Le travail scolaire à la maison à l'ère du numérique

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Donner du travail à faire à la maison, des devoirs, des leçons, et autres lectures, productions, recherches etc… est une habitude tellement ancrée dans le quotidien des enseignants, des élèves et des familles qu’on s’offusque immédiatement dès que la « quantité de travail à faire après la classe » est inférieure aux standards imaginaires de chacun. Il arrive aussi parfois que ce soit par le haut, le trop plein, que cela déborde et alors la trop grande quantité est dénoncée avec le même entrain que s’il elle avait été insuffisante.
Les élèves qui connaissent bien ce rituel ont appris depuis longtemps les meilleures techniques pour ne pas se faire déborder par la quantité de travail personnel à faire, tout en assurant un résultat optimum. En d’autres termes, comment trouver le meilleur compromis effort/rentabilité. L’arrivée du numérique renouvelle la question de manière intéressante. Cela pourrait bien être le début d’une reconstruction de l’idée de « travail à la maison », voire de travail personnel. La recopie manuelle du cahier de l’ami, le matin dans le transport en commun, quand ce n’est pas sur les marches mêmes de l’établissement scolaire est une pratique ancienne et bien établie. L’aide d’un parent, d’un frère d’un ami, un peu généreux, et parfois compétent a permis à plus d’un de se sortir de situations difficiles et d’obtenir un résultat honorable avec peu d’effort. La sollicitation de ressources matérielles disponibles chez les plus aisés des élèves (en particulier) a longtemps été et est encore un élément participant à la réussite formelle et informelle du travail à la maison. Mais cela est souvent nié et tu.
Avec le développement des usages des ordinateurs et surtout d’Internet la question du travail à la maison s’est amplifiée par deux effets : la facilitation de pratiques antérieurs et l’accès à de nouvelles modalités de travail. A cela s’ajoute l’observation de la perte de sens, pour beaucoup d’élève de ce travail à la maison, souvent considéré comme ennuyeux, voire fastidieux, surtout pour ceux qui n’intègrent pas la logique concurrentielle sous jacente à cette activité.
L’observation d’une baisse du travail personnel des jeunes est récurrente dans les propos des enseignants que nous croisons au quotidien. Ce que ces témoignages ne disent pas ou peu, c’est la quantité, la nature, les attendus et les effets de ce travail à la maison. Du coup chaque élève, en fonction de sa culture, de son désire, de sa trajectoire, tente de poser une ligne de conduite (parfois hésitante ou défaillante) face à cette sollicitation. Ce que l’on note en premier c’est le « travail non fait », « l’absence de travail personnel ». En fait le travail en dehors du temps de classe est une boite noire pour l’enseignant. Or de cette boite noire il n’en voit que les entrants et les sortants. C’est lorsqu’il y a des études ou des temps de « permanence » (que drôle d’expression !!!) que l’on peut observer les élèves en travail personnel. Mais comme cela se fait dans le cadre contraint de l’établissement, il y a un biais qui fait que les élèves ne montrent là que leur comportement d’élève et non pas de personne, en dehors de ces cadres. Si cela apporte de l’information sur les manières de faire, ce n’est pas vraiment l’image de ce qu’est le travail personnel. Comme dans ces lieux, le modèle privilégié est souvent la solitude, le silence et le travail, les jeunes tentent de se réfugier d’une manière ou d’une autre. Soit en essayant d’aller ailleurs (CDI, salles des élèves ou autre) soit en demandant des dérogations (travail en binôme, travail de groupe…). A la maison, en dehors de l’espace temps scolaire, il en est tout autrement, tout du moins à en juger par les retours qu’en font les enseignants résumés dans cette expression lapidaire « ils ne travaillent plus ».
Les TIC facilitent les pratiques anciennes de contournement du travail à la maison. Le copier coller si décrié dans la communauté éducative, même s’il n’est pas nouveau, a pris d’autant plus d’ampleur que les élèves pensent que les enseignants ne s’en apercevront pas. Ceci étant en train d’évoluer, il est probable qu’ils vont développer des techniques plus sophistiquées… mais ils ont aussi d’autres comportements beaucoup plus enrichissants si on leur en donne l’occasion… Accéder à des informations toutes faites, échanger des résultats entre élèves d’une même classe est une pratique qui interroge ce que l’on demande comme travail à la maison, mais surtout l’exploitation qui en est faute ensuite. Car le problème premier posé par ces travaux c’est la façon dont ils seront ensuite réutilisés. Beaucoup d’enseignants limitent leur exploitation à la vérification du travail fait (travail montré, rendu, récité…). Devant cette attente, les élèves répondent au plus économique : comment obtenir une note acceptable, éviter une punition ou toute autre sanction s’il apparait qu’ils n’ont pas fait leur travail. Il est certain que l’ordinateur connecté à Internet est un formidable outil pour contourner le problème : en d’autres termes les jeunes savent instrumentaliser les TIC dès lors qu’une réelle « rentabilité » est présente.
On observe que les jeunes ont tendance à passer d’une activité à une autre assez rapidement, quand ils ne gèrent pas plusieurs activités simultanément. La demande faite dans le travail scolaire à la maison repose souvent sur une exclusion de ce mode de comportement. De plus l’accumulation des demandes venant de plusieurs enseignants en même temps et parfois de manière contradictoire génère un sentiment de « non respect » du temps libre. Dit autrement les élèves trouvent en général assez peu d’attrait au travail qui leur est demandé. Certains diront qu’il faut bien qu’ils fassent des efforts et que tout le travail n’est pas plaisant à faire. Certes répondront-ils on peut l’envisager, mais si en plus il n’y a aucune reconnaissance de ce travail, s’il ne sert à rien d’autre qu’à mettre des notes, alors il s’avère logique que des comportements d’évitement se développent (les psychologues cogniticiens ont récemment abordé ce thème de l’évitement dans les apprentissages et les tâches complexes).
Il est temps que les enseignants réfléchissent à de nouvelles façons de penser le travail à la maison. D’une part les demandes, les activités, les tâches doivent trouver un écho, un intérêt pour les élèves. D’autre part il doit y avoir une réelle exploitation constructive du travail effectué lors du retour en classe. Quand un élève est dans la salle de classe, il ne peut éviter la contrainte, lorsqu’il est chez lui il est plus en difficulté face à certaines tâches. L’utilisation intensive des TIC pour les loisirs comme pour le travail scolaire pose le problème de la concurrence. Penser le travail à la maison, c’est intégrer cette dimension comme facteur déterminant pour les travaux à faire faire.
Quelques propositions pour l’action

