Veille et analyse, partage, approche critique

Télévision et école

Le reportage sur le retour aux « bonnes vieilles méthodes » présenté par France2 le mardi 15 novembre tendrait à montrer que le retour aux bonnes vieilles méthodes permettrait de « savoir lire en mars au CP » et que ce serait la méthode globale imposée par « en haut » ainsi que le théatre et le jeu pour apprendre qui sont mauvais, incitant les enseignants à refuser d’appliquer les consignes ministérielles. Quelques éléments de ce reportage doivent retenir notre attention car ils mettent en évidence la réthorique utilisée pour démontrer des idées : D’autre éléments illustrent encore davantage les contradictions internes de l’exposition de ce cas.

On montre une enseignante que l’on qualifie d’ordinaire et on laisse passer plus loin une image qui illustre la couverture du livre publié par cette institutrice. Les auteurs du reportage oublient de nous signaler qui est précisément cette jeune femme en nous cachant ce fait. Le lieu et l’espace de présentation de l’enseignante est mis en scène en l’entourant de livres très nombreux, dans un grenier et avec un ordinateur (ou deux) macintosh, avec écran plat dont on montre à l’écran l’écriture par l’enseignante de syllabes. On nous dit qu’il est interdit de filmer dans sa classe (qui utilise les anciennes méthodes) et on nous montre une autre classe qui elle utiliserait la méthode globale (sans interroger l’institutrice ni situer l’origine du reportage), ce qui n’est illustrer que par quelques dessins de mots dans lesquels des lettres et des sons sont mis en évidence. On nous parle de la multiplication des livres sur ce sujet, mais on oublie de vérifier ce que sont ces livres dans l’ensemble des publications pédagogiques actuelles. On interroge pour renforcer le tout un inspecteur d’académie à la retraite (sans doute pour contrer un argument de cette jeune femme qui a cinq ans d’ancienneté). Cette figure de l’ancien, n’est pas mise en perspective par rapport à d’autres anciens inspecteurs qui tiendraient d’autres discours. De plus la mise en scène de l’inspecteur est caractéristique : il feuillette ce qui est supposé représenter un vieux livre jauni. Enfin le commentaire se termine sur une statistique qui doit être située : elle déclare en 6è 30% des élèves ne savent pas lire ». Or cette argument ne dit pas que cette statistique est issue d’une étude internationale qui elle précise que ce n’est pas de lecture, mais de litéracie dont il s’agit.

Ces éléments sont illustratifs de l’école de formation des journalistes chargé de promouvoir un point de vue. Ils sont aussi illustratif de la réthorique utilisé par les tenants de ces « méthodes anciennes ». En effet les deux figures de la mise en scène actuelle des idées sont : – le débat contradictoire dans lequel chacun tente d’imposer sa voix sur l’autre, pilotés par le point de vue de l’animateur (cf le travaux de P. Bourdieu) comme savait le faire Jean Marie Cavada – L’exposé structuré et spectacularisé d’une oppression supposée et d’une opposition à une autorité (ici le ministère) sans permettre au spectateur de mesurer la valeur des arguments. L’ensemble des tenants de la thèse exposée témoignent et les autorités ou valeurs mises en cause ne sont jamais interrogées ou expliquées autrement que par l’éllipse (trois secondes sur une classe ou on enseigne une méthode dite globale ».

Cette deuxième forme de démonstration qui est celle de ce reportage doit nous alerter sur les tentatives de manipulation médiatique qui sont actuellement en train de se développer dans notre société. En effet le spectacle mis en scène ici (et non pas simplement observé et analysé) repose sur l’art de ne pas permettre au spectateur de prendre de la distance avec ce qui est montré. Au moment où les télévisions étrangères et en particulier Nord Américaine ont montré la capacité des médias à fausser l’information (cf la carte de France délirante des émeutes), nous observons que cehz nous c’est la même chose et que le service public, qui est supposé être au service du public se met volontier au service de causes particulières sans permettre une prise réelle de recul. Force est de constater que les personnes qui oeuvrent dans le sens pris par le journaliste utilisent depuis longtemps ces techniques réthoriques qui caractérisent les tenants de telle ou telle idéologie et qui veulent à tout prix montrer qu’ils ont raison.

