Des environnements scolaires inadaptés… aux TICE

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Les changements dans quelque milieu humain que ce soit se font rarement sans intégrer l’environnement. Changer, ce serait accepter que ce qui est installé soit remis en question. On s’aperçoit, lorsque l’on propose un changement à des équipes, qu’elles mettent le plus souvent en avant l’environnement comme principal frein à cette évolution et non pas leur propre façons d’agir. Même si l’on sait que les changements ne se font pas non plus sans un travail des acteurs sur eux-mêmes (souvent lent et coûteux surtout psychologiquement) la place prise par l’ensemble des composantes environnementales d’un milieu sont aussi un des freins au changement. Les sociologues de l’innovation mettent presque au même rang, les humains, les objets techniques, les relations dispositives (organisées de manière formelle ou informelle dans un cadre prévu) entre humains et objets. Chacune des composantes intervient parfois avec la même force dans les processus de changement ou de non changement
Depuis le début des années 1980, première époque de proposition volontariste d’introduction des TIC dans l’enseignement, on peut observer ce phénomène et l’analyser. La notion de salle dédiée a été un des premiers modèles d’environnement proposé aux établissements. Si dans l’enseignement professionnel et technique cela allait de soi, du fait même de la nature des enseignements, dans l’enseignement général ce type d’organisation a été mis en balance, en particulier en primaire avec l’idée d’ordinateur dans la salle de classe traditionnelle. Outre que dans tous ces cas, c’est le modèle de la salle qui est commun comme lieu d’enseignement, c’est la manière de penser la relation entre l’environnement scolaire global et l’arrivée d’un « intrus » qui est posée. Dans cette première époque, celle de l’ordinateur individuel, on cherche à situer l’informatique dans l’enseignement, soit comme objet d’enseignement (la salle dédiée) soit comme moyen d’enseignement (l’ordinateur dans la salle de classe). Au delà des tenants de ces réflexions, il y a d’autres contraintes environnementales qui pèsent comme celle de la sécurité des matériels, l’installation électrique, la gestion des locaux dans l’établissement scolaire.
Finalement on peut remarquer que si l’environnement scolaire a peu été capable de se reconfigurer en fonction des possibilités offertes par le numérique, ce sont les concepteurs de ces produits et dispositifs qui ont trouvé la solution : ne changez rien à vos environnements, le numérique est dans la poche de chacun de nous. Ce qu’il reste à faire : changer les manières de faire enseignement avec cette situation nouvelle, et pour l’instant on ne voit pas vraiment les choses évoluer, même si Monsieur Fourgous en rêve… mais au fond, lui aussi rêve d’école (avec une pédagogie numérique) mais pas vraiment d’une nouvelle vision de l’accès aux savoirs dans une ère numérique, et il est probable que sa proposition se révèle bien limitée… au seul monde scolaire, lui même inadapté dans ses infrastructures.
On rétorquera que les concepteurs n’ont pas de vision scolaire ni même éducative liée à leurs outils. L’histoire déjà longue des technologies du son et de l’image révèle pourtant que dès les premiers temps la dimension pédagogique et éducative était présente. Les lieux de cultes catholiques sont des illustrations de cette volonté éducatrice et pédagogique incluse dans les supports, l’environnement de la pratique religieuse. Or l’école du XXIe siècle tire une bonne partie de sa forme de cette forme religieuse. Mais l’adéquation entre l’environnement (ici scolaire ou religieux) et ce qui est agit dans cet environnement a progressivement disparu par une sorte de mouvement de fossilisation qui a accompagné le passage du modèle individualisé au modèle collectif, industriel de l’accès à la connaissance. Si l’intention éducative n’est pas toujours explicitement formulée par les concepteurs, force est de reconnaître qu’ils investissent rapidement l’idée scolaire de leurs outils. Si cela est parfois de manière indirecte, cette intention scolaire et plus largement éducative est bien présente.
Ce sur quoi butent les concepteurs des outils numériques c’est l’organisation de l’environnement scolaire. Ils s’en rendent plus ou moins rapidement compte et en tirent les conséquences comme l’a fait IBM à partir de 1990, au moins en France et dans le primaire et le secondaire dont il est aujourd’hui absent des salles de classes. On s’aperçoit aussi que certaines offres sont directement formatées pour l’école, comme le TBI/TNI, même s’ils ne sont pas originellement conçus pour ce seul milieu. Mais l’exemple du TBI montre une belle adéquation (au moins pour le coté expositif, pilotage centralisé de la classe) entre une culture pédagogique, celle des enseignants, une technique et un environnement scolaire qu’il ne dérange pas, et dont on peut même dire qu’il y ait le plus souvent bien adapté (même si des problèmes d’ombres, de plafonds etc… sont récurrents). Mais dès qu’un dispositif numérique dérange l’ordonnancement scolaire, il est sommé de faire la preuve de son efficacité….
Si l’on observe l’organisation du travail enseignant, on s’aperçoit que, pour que l’on puisse modifier l’organisation de leur temps de travail, il faudra repenser l’organisation des locaux, entre autres. Imaginer la fusion primaire collège se heurte à des problèmes de cette nature. Proposer que le temps des enseignants dans l’établissement soit plus long supposerait des locaux nouveaux permettant des formes de travail différentes de celles en place (bureaux, etc…). D’ailleurs le monde scolaire est prompt à fournir les preuves de cette inadéquation globale. Il faut cependant nuancer notre propos en évoquant le fait que l’environnement scolaire correspond à une certaine idée de la scolarisation, ses finalités, ses usagers. En d’autres termes, l’environnement scolaire est particulièrement adapté à ceux qui y réussissent le mieux. Or pour réussir scolairement, il n’y a pas besoin (dans la plus grande part) de donner une place aux TIC. C’est donc bien une inadéquation entre le cadre et l’objet qu’il faut dénoncer aujourd’hui. De nombreuses initiatives ont pourtant donné des pistes de travail mais, au nom d’une vision jacobine, centralisatrice et généralisatrice, seule ce qui peut se généraliser est bien considéré. Et si l’un des premiers enseignements de tenter années de développement du numérique dans l’enseignement scolaire n’était pas simplement là : ouvrir la porte aux initiatives, mêmes modestes, mêmes peu étendues, mais dans lesquelles on peut observer une adéquation entre l’environnement et l’objet de l’initiative. Voilà peut-être un critère de lecture nouveau des usages du numérique qui permettrait, comme le suggérait récemment Daniel Peraya de penser les usages du numériques sans y associer la volonté de généraliser, de normaliser, d’imposer…
A suivre et à débattre
BD

