Conseils d'enseignants, élèves, tic et apprentissage

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Quand des enseignants font des remarques, ils ont souvent tendance à prendre un angle de lecture particulier : ils se situent dans la faute pour laquelle ils se posent en norme et pas dans l’erreur à propos de laquelle ils s’interrogent. Un exemple simple, pris entre adultes. Quand on donne un texte à lire à un enseignant en vue de lui demander ses remarques, son analyse, il commence souvent par corriger les fautes d’orthographe au lieu de se centrer sur le contenu du texte. Dans un autre cadre, quand un enseignant assiste à une conférence et qu’il ne parvient pas à lire bien ce que le conférencier à écrit sur l’écran (Préao ou autre), il déclare à l’intervenant qu’il n’a pas utilisé une bonne taille de police de caractère plutôt que de dire qu’il a eu du mal à lire le texte. Autrement dit quand il émet un avis sur un élément de son environnement, il le fait souvent en se situant comme norme de référence et non pas comme simple questionnement.
De la même manière, et ce n’est pas le seul fait du monde enseignant, on observe souvent que les analyses des faits de société que chacun de nous peut faire sont essentiellement formulées par rapport à l’expérience personnelle et non pas dans une analyse distancée des faits. En d’autres termes l’expérience personnelle fait souvent office de preuve. Mais dans le monde enseignant ce type de fonctionnement prend un relief particulier, car justement ce monde est celui de la distance. Or face à des élèves pour qui l’enseignant est censé représenter une référence dans la médiation aux savoirs, cela n’est pas sans poser des problèmes fondamentaux.
Sans généraliser trop hâtivement, il est étonnant de recueillir de manière récurrente ces exemples de comportement dans le monde scolaire. Si l’on regarde ce qui se passe au coeur de la classe, on peut fortement se questionner sur la professionnalité qu’impose la fonction de « médiation des savoirs». L’exemple de l’utilisation des TIC est à ce propos assez illustratif. En effet, il semble bien que la capacité et la manière d’utiliser les TIC dans la classe est à mettre en corrélation avec les réactions observées plus généralement. D’une part l’enseignant réagit d’abord avec son expérience personnelle et à des difficultés à se mettre à distance des TIC. D’autre part, la norme qu’il représente est souvent une protection contre les écarts qu’il peut avoir avec les élèves.
Le développement des TIC a été tellement rapide, par rapport aux rythmes de l’enseignement scolaire, que la plupart des acteurs du monde scolaire n’a pas encore effectué le travail d’acculturation suffisant pour passer des usages à l’analyse des usages. Cela est aussi présent chez nombre d’innovateurs que chez les technosceptiques. Pour les uns l’enthousiasme de la nouveauté tient lieu de preuve et de vérité, pour les autres la résistance aux TIC amène à tenir un discours sur les usages rarement, voire jamais étayé par la pratique. Il ne s’agit pas ici de disqualifier le monde enseignant, mais de mettre à jour un processus qui est essentiel à la prise en compte des changements sociétaux en éducation. Les comportements signalés en introduction, amplifiés avec le développement des TIC ne sont que le fruit d’une histoire qui a petit à petit enfermé l’école dans un « faux sanctuaire ». Si le monde du livre avait apporté à l’école sa légitimité, le monde des TIC délégitime rapidement cette approche et c’est cela qui fait le plus problème en ce moment. Le renversement numérique, parce qu’il déplace entre autres la temporalité de l’accès aux savoirs, disqualifie progressivement le modèle antérieur.
Plus généralement le développement massif des médias de flux, puis interactifs n’a pas été accompagné d’une véritable transformation de la réflexion (et de l’action) sur l’acte éducatif et l’acte d’enseignement dans un tel contexte. Laissés à l’abandon par des politiques pris par la nouvelle modernité et les bienfaits du progrès, le monde enseignant s’est retrouvé en face d’un nouveau cadre qui a pris deux formes : celle du matériel informatique et celle de la culture des jeunes. Dans les deux cas il y a eu dérangement dans l’ordre scolaire. Mais dans les deux cas il y a eu souvent « fait accompli ». Le développement très rapide et récent du terme « accompagnement » dans tous les niveaux d’enseignement est le signal du questionnement. Face aux faits, puisque le monde scolaire n’est plus celui qui les apporte, désormais il les accompagne.
C’est là que l’on observe justement le danger des deux comportements évoqués : la réaction normative et la réaction expérientielle sont les signes de cette difficulté. La réaction normative doit permettre de contenir dans le cadre, la réaction expérientielle permet de valider ce cadre. En d’autres termes, j’ai raison parce que je témoigne. On peut donc considérer qu’il est désormais essentiel d’introduire dans la formation des enseignants le travail sur ces deux dimensions : d’une part développer l’analyse de l’écart (l’erreur de l’élève par exemple) comme base de travail et d’autre part aller rechercher au delà de l’expérience les confirmations ou les infirmations de ce que je « crois ». Quand un enseignant argumente sur un sujet important en s’appuyant sur une émission de télévision comme preuve de ce qu’il avance, on peut penser qu’il manque fortement de capacité à distancer. Distinguer faute et écart/erreur, distinguer exemple et preuve, voilà deux exercices essentiels auxquels il convient de se former en permanence.
Ce qui amplifie fortement ce phénomène, c’est outre la rapide explosion des moyens d’information et de communication, le renforcement du caractère sélectif de l’Ecole. Sans s’en apercevoir, les enseignants ont vu leur mission se transformer : ils sont passés de la posture du « libérateur » à celle du « sélectionneur ». Avec les TIC, il n’ont pas été les libérateurs, ils arrivent alors que cela s’est développé en dehors de leur univers. L’arrivée du « cahier de texte numérique », comme auparavant l’avait été le « bulletin de note informatisé », est un levier qui est en train d’ouvrir de nouvelles formes de compréhension et de travail avec les TIC. Là où les difficultés se présentent c’est dans la dimension culturelle à prendre en compte. Le travail à faire est immense. La dimension « libérateur » s’est rapidement transformée en dimension « contrôle ». Ce n’est que récemment que l’on observe une évolution des propos et des comportements. Une fois passée la période rejet contrôle on voit apparaître la période tâtonnement…
Mais là encore il y a du travail à faire, et l’innovation ne se substituera jamais au travail de fond qui doit concerner tous les enseignants…
A débattre
BD

