les règlements intérieurs. La tablette séduit les adultes. D’abord parce que la communauté des amateurs d’Apple a réussi à essaimer au delà de ses rangs habituels avec l’Ipad; objet emblématique d’une certaine modernité. Les iPhone sont désormais sérieusement concurrencés et les prix des concurrents (les chiffres en attestent) ont permis le développement de ces machines au delà du cercle des initiés. L’objet smartphone supplante progressivement l’objet iPhone. Du coté des tablettes, l’engouement en particulier des innovateurs dans le monde scolaire vient aussi de leur souplesse d’utilisation : mise en route immédiate, durée d’autonomie, ergonomie générale du produit. Cependant et paradoxalement, ce qui séduit aussi c’est qu’un contrôle par l’enseignant d’une tablette est plus aisé qu’un smartphone. Chez les jeunes, la tablette est un gadget qui ne trouve pas facilement de place si l’on dispose déjà d’un ordinateur. Par contre l’élargissement des fonctions du téléphone dans le smartphone est très attirant pour les jeunes. Ils augmentent simplement les capacités d’usage d’une machine que pour la plupart ils possèdent déjà. Tablette pour les adultes, smartphone pour les jeunes : concurrence ? Complémentarité ?
– Le deuxième point est la concurrence entre PC et tablette
La quasi totalité des jeunes scolarisés dans le secondaire ont accès à un ordinateur en dehors de l’établissement scolaire. Dans le monde scolaire, hormis quelques équipements ponctuels, les tablettes sont encore bien loin de se substituer aux ordinateurs. Et puis les tablettes n’ont pas (initialement) de clavier. Or dans le monde scolaire la production d’écrits numériques a désormais une tradition bien ancrée d’usage du clavier mécanique. De plus la plupart des jeunes ont fait leurs premières armes dactylographiques sur ces claviers. A la maison, les jeunes qui ont accès à un ordinateur ne sont pas tentés d’aller vers une tablette dont l’usage leur semble plus restreint et n’a pas encore les possibilités (en particulier ludiques) de l’ordinateur de bureau ou portable. Dans le monde scolaire, les applications pédagogiques n’ont pas encore migrées sur les tablettes.
On peut se demander si la tablette a une place à trouver en troisième machine, ou si elle peut se substituer à l’ordinateur ? Les prix comparables à un petit netbook en font un objet de désir, mais répond-elle aux besoins des usagers ? Les arguments de vente initiaux étaient plutôt centrés sur la consommation en flux de contenus que sur la production, d’autant plus qu’il y avait un rapprochement avec les ebook à écran à encre électronique qui parasitait la communication. L’apparition de machines mixtes, ou de périphériques (clavier etc…) modifie la perception de ces machines et en fait progressivement une alternative aux ordinateurs traditionnels. N’oublions pas que cette évolution s’inscrit dans la continuité de projets de la fin des années 1990, autour des terminaux mobiles de toutes sortes puis des ordinateurs portables à écrans tactiles (tablet PC). On oublie trop souvent que le pilotage au doigt n’est pas une nouveauté, c’est la fluidité et la souplesse qui est la réelle nouveauté. La convergence PC tablette est en cours, dans les deux sens. Reste évidemment la question des applications et dans ce domaine des évolutions sont à envisager.
– Le troisième point, indirect, est la concurrence entre web et applications propriétaires
Le développement des smartphone et des tablettes à généré une nouvelle manière d’accéder à des outils logiciels et des ressources d’information. Le web, auquel on accède avec le navigateur est remplacé par de petites applications qui utilisent le réseau mais écartent l’usager du web. Entre le logiciel totalement local, le logiciel qui accède à des ressources distantes, et le logiciel accessible à partir du seul navigateur, la concurrence est vive et les différences importantes. Il s’agit aussi bien de faciliter les usages que de capter des usagers. L’ergonomie des applications web est parfois lourde et laborieuse, surtout si la liaison est peu fiable. Cette concurrence ne facilite pas la vie du monde scolaire qui se trouve pris dans une multitude d’offres, pas toujours compatibles entre elles. Il est vrai que le marché actuel et ses rivalités est davantage celui de la vie privée que celui du monde scolaire. De plus l’offre scolaire en matière de logiciel pour ces tablettes et smartphone reste très réduite en regard de celles pour PC. La tendance qui risque de se développer c’est qu’avec les tablettes et les smartphones, l’utilisation pédagogique ne se déplace de plus en plus vers l’accès aux informations, de manière ouverte par le web ou fermé par des applications dédiées, auxquelles s’ajouteraient les habituelles communications interpersonnelles sur les réseaux sociaux.
– le quatrième point, et probablement le plus important pour nous, concerne le potentiel pédagogique et didactique de ces outils et de leurs usages scolaires et non scolaires.
La croyance répandue d’un potentiel de changement pédagogique des TIC est encore suffisamment vivace dans les esprits et aussi dans de nombreux propos pour ne pas être dénoncée ici. Le potentiel pédagogique et didactique du numérique est d’abord et avant tout un soutien potentiel à l’évolution pédagogique et didactique. Si les TIC ne changent pas la pédagogie et n’améliorent pas les résultats des élèves, alors à quoi bon s’escrimer à les utiliser dans la classe. Les TIC ne changeront jamais la pédagogie, mais la pédagogie et la didactique sont obligées d’évoluer à cause des TIC. Tablettes et smartphone sont en train d’inviter à des évolutions importantes : par exemple la révolution de l’évaluation peut s’appuyer sur le fait que les TIC, si elles sont présentes en proximité des élèves tout le temps, rendent absurdes une grande partie des modalités d’évaluation. De même, elles invitent à déplacer complètement le rapport aux sources des documents, non seulement parce qu’elles sont directement accessibles, mais aussi parce que désormais on se doit de les mettre en question avant même d’y avoir accès. Enfin si l’on considère les pratiques d’échange et de mutualisation spontanées entre les jeunes avec les TIC, pourra-t-on continuer longtemps encore conserver des salles de classes composées de tables, de chaises, en rang d’oignon, avec un bureau et un tableau en face ?
Au delà des gadgets, smartphones et tablettes sont déjà en train de semer le trouble, encore un peu plus que ne l’ont fait les ordinateurs et internet. En fait ils se rapprochent de plus en plus de chacun, c’est à dire qu’ils développent une nouvelle intimité que les premiers propos sur l’extimité avaient laissé envisager, mais d’une autre manière. Plutôt que de s’exposer en public, c’est plutôt le mouvement inverse qui se produit, les machines collent de plus en plus à la peau !
A suivre et à débattre
BD

