Veille et analyse, partage, approche critique

Ce qui me disperse ?

Je viens de vivre une expérience qui fait écho à d’autres parutions récentes dont je parlerai ensuite.
Mon abonnement au Monde de l’éducation ayant été interrompu par la disparition de ce magazine, j’ai eu le plaisir d’avoir en compensation un abonnement au quotidien « le Monde » pendant une quarantaine de jour. C’est la première fois que je suis abonné à un quotidien. Habituellement je préfère en acheter de temps en temps pour avoir le temps de les lire à fond. MAis cette fois-ci il me parvenait tous les jours et donc je n’avais même plus l’effort de l’acheter et donc de décider moi même de ma lecture.
L’effet a été radical : depuis un mois je n’ai pas lu un seul livre ! J’ai passé la plupart de mon temps de lecture a passer d’un article à l’autre. Tant de choses si intéressantes et si variées (j’apprécie en particulier les points de vue publiés qui permettent de mieux comprendre certains sujets) et la sensation de « courrir » après l’actualité, son commentaire et ses analyses. Bref un changement important pour moi qui ait été un apprenti lecteur en grande difficulté jusqu’à l’adolescence (je n’ai lu mes premiers livres en entier qu’à partir de 16 ou 17 ans), et qui depuis plus de trente années essaie de rattrapper ce temps perdu (je ne lis que très rarement de la littérature, mais surtout des ouvrages de recherche, d’analyse, d’étude, dans mon domaine de spécialité).
J’ai retrouvé une sensation que l’on a lorsque tout petit on explore le monde : il y a tant à voir que l’on veut tout voir. J’avais patiemment appris qu’il fallait aller au fond des choses, même si mon contexte professionnel ne m’aide pas beaucoup, je tente depuis longtemps de maintenir ces lectures. Or cette expérience courte, et qui ne vaut que pour l’exemple et pas pour la preuve, me montre qu’il est très facile de changer sur ce point et que mon cap est fragile.
Et pourtant, contrairement à Nicolas Carr auteur de cet article autour duquel le bruit est plus important qu’il ne le mérite (is Google making us stupid ? http://www.theatlantic.com/doc/200807/google ), je suis un utilisateur de longue date des technologies numériques en ligne (1985) ou non (1978) et ce n’est pas Internet qui a provoqué chez moi ce phénomène.
Qui faut-il croire ? que faut-il croire ? Loin de moi l’idée de donner une leçon, juste de partager une analyse personnelle.
1 – L’activité de lecture longue est un construit humain qu’il faut situer plus largement dans la problématique de l’attention/concentration. Quand on regarde des gens (jeunes et vieux) passionnés par un sujet, une activité, un projet, on est étonné de leur faculté d’attention longue.
2 – Le fonctionnement de nos sens, et en particulier l’audition et la vision, s’appuie sur des systèmes de veille/vigilance  pilotés par le cerveau et c’est la capacité d’inhibition, d’a-sensitivité qui est mise en jeu dans ce phénomène d’approfondissement. Or cette capacité est incluse dans ce que la psychanalyse appelle le « désir », instance supérieur de pilotage qui la pilote.
3 – L’opposition en largeur (zapping) et en profondeur (concentration longue) est aussi idéologique. Elle fait partie de ces dichotomisations qui permettent de simplifier des questions pour mieux asséner des fausses vérités (type Internet nous rend stupide) et que l’on retrouve dans l’histoire des technologies (à 100 kilomètre heure dans un véhicule, le coeur s’arrête de battre disait-on au XIXè siècle)
4 – Le journalisme, et son mode de fonctionnement, implicite est illustratif de cette nécessité de largeur dès lors que le pilotage de cette activité est basée sur l’actualité. Car la spécificité de l’actualité est justement de changer constamment
5 – Lire long ou lire court n’a aucun sens si l’on n’inscrit pas ce lire dans un contexte plus large d’activité sociale et professionnelle. C’est d’ailleurs ce qui oppose aussi ceux qui écrivent des livre et ceux qui écrivent des articles. Ecrire un livre, encore aujourd’hui, cela pose une personnalité et la fait reconnaître (j’en ai fait personnellement l’expérience) dans la société. Ne pas le faire et se contenter d’articles ou encore pire de billets sur des blogs, c’est perdre une partie de cette notoriété, on est « volage ». Ainsi il y a une idéologie de l’effort intellectuel long qui a des répercutions importantes sur notre société et qui induit des comportements et aussi des jugements.
6 – Désigner un responsable d’une pratique comme dans ce cas Internet ou l’abonnement à un quotidien c’est confondre la corrélation et la cause. Cela est bien connu, et sert de nombreux intérêts.
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Ainsi avant d’avancer de grandes vérités définitives sur telle ou telle conséquence (fait ?) qui nous trouble, il faut se poser la question de savoir si l’on veut comprendre un fait ou si l’on cherche à tout pris une cause, bref « un bouc émissaire »… (cf. René Girard). Actuellement dès que l’on en trouve un il est facile de s’en saisir pour faire de l’audience et du « buzz »…
A débattre
BD