Veille et analyse, partage, approche critique

Faut-il numériser les manuels ?

Il y a de l’obsession dans le monde éditorial. Après le livre, c’est le manuel qu’il faut sauver. Mais cette fois-ci on a bien compris qu’il devrait être numérique…Il y a de l’obsession dans le monde des décideurs éducatifs, qui reviennent à cette idée près de dix années après avoir constaté que cela ne pouvait pas marcher !!! surtout si l’on reste sur le même modèle.
Dans l’idée de la « forme scolaire » chère à Guy Vincent, il ne faut pas oublier les supports d’apprentissage et en particulier le manuel scolaire. Rappelons pour mémoire que dans l’histoire de l’enseignement, récente, c’est « le tour de France par deux enfants » qui a été parmi les plus édités (millions d’après wikipédia) on le trouvera en ligne à cette adresse : http://www.demassieux.fr/Site/Tour_de_la_France.html. Le manuel scolaire a d’autant plus eu ses lettres de noblesse qu’il a généré toute une industrie et une économie qui fait vivre l’édition d’une part, et d’autre part qui assure des subsides à un certain nombres d’enseignants et autres cadres de l’éducation nationale… Autrement dit l’intérêt financier du manuel n’est pas à démontrer…
Si l’on regarde la querelle du poids des cartables, force est de constater que l’hypothèse de numérisation avait tout pour plaire, mais qu’elle se révèle d’une mise en oeuvre complexe, même dans les Landes où les élèves disposent d’ordinateurs portables. En réalité le manuel scolaire donne forme à l’enseignement. Autrement dit, le manuel scolaire est devenu pour beaucoup d’enseignants un objet intimement lié à la pédagogie qu’ils mettent en oeuvre. Mais le manuel, sous sa forme papier, représente aussi un objet symbolique fort avec lequel beaucoup d’entre nous ont construit des souvenirs d’école, c’est pourquoi aujourd’hui il est symboliquement difficile à faire évoluer. L’apparition de manuels sous forme numériques, gratuits parfois, a fait peur à l’édition. Mais les enseignants producteur de contenus en ligne ont parfois compris qu’ils pouvaient avec une version papier renouer avec des « rentrées d’argent », selon le modèle traditionnel. Car l’enjeu est aussi là. Comment financer les contenus éditoriaux et donc l’industrie qui va avec, et là on rejoint le problème plus général du livre.
Mais revenons à la pratique enseignante. Les enseignants préparent leur cours avec plusieurs manuels scolaires et en ont la plupart du temps un seul choisi pour leurs élèves. Dans certains cas, cela permet à l’enseignant de proposer aux élèves des documents qui ne sont pas dans le manuel qu’ils ont, voire même des exercices ou des contrôles. Autrement dit la fonction du manuel est de focaliser l’élève sur un objet qui permet à l’enseignant de s’appuyer dessus, mais aussi de s’en affranchir pour enrichir sa pédagogie. En d’autres termes les enseignants peuvent avoir intérêt à ce que les manuels perdurent et ne soient pas librement en ligne. Les élèves sont habitués, parfois depuis plusieurs années à rechercher sur Internet les sources de leurs enseignants. Et c’est cela qui inquiète. L’autorité du maître passe par le manuel, la numérisation de ceux-ci suppose réflexion sur les modalités concrètes de conception de ceux-ci. Le ministre de l’éducation relançant en cette rentrée 2009 l’idée de manuels numériques s’offrent une tribune qui semble rassurante mais qui pourrait ouvrir une boite de pandore : et si les manuels scolaires n’avaient aucun sens désormais. Et si les enseignants, de plus en plus aguerris à Internet se décidaient à se passer des manuels scolaires pour utiliser des ressources en lignes, dont certaines sont produites par eux-même… Nous n’en sommes pas très loin depuis longtemps, mais l’organisation scolaire ne s’y était pas adaptée. En développant l’idée de manuel numérique ce pourrait bien être le début de la disparition des manuels scolaires….
Le monde numérique est décidément un révélateur de plus en plus puissant de ce que nous sommes englués dans des habitudes et des formes dont nous avons, dans le monde scolaire particulièrement, du mal à nous dégager. Au delà du manuel, il s’agit de la pédagogie qui va avec… En effet essayons d’imaginer une pédagogie « sans manuels »… Elle existe déjà cette pédagogie, mais il ne faut pas le dire trop fort. Pour les éditeurs, les manuels scolaires sont une base financière sans presque aucun risque (regardez ces expositions des éditeurs à destination des enseignants et vous comprendrez), même si la rentabilité à bien baissée depuis quelques années… Alors maintenir le statu quo pédagogique est indispensable.
Imaginez l’enseignant qui dit à ses élèves « allez sur Internet j’ai déposé cela pour le travail d’aujourd’hui, cliquez sur les liens vous y trouverez les ressources pour la séquence » au lieu du traditionnel « prenez votre manuel page 134 » ou « ouvrez votre livre au chapitre 4 ». De fait on va peut-être entendre « allez sur la page numérisée du manuel…. »… Et puis on va aussi voir des élèves commencer eux-mêmes à remplir et compléter les manuels numériques de leurs propres trouvailles…. quand ce n’est pas simplement un blog qui remplace le manuel numérisé.
Décidément nos politiques (et bien d’autres encore) manquent d’imagination, pourquoi filer la métaphore du papier au moment du numérique e-cartable ou manuel numérique… sortons de l’école…. et de ses objets symboliques qui ne servent le plus souvent qu’à favoriser une reproduction des modèles antérieurs sans réfléchir réellement en terme de dispositif !!! Autrement dits passons d’une vision saucissonnée de l’acte d’enseignement pour aller vers une vision plus systémique… ce n’est pas en numérisant l’école par petits bouts qu’on résoudra le problème de la crise de l’école face au numérique mais bien en essayant de reconstruire une nouvelle place au système éductaif dans la société…
Il y aurait tant à dire…
BD