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    • Guillaume HAMON sur 19 octobre 2011 à 15:09
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    Etant enseignant en CM2, j’utilise le vidéoprojecteur (que j’ai moi-même acheté) dans ma classe pour de nombreux enseignements (étude de la langue, mathématiques, anglais, histoire/géographie/sciences). Je n’ai pas de TBI mais vidéoprojete sur le tableau blanc de la classe.
    Je ne fais pas de ce outil quelque chose d’exclusif mais il est un bon support pour attirer l’attention des élèves. Il me sert pour faire découvrir des nouvelles notions (avec des diaporamas que j’ai réalisés ou trouvés sur le site http://www.3evoie.org ), lire des textes (très bonne attention des élèves), corriger des exercices (très intéressants notamment pour la géométrie), montrer des documents en couleur (pour l’anglais – à la place des flashcards / l’histoire/géographie/histoire des arts), des animations ou quelques extraits de vidéo.
    Je trouve que les TICE sont pertinents pour l’enseignement et la personnalisation des apprentissages :
    • enseignement : les diaporamas sont particulièrement pertinents pour tous les apprentissages qui relèvent de la pédagogie explicite (pédagogie du modelage). Le temps que je consacre à la réalisation de ces diaporamas est souvent très conséquent…et sur Internet, on ne trouve très peu de sites ressources.
    • personnalisation des apprentissages : permettre à des élèves d’aller à leur rythme dans certains apprentissages. Le projet « Voltaire » sur l’entraînement à l’orthographe avec 7 niveaux progressifs en est une belle illustration.
    Je suis surpris que les maisons d’édition françaises ne s’intéressent peu à cet outil numérique. S’il y a bien des manuels numériques (qui vidéprojetent des manuels), je trouve cela très limité. L’usage du TBI doit permettre de stimuler l’attention des élèves dans les phases de d’apprentissage pas seulement de projeter des documents. Voit-on dans les guides pédagogiques des enseignants l’intégration de diaporamas, vidéos dans le déroulement d’une séance ? Voit-on beaucoup de serious games sur les ordinateurs des écoles françaises ?
    Quand je vois la qualité des sites institutionnels canadiens qui produisent des ressources informatisées (http://www.ccdmd.qc.ca), on se dit que la France a vraiment beaucoup de retard.
    Oui, vraiment, il y a un véritable enjeu en France : celui de produire des ressources informatisées en adéquation avec les enseignements. Maintenant, il s’agit de savoir qui va impulser ce mouvement (les maisons d’édition, l’Education nationale, l’Enseignement catholique…) et surtout quand car nous avons énormément de retard en la matière. Je trouve qu’au contraire, il faut diffuser, généraliser les ressources numériques qui ont été expérimentées et dont l’efficacité a été prouvée.

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