Quelques éléments de la symbolique présente dans ce reportage doivent nous alerter. En effet la mise en scène doit être interrogée :

– La présence de l’ordinateur sur le bureau de l’enseignante et la grande quantité de livres dont l’enseignante est entourée Il est étonnant de voir figurer un ordinateur parmi les plus couteux dans le bureau d’une jeune enseignante qui cherche à revenir aux vieilles méthodes. On peut se demander si, mis à coté d’une telle quantité de livres n’est pas là pour signifier que ces deux objets sont les symboles de la « réussite scolaire », l’ancienne et la nouvelle, toutes les deux au service de la tradition. Cette tension entre ces deux objets peut aussi signaler que la maîtrise de l’informatique est, dans la suite logique de la maîtrise du livre un outil de domination sociale. En mettant en avant cet ordinateur dont on ne parle pas dans le commentaire (fallait-il le psser sous silence) on peut penser qu’il y a là un objet à part.

– L’argument du bon sens et de la répétition L’argument du bon sens est celui qui amène les gens qui ne sont pas des professionnels de l’enseignement à penser qu’il suffit du bon sens pour enseigner. Or cela est en contradiction avec l’appel aux méthodes anciennes qui n’ont jamais été élaborées sur le bon sens, mais bien sur une analyse de la langue par les linguistes de l’époque. Comme si le bon sens seul avait été à la base des pratiques antérieures de l’enseignement alors que l’on sait que les pratiques d’enseignement ont leur fondement dans les pratiques anciennes et les analyses anciennes faites par les fondateurs des écoles et en particulier les religieux (jésuites par exemples) qui avaient théorisés des pratiques en particulier, par exemple, celle de la réthorique.

– l’encadrement du reportage par des couvertures de livres La première couverture dans le reportage a pour titre : « parents contre profs », La dernière a pour titre : « la fabrique des crétins ».

On peut se poser la question du choix éditorial fait ainsi qui pourrait, si l’on fait le racourci renforcer l’idée que la famille fabrique des crétins et que l’école doit l’empécher par les bonnes vieille méthodes choisies par des adultes (comme les textes des poésies). Cette façon de faire pourra être jugée comme arrogante par certains, humiliante par d’autres.

On ne peut qu’être surpris que le service public de l’audiovisuel fasse des reportage de cette forme tant il est tenu de respecter ses auditeurs….

Citons, en conclusion de ce questionnement et pour illustration , des passages de la lettre aux instituteurs de Jules Ferry envoyée en 1883 qui nous rappellerons que nous sommes souvent collectivement et profondément marqués par le retour à cet ordre ancien et que déjà à cette époque les débats étaient de même nature :

« ce n’est donc pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement. »

« L’enfant qui sait reconnaître et assembler des lettres ne sait pas encore lire ; celui qui sait les tracer l’une après l’autre ne sait pas écrire. Que manque-t-il à l’un ou à l’autre ? La pratique, l’habitude, la facilité, la rapidité et la sûreté de l’exécution. De même, l’enfant qui répète les premiers préceptes d’instinct ; alors seulement, la morale aura passé de son esprit dans son coeur, et elle passera de là dans sa vie ; il ne pourra plus la désapprendre. »

« Une seule m
éthode vous permettra d’obtenir les résultats que nous souhaitons. C’est celle que le Conseil supérieur vous a recommandée : peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. Ces leçons veulent un autre ton, une autre allure que tout le reste de la classe, je ne sais quoi de plus personnel, de plus intime, de plus grave. Ce n’est pas le livre qui parle, ce n’est même plus le fonctionnaire ; c’est pour ainsi dire, le père de famille, dans toute la sincérité de sa conviction et de son sentiment. »

A débattre

BD