3 Commentaires

3 pings

  1. Texte fort utile à la discussion. C’est bien cette année que dans notre école le futur de l’informatisation et digitalisation sera discuté. Ce texte apporte clairement qqs idées. Merci.

  2. Bonjour,
    excellent cadre de discussion que ce texte.
    Tout à fait d’accord sur le questionnement pédagogique. Je trouve également tout à fait juste le positionnement relatif du smartphone et de la tablette.
    Par contre, plutôt que de parler de concurrence entre smartphone, tablette et PC, il me semble qu’il vaut mieux réfléchir en termes de complémentarité. En termes de fonctionnalités, d’usages, et aussi de positionnement entre les sphère privé/public. Ce qui me semble intéressant dans l’arrivée des tablettes, c’est justement ce positionnement en cours de cet objet qui permet de se reposer quelques questions.
    Par ailleurs, on voit bien que les frontières entre les équipements se redessinent très vite. La tablette devient gros smartphone, le PC devient tablette avec clavier. Quel est le souhaitable pour la sphère éducation ?
    La prochaine évolution sera ambiante : une collaboration plus étroite entre des équipements proches.

    1. Vous avez tout à fait raison, il s’agit bien sur de la continuité qui se met en place au lieu de la concurrence. J’ai utilisé la concurrence comme cadre de départ car c’est souvent un moyen pour nous faire croire à de la nouveauté dès qu’un nouveau produit apparaît et donc nous le faire acheter comme dernière « perle ».
      D’accord avec vous sur la collaboration entre équipements proches, mais il me semble qu’il y a aussi des zones de recouvrement qui vont, selon les utilisateurs être différentes. On peut dans une certaine mesure parler de concurrence, mais simplement pour chaque utilisateur qui doit réfléchir à la pertinence de l’outil en fonction de ses besoins.

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