Veille et analyse, partage, approche critique

NON, le TBI ne résoud pas la fracture numérique

Le forum de Lyon sur la solidarité numérique qui s’est tenu le lundi 24 novembre n’a donné à voir comme compte rendu médiatique que deux faits : la faiblesse des moyens réels consacrés à la réduction de la fracture numérique nord sud et la croyance que le TBI est la solution technique à ce problème….
Le président du Sénégal et l’ancien responsable du lycée expérimental de Saint Nazaire ont chacun portés ces mots devant les micros.
Il est temps de rappeler à ces personnages médiatiques qu’ils sont les victimes d’une lutte d’influence bien conçue de la part des promoteurs des technologies qui cherchent à tout prix à placer ces équipements. Cette action d’influence, que d’aucuns considèrent comme légitime, doit être critiquée, d’autant plus qu’une nouvelle fois elle réussit à influencer un « pouvoir naïf » représenté par des personnes de pouvoir bien mal informée, et sans regard distancé sur les technologies. Il n’est pas nouveau de constater que les sphères de pouvoir qui décident de choix technologiques ne sont pas toujours en lien avec les sphères de l’action concrète. Elles font souvent la richesse des commerciaux peu soucieux d’autre chose que de leur chiffre d’affaire…
Quelques rappels sont nécessaires ici :
Quel est le principal intérêt du TBI ? : augmenter, enrichir la pratique magistrale de l’enseignant.
Arrêtons de discuter de la pseudo interactivité enrichie pour la classe parce que l’on fait utiliser le TBI par les élèves. Le TBI est objet centralisateur et focaliseur de l’attention pédagogique d’un groupe vers une seule source. Qui n’a jamais tenté d’accompagner des élèves dans leurs apprentissages ne peut pas comprendre ce problème. Qui a toujours enseigné de manière magistral (ou dialoguée) sait bien que tenir l’attention ne fait pas l’apprentissage des contenus… sauf des élèves qui savent « apprendre en dehors ». Il faut donc dénoncer avec vigueur cette fausse idée selon laquelle le TBI améliore l’enseignement, il n’améliore que certaines pratiques pédagogiques considérées comme peu productives sauf pour les bons élèves : « ceux qui savent apprendre en dehors du cours ». (on m’objectera qu’on peut y adjoindre une tablette ou des boitiers cliquables dans la classe, mais alors qu’est-ce que le TBI… ).
Mais par contre le TBI séduit le décideur car il se voit (comme jadis les antennes paraboliques, les salles informatiques et autres objets visibles… et montrables car témoins de modernité.). Il séduit aussi le décideur car il est contrôlable dans l’espace classe et établissement. Il séduit aussi le décideur car il renforce la pédagogie de masse (industrialisation du processus transmissif) et donc simplifie la gestion du relationnel avec l’équipe enseignante.
Malheureusement, aucun objet technique n’a permis d’amélioration de l’enseignement et encore moins de l’apprentissage si les utilisateurs (les enseignants par exemple) ne pensent pas leur intégration dans le dispositif d’enseignement. Or les propos de quelques zélateurs de l’objet n’y vont pas de main morte… dans leurs propos et ils ont trouvé quelques relais médiatiques efficaces…
Qu’est-ce que la fracture numérique ?
– Si la fracture numérique c’est d’abord l’équipement, pourquoi proposer des TBI qui coûtent le prix de 5 à 10 laptop per child de l’opération lancée aux USA en direction des pays les plus démunis…. On peut penser qu’alors les enseignants utilisant le TBI dans leur classe (allons au Mali, en Guinée etc… et observons l’adéquation de ces outils avec la configuration des locaux….)ils amélioreront l’accès de leurs élèves à ces technologies. Mais revenons à notre première objection : de quel accès parle-t-on si l’on ne manipule pas ou très peu (quand on vient au tableau…) ?
– Si la fracture numérique c’est l’usage des TIC, alors il est clair que le TBI ne répond à cette question que pour les enseignants et sous réserve qu’ils soient compétents et installés de manière correcte. Allez voir cette extraordinaire vidéo sur la libraire numérique de Bamako en ligne et vous vous rendrez compte de l’absurdité d’un TBI face à l’inventivité nécessaire pour intégrer les TIC dans les pays les plus défavorisés. Quant aux élèves, aux jeunes, ils n’ont qu’à continuer d’aller dépenser de l’argent dans les cybercafé, ils ne risquent pas ainsi de développer réellement leur présence devant les machines et surtout leur présence sur les réseaux.
– Si la fracture numérique c’est l’appropriation de l’information communication par l’accès aux réseaux, alors il faut interdire les TBI. La priorité d’équipement doit être fondée sur cette finalité. Quand on parle de wimax si difficile à développer parce que peu rentable en France, on n’en parle absolument pas pour les zones urbaines surpeuplées de ces pays défavorisés. La priorité d’usage doit être l’accès de tous à la manipulation de ces outils. La priorité culturelle doit être la possibilité des métissages,c’est à dire l’enrichissement des cultures de l’écrit et du numérique par les cultures de l’oral et de l’analogique.
En d’autres termes, que ce soit dans les pays du nord comme dans les pays du sud, on pense accès, et on s’arrête là. Et la logique économique renforce largement cette vision, car c’est la seule rentable à court terme. Par contre, à moyen terme, le maintien sous la dépendance culturelle est un autre enjeu bien mieux caché et ces politiques y concourrent. N’oublions pas qu’au cours de l’histoire les enjeux de pouvoir autour de l’information et de la communication ont été mis en évidence de manière récurrente : des grecs qui voyaient d’un mauvais oeil l’arrivée de l’écrit, aux moins copistes qui ont refusé le livre, aux intellectuels qui ont raillé les gazettes et autres journaux populaires, voire même aux scientifiques dont certains ont bien senti qu’Internet allait remettre leur parole dans un autre contexte de débat, le débat citoyen. Et c’est là aussi qu’agit la fracture numérique de manière efficace, c’est pourquoi il faut tenter de savoir si nous, pays aisés, avons vraiment envie de voir réduite cette fameuse fracture….
A débattre
BD