Logiciels en ligne, nuage, Cloud : liberté ou galère… ?

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L’une des tendances lourdes du moment est l’utilisation de logiciels au travers d’un navigateur Internet. Autrement dit le logiciel n’est pas sur l’ordinateur de l’usager mais sur un ordinateur distant qui nécessite d’avoir une connexion Internet pour être mis en oeuvre. Pour celui qui a une tablette numérique qui ne dispose pas d’une liaison 3G permanente et qui n’utiliserait que ce type de logiciel, on voit rapidement le danger qu’il y a de ne plus pouvoir travailler. Ce danger est encore augmenté si, en plus toutes les données sont stockées à distance et donc non disponibles en local. Ce danger n’est pas nouveau, mais les tenants du développement du Cloud évitent soigneusement d’aborder cette question.
Récemment dans un établissement scolaire nous avons testé ce genre de mode de travail. On peut penser que la garantie d’une connexion à Internet et d’un environnement d’équipement satisfaisant devrait permettre aisément ces usages. Deux obstacles se sont rapidement présentés : le premier était l’engorgement du réseau, le second était l’ensemble des dysfonctionnements du logiciel utilisé par plusieurs enseignants en même temps (problème de version, d’effacement etc…). Les promoteurs de ces outils me diront qu’il y avait un manque de maîtrise : A cela on peut répondre que le test d’un logiciel, à la maison dans de bonnes conditions techniques n’a rien à voir à l’usage dans un contexte « complexe ». Car l’établissement scolaire devient rapidement un espace qui se complexifie fortement et donc met en échec des pratiques personnelles à domicile.
Or cette dernière remarque ne s’applique pas qu’au nuage et à son usage. Elle est beaucoup plus générale. Quand on demande aux enseignants de lister leurs pratiques personnelles des TIC, elles sont nombreuses. Quand on leur demande les freins à leur usage dans le contexte scolaires, ils évoquent les multiples obstacles, dysfonctionnement, connexion aléatoire, matériel défaillant etc… Au delà du propos rituel, on reconnait là les symptômes de cette complexification. Cependant on observe un décalage fort entre l’usage personnel et l’usage professionnel en milieu enseignant. Si dans le premier on accepte un certain aléa, dans le second la crainte est grande de se trouver confronté à des difficultés que l’on ne supporte pas là alors qu’on les accepte à domicile. Au delà de cet écart, il y a les espoirs et les questions que posent de nombreux produits en ligne. Parmi ces questions il y a celles de nature technique qui font que l’on a du mal à envisager la complexité du produit du fait qu’il peut évoluer constamment à l’insu de l’utilisateur qui ne maîtrise pas forcément les versions successives du produit. Il y a aussi celles de nature économique qui font penser que derrière des usages plus développés du logiciel peuvent se cacher des demandes de paiement dès lors que l’on veut aller plus loin dans l’usage des fonctionnalités du produit. Il y a aussi celles de nature juridique sur la propriété de ce que l’on produit avec ces logiciels pour peu qu’on utilise les espaces de stockage proposés. On pourrait continuer plus avant l’analyse critique de ce modèle d’affaire et modèle technique mais il faut aussi reconnaître que l’idée d’un appareil qui n’a plus à se soucier d’installer quoique ce soit et qui propose toutes les possibilités en permanence pour peu que l’on soit connecté est particulièrement séduisant.
Le chef d’établissement, le responsable TIC, soucieux de dépenses en logiciels, en stockage sécurisé et filtrage d’accès, peuvent voir dans le nuage une formidable opportunité. Mais ils ne peuvent éviter de se poser les questions précédentes. Le nuage ne serait donc pas la recette miracle ? De fait les propositions faites actuellement sont tellement éparpillées que l’on est loin du compte. Eparpillées parce que peu lisibles, c’est un secteur encore en émergence. Eparpillées parce que fragiles dans leur devenir, une idée naissante n’est pas forcément un outil durable. Eparpillées parce que loin d’une recherche de standardisation, chaque concepteur tire la couverture à lui pour tenter d’imposer à sa clientèle son format etc…
Les établissements scolaires, confrontés au problème du besoin de plus en plus grand en ressources matérielles de base (stockage, puissance, bande passante etc…) auront tendance à s’en remettre à des instances plus puissantes : collectivités territoriales, rectorats, entreprises privées etc… Le nuage impose progressivement une externalisation professionnalisante des services et donc de nouvelles façons de penser le développement de l’informatique dans les établissements. Si ce modèle industriel, sous jacent aux ENT, est une étape logique du développement, il ne faudrait pas qu’elle en vienne à produire l’effet inverse à celui souhaité en éducation : un usage local et pertinent des TIC. En effet en proposant un modèle industriel, on est encore loin des outils permettant une adaptation aux contextes, une possibilité de personnalisation.
Si les enseignants, obligés de s’en remettre encore davantage que dans leur établissement à des instances externes prescriptives pour avancer dans leurs démarches, ils seront soit tenté d’abandonner soit de se réfugier dans des solutions clandestines. On observe chez nombre d’enseignants dits « innovants » cette pratique. Il ne s’agit pas uniquement de braconnage au sens que lui donne Michel de Certeau mais plus tôt d’un contournement, d’un détournement que l’on peut classer dans le domaine de la défense de l’identité professionnelle. Car au final, le nuage, s’il devient une contrainte risque d’enfermer les acteurs du monde scolaire dans des moules pré établis mais peu conformes aux besoins du quotidien.
Les logiciels en ligne sont une ouverture intéressante sur le principe, encore faut-il que cela ne devienne pas un modèle obligatoire auquel tous devront se soumettre. L’arrivée des tablettes à l’instar des smartphones dans le monde scolaire va accentuer cette discussion. Plus généralement et un prochain billet l’évoquera sous un autre angle, c’est l’articulation du local et du global dont il est question. Pour l’instant il y a une séparation nette, du fait même de la forme scolaire. Si celle-ci évolue, et que le nuage se développe au sein des établissements, on peut parier que les débats viendront rapidement sur cette articulation. Il y va de la liberté pédagogique, c’est vrai, mais surtout de l’impératif d’adéquation entre ce qui fait société et la société qui se vit au quotidien.
A débattre et à suivre
BD