2 Commentaires

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  1. Bonjour,
    Je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité de cet article (et des autres également) qui soulèvent des problèmes fondamentaux de l’école d’aujourd’hui. Si je ne peux que souscrire à l’ensemble de vos propos, il me semble qu’il manque une dimension d’ordre social. Hélas mon propos, tiré de ma propre expérience, manque certainement de la distance nécessaire à une réelle analyse.
    Je suis depuis quelques années dans un établissement rural de l’Île de France où la population est essentiellement composée d’urbains déclassés et une très grande majorité des familles sont en CSP très défavorisée. Ces élèves souffrent de ce que certains ont qualifié, par le passé, de fracture numérique. Très peu utilisent les TICE aux quotidiens. A titre d’exemple, moins du quart de mes élèves de quatrième sont inscrit sur Facebook. Cette situation a un avantage pour le corps enseignant: il conserve sa position de détenteur d’un savoir dont les élèves ne disposent pas. Ainsi sur une cinquantaine d’enseignants, une vingtaine dispose d’un site internet; certains sont très sommaires, d’autres beaucoup plus élaobrés mais globalement tous ont vu un intérêt pour les élèves. Là où la situation est paradoxale et rejoint votre propos, c’est que parmi ces professeurs certains refusent d’utiliser le cahier de texte en ligne et que leur adresse mail figure sur le site du collège (www.jeancampin.fr) alors que toutes ces données sont accessibles sur leur site. Le rejet ainsi exprimé est plus vis à vis de l’administration (un grand classique) que vis à vis des élèves et de leurs familles.
    Cordialement,
    Th.Reyser
    http://reyser.fr/WordPress3/
    http://www.reyser.fr

    1. Merci de votre message. Les exemples de l’expérience sont toujours intéressants et essentiels, à condition qu’ils ne deviennent pas des vérités universelles. Votre propos est d’autant plus important qu’il vise à nous alerter de la nécessité de cette dimension sociale à prendre en compte
      Cordialement
      Bruno Devauchelle

  1. […] Conseils d’enseignants, élèves, tic et apprentissage « Veille et Analyse TICE 23, février 2012 Posted by ptiboutfil in Actualités, T.I.C.E. : Usages pédagogiques. trackback Conseils d’enseignants, élèves, tic et apprentissage […]

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