La personnification : une dérive médiatique

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A propos de tel ou tel évènement on peut lire dans la presse des expressions comme « Internet se lâche», « twitter et facebook en ébullition », « la toile émue » etc… Ces propos doivent d’autant plus nous questionner qu’ils s’appliquent à des faits dont certains concernent des humains (un décès, un mariage, une naissance etc…) ou parfois pas (une faillite, un nouveau produit etc…). Cette vision anthropocentrée de la réalité me semblait désormais éloignée des pratiques journalistiques et plus largement des réflexions ordinaires sur les évènements. Mais en fait l’idée de transformer les objets en humain n’est que la suite logique de la tentation d’humanisation de ceux que Michel Serres nous rappelait que l’on devrait nommer des « automates génétiques », les animaux.
La dérive médiatique qui consiste à parler de tel ou tel objet comme si c’était un humain est un procédé de manipulation inconscient des esprits et en même temps une sorte de vulgate médiatique. Manipulation, car le procédé efface les vrais humains derrière un humain imaginaire représenté par l’objet technique qui leur permet d’exister. Autrement dit c’est une façon de nier aux humains qui écrivent le droit d’être humain individuellement, ils deviennent des humains collectifs, dépassés par les techniques qu’ils utilisent. C’est une manipulation car le lecteur ignorant de ce procédé va être tenté de suivre l’auteur de ces propos et de globaliser sa lecture d’un phénomène. C’est aussi une vulgate médiatique, issue en particulier d’une pensée chère à de nombreux acteurs des médias de masse, qui consiste à éloigner Internet, et ses nombreux avatars, en l’enfermant dans une image globale et déformée. La lutte entre les médias de masse et les médias collectifs est illustrée clairement ici.
En termes d’éducation, ce questionnement doit nous amener à réfléchir et faire réfléchir sur toutes les globalisations et les processus de globalisation de la pensée humaine au travers des médias. Les médias de masse, parce qu’ils sont basés sur la diffusion de masse ont transformé chacun de nous en un « objet » le téléspectateur, l’auditeur etc… Lorsque vous êtes dans un studio de radio ou de télévision, vous êtes effectivement face à des objets techniques, micros, studio … qui effacent celui ou celle qui quelque part écoute, regarde. Du coup, pour le faire exister, on crée un être théorique qui est censé représenté tous ceux qui sont dans la même situation.
La particularité d’Internet c’est de rendre possible l’existence de chacun de nous dans l’espace médiatique. Mais pour exister, il faut développer des activités qui prouvent cette existence. L’exemple déjà ancien du formidable développement des blogs d’adolescents illustre assez bien cette tentative. Mais la suite a montré que l’outil blog avait quelques défauts par rapport à la possibilité d’exister : faire vivre un blog cela demande de la persistance, de la réflexion, une thématique etc… Du coup si l’on dénombrait des milliers de blogs créés chaque jour on oubliait de dénombrer ceux qui n’avaient qu’une page et qui n’étaient jamais actualisé. L’arrivée des réseaux sociaux a redonné de l’espoir. Un réseau comme Facebook permet à chacun de « centraliser » sa communication/consommation d’Internet. L’existence en ligne peut ne passer que par un seul vecteur. La proximité information/communication de ces réseaux sociaux facilite l’accès de chacun et en particulier des plus jeunes car l’exigence d’écriture est moindre que le blog traditionnel et l’interaction beaucoup plus présente. En effet sur ces réseaux, l’activité des uns et des autres fait que votre page d’accueil n’est jamais vide, même si ce qui la remplit est d’intérêt très relatif. Alors que sur le blog, l’interaction est beaucoup plus difficile à générer.
Cette facilité d’existence en ligne et la rapidité de réaction rendue possible par l’outil favorise des comportements moutonniers. On n’est pas obligé de réfléchir pour réagir puisque rien que de cliquer sur le bouton « j’aime » me fait exister et si je ne suis pas seul à cliquer sur ce bouton, je deviens un membre de la communauté de ceux qui « aiment ça ! ». C’est là que commence la globalisation et donc que disparaît la personne. Car ce qui se passe c’est que d’une personnalisation possible, nous arrivons à une personnification d’un objet technique et donc à l’effacement du sujet qui pense. Nous nous soumettons facilement à cela car en retour on peut avoir l’impression d’être devenu important : je fais partie de ceux qui sont nommés dans le propos global. Nous avons un phénomène qui se rapproche des phénomènes de foules et des phénomènes de rumeur. Les récentes manifestations lycéennes à propos d’un bruit de modification de calendrier de vacances scolaires illustrent cette évolution. La diffusion rapide sur les réseaux sociaux d’une interprétation trop rapide d’un texte non officiel (un rapport) et donc non prescriptif a permis le développement d’une action de foule. Le danger que l’on voit émerger c’est l’absence de réflexion personnelle au profit d’une émotion collective. Jacques Ellul disait nous passons d’une époque de la réflexion à une époque du réflexe s’illustre bien ici.
L’éducateur ne peut que déplorer ce genre d’évènement. Aurait-il perdu la main sur ceux dont il a la responsabilité ? Pas forcément si l’on considère que cela n’est pas très nouveau dans les sociétés humaines. Cependant on peut espérer que le développement des technologies de l’information et de la communication ne soit pas l’occasion de redonner une domination à l’ignorance. Malheureusement il semble qu’au contraire les technologies les plus récentes, à l’instar des plus anciennes, comme le montraient Marie France Kouloumdjian et Pierre Babin dans leur ouvrage « les nouveaux modes de comprendre » en 1980 à propos de la télévision, nécessitent une vigilance éducative accrue et différente de celle de nos parents. Cette nécessité de vigilance tient en particulier au fait que la rapidité de diffusion de l’information, sa circulation, sa transformation a fortement augmenté et que les points de contrôles se sont déplacés de quelques cercles centraux (responsables médiatiques, enseignants, politiques) vers chacun de nous. En d’autres termes, l’absence d’intermédiaires humains en charge de ces transmission et partage impose une éducation, une formation beaucoup plus rigoureuse à la compréhension de l’environnement humain. Malheureusement ce que l’on nous propose d’abord c’est l’étude de notre environnement technique. Normal ce sont désormais des personnes comme les autres… dans les médias…
A suivre et à débattre
BD

1 Commentaire

  1. test

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