8 Commentaires

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    • Emmanuel sur 12 février 2012 à 23:45
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    Je ne vous rejoins pas sur ce billet. L’opposé du nuage, en éducation, c’est la salle pupitre, un système lourd , peu souple et onéreux, dont 1 personne au maximum sait se servir dans chaque collège.
    Le nuage au contraire permet une interaction permanente entre le maître et l’élève, sans configuration, sans mise,à jour, etc. C’est ce que l’industrie nommé SAAS, software as a service, et qui rend les outils accessibles de partout, de l’école comme du domicile. L’enseignant peut préparer à domicile une séance que les élèves réaliseront en classe, ou bien suivre à domicile le travail réalisé par les élèves. Désormais la disponibilité permanente d’une connexion internet peut être considérée comme un fait, et il est bon de mettre ce fait au service de l’enseignement plutôt que de le réserver à Facebook en cachette sur les smartphones des ados.
    Le logiciel Je Lis Avec Léon, retenu par l’Education Nationale pour l’accompagnement de l’apprentissage de la lecture, combine les deux : une application locale qui stocke les médias, pour soulager les connexions réseau parfois faibles,, et une utilisation de l’Internet pour l’enregistrement des progressions et l’interaction prof/élèves.
    En résumé, le nuage c’est la souplesse. Mais je conçois que les solutions dans le nuage requièrent pour leur ecriture et leur hebergement des compétences largement au-delà de celles des administrateurs locaux, et qu’elles aillent donc à l’encontre de votre vision « localisante » de l’outillage pédagogique. Il est plus simple d’installer un CDROM sur 15 postes que de monter une plateforme pédagogique, mais l’usage est dans le nuage.

    • Marie-Odile Morandi sur 13 février 2012 à 17:19
    • Répondre

    Bonjour,
    Pouvez-vous expliquer ce que sont les « solutions clandestines » adoptées par certains enseignants ?
    L’utilisation du nuage demande que chaque élève possède une adresse électronique, n’est-ce pas ? Mais qui est alors l’hébergeur ? Où se trouve physiquement le serveur ? Quid du cas des mineurs (élèves de collège par exemple)?
    Autre souci et non des moindres : un certaine « endoctrinement » à cause de l’uniformité des rendus.
    Si les problèmes dus à la diversité des produits utilisés sont effacés, que deviennent les progrès dans les apprentissages en vue de surmonter les échecs ?