  • La nature des tâches à proposer doit plutôt se situer sous le registre de l’énigme à résoudre, de la situation problème, de la démarche de recherche, d’investigation, de constitution de dossiers documentaires.
  • On évitera d’imposer des entraînements systématiques sur la base d’exercices répétitifs même s’ils peuvent être proposés mais sans contrainte.
  • On donnera des travaux pour lesquels il sera possible d’en analyser le déroulement a postériori en classe, ou dont l’exploitation sera un enrichissement pour le collectif classe.
  • Au retour des élèves on préférera solliciter les élèves en les faisant participer de façon active à la construction du cours à l’aide du travail à la maison plutôt que de s’en tenir à vérifier le travail fait, ou encore plus, faire une interrogation orale ou écrite (sauf dans certaines situations bien précises relevant du contrat didactique).
  • Les élèves utiliseront le travail à la maison soit individuellement par prise de parole en classe ou par exploitation du travail dans une tâche à effectuer en classe et pour laquelle le travail personnel apportera une valeur ajoutée, soit collectivement dans des travaux de groupe
  • On pourra envisager que le travail personnel soit fait en groupe si l’objet en est pertinent.
  • Toute demande de recherche d’information à la maison devra faire l’objet d’une exploitation en classe ensuite…

Ces quelques recommandations, bien loin d’être complètes, visent à faire engager dans les établissements une véritable réflexion sur le « travail à la maison », les « devoirs du soir » dans un double contexte de désaffection des jeunes pour ces tâches et de concurrence du numérique soit comme outil de diversion, doit comme outil de concurrence.
On pourra enrichir ces propositions…. au fil des expériences…
A suivre et à débattre
BD

4 Commentaires

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  1. Merci pour cet éclairage.
    Pour pratiquer ce type de travail sur le terrain du collège, je vous partage quelques observations :
    * le travail sur des sources numériques, surtout quand il n’est pas guidé, ne simplifie pas le travail des élèves. Il relève d’un vrai apprentissage qui doit être mené en classe, notamment avec le concours de professeurs documentalistes. Si le moteur de recherche Google favorise les articles de wikipédia, le niveau de langage ainsi que l’architecture des articles pose plus de problèmes aux collégiens que la fiabilité de la source.
    * les élèves apprécient des exercices d’accompagnement ou de révision tels que les quiz, par leur dimension ludique. Bien qu’ils puissent s’apparenter à des tâches répétitives,c’est un aspect du travail personnel à ne pas négliger afin d’ancrer quelques connaissances. La difficulté consiste, pour le professeur, à construire des quiz progressifs et contextualisés.
    * le numérique permet aussi des dérives dans la volonté ou la capacité à contrôler le travail personnel – ou les « devoirs » – des élèves. Une entreprise de soutien scolaire propose ainsi au Conseil Général de mon département ses « généreux » services pour l’aide individualisée des élèves. Les établissements scolaires peuvent ainsi inscrire leurs élèves sur le site et leur soumettre des exercices de révision interactifs – et on incite les professeurs à utiliser cet outil pour assurer le suivi des élèves, y compris à la maison… pour quels objectifs pédagogiques ? Il me semble que cet exemple illustre d’une part une idée reçue fausse sur les vertus du numérique pour l’apprentissage, d’autre part la brèche ouverte pour les marchands du stress et de l’échec scolaire, sachant que le développement des ENT peut faciliter ce développement. A ce titre, les décideurs des collectivités territoriales, pensant bien faire, devraient se rapprocher de l’expérience de la classe, pour comprendre les besoins réels sur le terrain. Mais il est vrai qu’en terme de communication, cela permet de « vendre » de l’accompagnement ou du coaching aux parents d’élèves…

    1. Merci pour votre riche et large contribution

        • ugovrfbhisljdkx ,l;bygrunvo^df,psk;lxmùm sur 30 octobre 2018 à 12:43
        • Répondre

        merci intellectuelement et ponctuellement pour votre anticipation de la vie quotidienne d’un enrichissement spontané

    • Raphaelle Constant sur 12 mars 2012 à 11:04
    • Répondre

    Bonjour,
    Newsring.fr, site de débats, organise actuellement un débat sur l’interdiction de donner des devoirs à la maison aux enfants du premier degré, centre sur la question :
    « Faut-il donner des devoirs à la maison aux écoliers ? »
    http://www.newsring.fr/societe/483-faut-il-donner-des-devoirs-a-la-maison-aux-ecoliers/reperes
    Après avoir lu votre article très pertinent, je pense qu’il serait intéressant de faire entendre votre point de vue sur la question.
    Bon débat !

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