    1. Bonjour
      Par solutions clandestines, je parle de l’usage de plus en plus fréquent des outils grand public (blog, web 2.0 etc…) qui sont disponibles pour tous et que des enseignants utilisent en lieu et place des outils fournis par les académies ou les conseils généraux ou régionaux qu’ils trouvent parfois trop lourd ou peu adaptés.
      L’utilisation du nuage suppose que chacun puisse s’identifier (mais pas forcément une adresse électronique externe, le service peut fournir une adresse interne selon les types de produit). De toutes façons l’hébergeur sera soit l’académie, soit le département ou la région, soit un opérateur X mandaté par l’établissement, et dans ce cas les serveurs peuvent être n’importe où sur la planète dans des « fermes numériques ».
      Les élèves mineurs sont considérés comme protégés car tout se fait derrière une authentification et donc est sécurisé et identifié (tant que le serveur est surveillé).
      A votre dernière questions, l’embrigadement, l’endoctrinement n’est pas complètement nouveau (cf windows et apple !!! en attendant linux). Cependant dans ces cadres, il y a des marges pour différencier pour individualiser, pour s’adapter aux élèves, aux jeunes…. ce qui pourrait disparaître si avec le nuage, une solution unique s’impose… ce qui est le modèle ERP et autres CRM de l’entreprise que l’on tend à vouloir transposer dans le monde scolaire, en oubliant que c’est de l’humain et pas des matériaux inertes ou des machines….
      A suivre

    • Emmanuel sur 13 février 2012 à 20:12
    • Répondre

    Je crois au contraire que le nuage conduira à la variété par l’interconnexion. Le cadre réglementaire du ministère est encore en évolution, mais il conduira à des services authentifies, choisis par l’établissement, permettant des prestations abouties dans le respect de la vie privée.
    Le marché de ces services est encore neuf mais le temps passant on voit déjà les acteurs chercher à faire fonctionner leurs services ensemble. Le plus dur sera d’aboutir à une uniformisation des API et des webservices, mais spontanément ou sous la contrainte, cela adviendra.

    1. Personnellement je suis loin de votre optimisme. Il est certain que c’est bien plus simple ainsi, mais je crois que la simplicité risque d’amener à l’uniformité : c’est ce que l’on a reproché à toutes les firmes qui sont arrivées à des positions dominantes, l’état n’y échappe pas davantage.
      Par contre je suis d’accord si de vrais interconnexions sont mises en place. Quand je vois comment le ministère en impose aux sociétés qui développent des produits pour le socle commun, je crains quand même fortement l’uniformisation (économiquement cela se comprend). L’avenir nous dira ce qu’il en est…

    • Jacques Bonnin sur 19 février 2012 à 17:47
    • Répondre

    Bonjour,
    Il me semble qu’un aspect ô combien pertinent en éducation n’apparait pas dans le débat :
    Il s’agit du travail collaboratif, que (pour l’instant encore) seuls les « Logiciels en ligne, nuage, Cloud » permettent.
    Travaux collaboratifs synchrones ou asynchrones.
    Synchrones en classe : travaux de groupes pour produire un texte « à plusieurs mains », un diaporama, un site ou un blog, compléter un tableau (activités qui permettent de casser la compétition scolaire)
    Asynchrones : combien de collégiens, de lycéens râlent parce qu’on leur demande des travaux de groupes et que les établissements ne proposent quasiment pas d’espaces (temps et lieux) pour les produire.
    Google apps pour citer mon préféré fournit des outils « extraordinaires » !

    1. Le problème posé par le travail collaboratif est de nature plurielle : d’une part il mériterait un meilleur traitement en classe avant d’être envisagé en ligne; d’autre part, les logiciels collaboratifs peuvent parfaitement associer local et nuage comme de nombreux produits l’ont montré (cf le travail avec word ou autres logiciels avec versionning). Là où la difficulté réside c’est surtout sur le synchrone en groupe où il est indispensable d’avoir des liens en passant par Internet. Faut il pour autant que les applications soient en ligne, les données pourraient suffire ? et surtout cela générerait moins de flux et donc de meilleurs performances. Car c’est davantage la qualité et la taille des tuyaux qui pose problème, bien plus que l’espace temps de production.
      A suivre
      Bruno

    • morandim sur 20 février 2012 à 06:32
    • Répondre

    Bonjour,
    C’est justement quand il y a utilisation de google apps que je parle d’uniformisation et d’endoctrinement.
    Amicalement

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